Par Rima Najjar
Deux manchettes récentes sur le fascisme ont fusionné dans mon esprit en images miroir. Plus je m’attardais sur elles et sur les deux attentats terroristes, plus ces images miroirs se contorsionnaient
Les manchettes :
* La ministre de droite de la Justice israélienne teste le parfum “fasciste” dans une étrange publicité de campagne
* La Pologne affirme que les manifestants d’extrême droite réclamant “un holocauste islamique” ne sont qu’un détail de la “grande célébration des Polonais”
Dans quelle mesure devons-nous prendre ces titres au sérieux ? Jaroslaw Kaczynski, le chef du parti au pouvoir en Pologne, affirme que le racisme et la xénophobie sont un “problème marginal” en Pologne, mais il est clair pour la plupart d’entre nous que le droit des Blancs fait partie de la structure de nombreuses sociétés européennes. Des penseurs européens, en effet, sont derrière le cri de ralliement nationaliste blanc “Vous ne nous remplacerez pas”.
La ministre israélienne Ayelet Shaked affirme que la publicité pour le parfum fascisme n’est qu’une plaisanterie subtile (elle essaie de dire que ses positions fascistes “sentent vraiment la démocratie”), mais il est clair pour de plus en plus d’entre nous que la raison d’être d’Israël est le racisme, la xénophobie et le séparatisme juif déguisés en “nationalisme juif”.
Selon une autre femme politique israélienne – Tzipi Livni :
“Il s’agit de la tradition juive, de l’histoire juive. - Mais nous devons garder à l’Etat d’Israël sa nature, son caractère d’État juif parce que c’est – excusez-moi d’utiliser du français – la raison d’être de l’Etat d’Israël.”
Et pourtant, comme le dit Lana Tatour dans son excellente critique du livre de Ronit Lentin, “Traces of racial exception : racializing Israeli settler colonialism,” (Traces d’exception raciale : racialisation du colonialisme de peuplement israélien) “les arguments selon lesquels Israël est un État racial et le sionisme est un mouvement racial ont toujours suscité – et continuent à le faire – l’indignation en Israël et en Occident”.
Depuis la création par la violence d’Israël en tant qu’État juif d’apartheid en Palestine en 1948, le cri de ralliement sioniste “Nous [Juifs] les remplacerons [Arabes palestiniens]” a été un principe central de chaque gouvernement israélien en place et le seul moyen pour le nationalisme juif de survivre.
Pendant la période d’Oslo, soutenue par l’UE, dans une tentative frénétique de saboter le gel des colonies juives, l’Organisation sioniste mondiale, par l’intermédiaire de l’Agence juive et du Fonds national juif, a introduit en Israël non seulement des Juifs anglo-saxons des États-Unis et du Royaume-Uni mais aussi des Juifs de “tribus perdues” comme les Bnei Menashe d’Inde, et même des Indiens importés du Pérou en 2003 pour venir grossir une ou deux colonies malgré les difficultés de convertir ces personnes au judaïsme.
Israël accorde automatiquement le droit à la citoyenneté israélienne aux juifs du monde entier tout en continuant à refuser aux Arabes palestiniens, musulmans et chrétiens, leur droit internationalement reconnu de retourner dans leurs villes, villages et biens en Israël et dans le reste de la Palestine historique qu’Israël occupe/colonise maintenant.
Les tenants de la suprématie blanche en Europe, ainsi que dans les États coloniaux de peuplement occidentaux comme les États-Unis, le Canada et l’Australie, sont anti-immigrants, une grande partie des immigrants étant originaires de l’hémisphère Sud. Parmi les immigrants en Europe, on trouve des Syriens parmi tant d’autres. Il en va de même pour l’Australie.
L’idéologie des suprématistes blancs vise à les protéger d’une “menace” perçue pour la “culture blanche” ou la “civilisation blanche”, qu’ils considèrent comme supérieure, ainsi que de la menace économique causée par les bouleversements de la mondialisation. Ils en veulent aux personnes à la peau noire ou basanée qu’ils ont colonisés dans le passé, et qu’ils considèrent toujours comme inférieurs, et qui sont en train de renverser la vapeur en émigrant vers le nord.
Les suprématistes juifs, en revanche, sont pro-immigrants, les immigrants étant des Juifs de toutes nationalités ou cultures du monde entier. Leur idéologie vise à maintenir l’invention sioniste d’une identité nationale juive sioniste. La “judéité” du sionisme n’est pas seulement le judaïsme (malgré sa composante religieuse pleine et entière), et pas seulement un projet de colonisation de peuplement en Palestine. Elle s’articule autour de la fabrication du “peuple juif”.
Cette identité, comme la suprématie blanche, est enracinée dans le sentiment que la culture juive mérite d’être la culture dominante et doit rester séparée et pure, qu’elle est supérieure à la culture/religion des Arabes palestiniens. Pour se créer, le nationalisme juif ne s’est pas seulement approprié le patrimoine arabe palestinien, il a, en plus des crimes de nettoyage ethnique et de vol de terres, activement effacé l’histoire et la culture arabes palestiniennes.
Outre la tâche de rassembler les Juifs du monde entier dans la Palestine historique, la suprématie juive a le fardeau supplémentaire de maintenir éloignés de la terre qu’ils ont colonisée et qu’ils occupent les propriétaires légitimes, à savoir les Arabes palestiniens, c’est à dire la majorité naturelle (autochtone) du territoire géopolitique de la Palestine.
Beaucoup de Juifs aux États-Unis, tant laïques que religieux, n’ont pas l’intention de faire leur “alya”, mais ils sont attachés à la notion de “peuple juif” de la même façon que les suprématistes blancs sont acquis à l’idée de “peuple blanc” – bobard pur et simple, dans les deux cas, puisque ” races et ethnies se sont mélangées dés le départ. Il est pitoyable, de voir ces “blancs” se plaindre de “l’invasion”, étant eux-mêmes descendants de Turcs, Tatars, Perses, Grecs, d’Arabes, de Finnois, Scythes, Slaves, etc. »
Le récit suivant de deux massacres, ou “attaques terroristes”, si vous préférez, illustre davantage les similitudes et les différences entre la suprématie blanche et la suprématie juive.
Le massacre de Christchurch en mars 2019 perpétré par un suprématiste blanc, aboutissant au meurtre de 50 musulmans alors qu’ils priaient dans une mosquée en Nouvelle-Zélande, est le pendant exact du massacre de février 1994 perpétré par un suprématiste juif natif de Brooklyn, qui a fait 29 morts et quelque 150 blessés Palestiniens alors qu’ils priaient à la mosquée Ibrahimi à al-Khalil (Hébron).
La différence dans la comparaison est que le suprématiste juif natif de Brooklyn (Baruch Goldstein) avait immigré en Israël pour intégrer l’armée israélienne. Par essence, il aidait le gouvernement israélien dans une tâche qu’il avait entreprise avant la création de l’État d’Israël (voir “State of Terror,” (État de terreur) de Thomas Suárez), bien qu’aujourd’hui il continue cette tâche par les moyens faussement légalisés d’un État colonial de peuplement.
Un document de synthèse produit par un groupe d’experts de l’ONU le mois dernier faisait état de la mort de 189 Palestiniens non armés, dont 183, parmi lesquels 32 enfants, ont été tués par des tirs à balles réelles israéliens à la “clôture” de Gaza, constituant peut-être un crime de guerre.
Avant l’assassinat collectif des “Arabes” dans la mosquée, l’auteur du massacre d’Hébron a écrit une lettre à la rédaction publiée par le New York Times dans laquelle il déclarait :
“La dure réalité, c’est que si Israël veut éviter le genre de problèmes qu’on trouve aujourd’hui en Irlande du Nord, il doit agir de manière décisive pour chasser la minorité arabe de ses frontières.”
Remarquez que les frontières d’Israël sont inhabituelles, faute d’un meilleur mot, dans la mesure où elles ont changé plusieurs fois de mémoire d’homme.
Pour autant que je sache, l’auteur du massacre de Christchurch (j’évite de mentionner son nom, parce qu’il serait, paraît-il, avide de gloire à la manière d’autres sociopathes) n’avait pas un programme aussi spécifique – et, s’il en avait un, il n’est certainement pas explicitement adopté par les gouvernements australien ou néo-zélandais comme politique de l’état.
Israël, pour sa part, continue de trouver de nombreux moyens ” légitimes ” pour réaliser l’objectif des suprématistes juifs et des terroristes en leur sein, en violation du droit international et avec le soutien des Etats-Unis et de l’Union européenne.
Après le massacre de Christchurch, les commentaires à la télévision et sur les réseaux sociaux ont passé en revue toute la gamme de responsabilité du sectarisme évident dans l'”attaque terroriste” de Christchurch.
Parmi celles-ci, la plus déconcertante pour moi est cette conjecture :
“Que l’histoire soit vraiment dialectique ou non, il peut être tentant de penser que des décennies de suprématie libérale en Europe ont contribué à faire naître l’antithèse du libéralisme.”
Ça a été “l’antithèse du libéralisme” dès le début, comme c’est le cas aujourd’hui.
Si par “suprématie libérale” l’auteur entend les valeurs des Lumières, on ne peut tenir pour responsable de la suprématie juive, telle qu’engendrée par Israël, le libéralisme européen comme on tient Israël pour responsable des valeurs européennes et du fait colonial juif en Palestine. La réponse du sionisme au libéralisme moderne européen fut d’ancrer la sensibilité du ghetto juif néo médiéval, y compris son anti goyisme, dans l’État d’Israël. En d’autres termes, le sionisme est l’antilibéralisme – sauf quand il s’agit du “peuple juif”, tel que le sionisme définit son identité.
En massacrant les Palestiniens dans la mosquée, le suprématiste juif Baruch Goldstein était tout simplement en mission, mission exprimée par “Chaim Weizmann, premier président d’Israël, pour qui le nettoyage ethnique de la Palestine était “un nettoyage miraculeux de la terre : la simplification miracle de la mission d’Israël”. C’est une mission, que beaucoup de “Juifs militants”, pour employer le terme utilisé par la BBC en 2000 pour les décrire, ont célébré. L’expression juifs suprématistes décrit mieux ce qu’ils sont.
Dans le monde à l’envers qui caractérise la hasbara israélienne, l’Occident a fait des actes de violence et de la suprématie juive contre les Palestiniens un faux acte défensif, Le-fascisme-aujourd’hui-fusillade-Christchurch-vs-massacre-mosquée-Ibrahimialors qu’en fait, le cri palestinien “Vous ne nous remplacerez pas” est un cri, non de sectarisme mais de justice qui prend ses racines dans la misère résultant de l’idéologie de suprématie juive et de la dépossession des Palestiniens.
Auteur : Rima Najjar
* Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille du côté paternel vient du village de Lifta dans la banlieue ouest de Jérusalem, dont les habitants ont été expulsés. C’est une militante, chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise, Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée. Ses articles sont publiés ici.Son compte Twitter.
21 mars 2019 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB