Isra Saleh el-Namey – En dépit de tout ce qu’il a traversé, rien n’est plus douloureux pour Yousif al-Shimbari que devoir se réveiller chaque matin sans entendre la voix de sa maman.
Au cours de l’attaque d’Israël sur Gaza en 2014, ce garçon âgé de 14 ans et sa famille se sont sauvés de leur quartier de Beit Hanoun dans le nord de la bande de Gaza, pour chercher refuge dans une école des Nations-Unies de leur secteur, se croyant protégés par ses drapeaux bleus et son logo.
Ils se trompaient. Le 24 juillet, deux semaines après que l’assaut israélien ait commencé, des obus israéliens ont explosé dans l’école, tuant au moins 15 personnes et en blessant un grand nombre. Parmi les tués se trouvait la mère de Yousif. Lui et sa sœur étaient parmi les blessés. Manar, âgée de 15 ans, a subi une intervention chirurgicale et ses deux jambes ont dû être amputées.
Yousif et Manar vivent maintenant à l’Institut pour les orphelins Al-Amal, établi en 1949 dans la ville de Gaza. C’est la seule institution dans l’enclave côtière qui soit vouée à la prise en charge des jeunes orphelins.
L’institut est leur seule solution, dit Yousif, dont les proches parents ne sont pas en mesure de faire vivre l’ensemble de ses 11 frères et sœurs.
« Nous sommes dispersés. Certaines de mes sœurs vivent avec des gens de la famille et ce n’est pas très souvent que nous nous rencontrons », dit-il à The Electronic Intifada.
Il fréquente une école à proximité mais jouer au football avec ses camarades de l’institut est pour lui le meilleur moment de la journée. Il est ambitieux mais il dit qu’il ne sait pas ce qui se passera pour lui dans l’avenir.
« J’aime les mathématiques et je veux devenir ingénieur un jour, comme mon père », dit-il. Le papa de Yousif est mort de maladie, il y a sept ans.
Des ressources qui s’étiolent
Yousif et Manar ne sont que deux des 40 enfants qui vivent dans l’institut Al-Amal et ayant perdu un ou leurs deux parents au cours de l’attaque israélienne de 2014. Ils ont rejoint les 90 autres enfants qui y étaient déjà logés avant l’attaque et le budget de l’institut est tendu à craquer. En tout, 52 enfants à Al-Amal ont perdu leurs deux parents et tous ont perdu leur père, le principal soutien de la famille. En arabe, un « orphelin » signifie celui qui a perdu un ou deux parents.
Iyad al-Masri, directeur exécutif d’Al-Amal, a déclaré à The Electronic Intifada que l’institut suit des critères très contraignants pour accueillir uniquement les orphelins les plus démunis. « Le manque de financement nous y contraint, » dit-il.
Le personnel étudie minutieusement les données à sa disposition pour décider s’il est préférable pour un enfant de venir à l’institut, et s’il ou elle n’a absolument aucun autre endroit sûr où aller. Alors seulement l’administration reprend contact avec la proche famille pour offrir un abri.
Des sponsors individuels locaux et des groupes de bienfaisance étrangers fournissent l’essentiel du financement de l’institut, couvrant les dépenses et les services qui comprennent l’éducation, les soins de santé et l’organisation de loisirs.
Mais comme le nombre d’orphelins hébergés a augmenté, répondre aux besoins se révèle plus difficile qu’auparavant.
« Les sponsors [locaux] sont moins nombreux qu’avant en raison de tout l’environnement qui se détériore à Gaza », a déclaré al-Masri. « Et en cette période, l’aide étrangère est principalement dirigée vers la Syrie. »
Augmentation dramatique
Trois assauts militaires israéliens successifs en moins de six ans ont provoqué une augmentation marquée du nombre d’orphelins dans la bande assiégée et isolée du reste du monde.
Selon Itimad al-Tarshawi, une responsable des services sociaux à Gaza, sur les 15 223 orphelins recensés dans Gaza, 3 366 d’entre eux ont perdu des parents suite à l’agression israélienne.
« Deux mille enfants ont perdu leur père ou leur mère, ou les deux uniquement pour ce qui est de l’agression de l’été 2014, » a-t-elle relevé.
Al-Tarshawi a exprimé son inquiétude sur l’insuffisance des soins fournis aux orphelins à cause du manque de ressources. Les orphelins de Gaza devraient obtenir une éducation gratuite, une assurance maladie complète et une protection, mais rien de tout cela ne peut être garanti dans un contexte financier aussi désespéré que celui de Gaza.
Elle a lancé un appel à la communauté internationale pour qu’elle intervienne.
« Il est totalement inacceptable de laisser ces enfants dans des conditions de vie aussi terribles, qui sont toutes le résultat d’un blocus de 10 ans, imposé pour des objectifs politiques injustes », a ajouté al-Tarshawi.
Mais le manque d’argent n’est pas le seul problème qui se pose pour les orphelins de Gaza. Khaled Tuman, spécialiste de santé mentale auprès de l’institut Al-Amal, a déclaré à The Electronic Intifada que les orphelins sont confrontés à un certain nombre de problèmes psychologiques, en particulier les nouveaux arrivants.
Les trois premiers mois sont les plus difficiles. « Certes, grandir dans un tel endroit, surpeuplé où vous avez des dizaines d’enfants comme vous et environ huit animateurs pour l’ensemble, n’a rien à voir avec vivre avec vos parents à la maison », explique Tuman. « L’environnement ici est en contraste frappant avec la vie de famille tranquille et intime qu’ils ont connue. »
Défis et détermination
Le fait que tous les enfants viennent de milieux différents est également difficile, à la fois pour les enfants et pour l’administration. Des désaccords, des conflits et même des disputes peuvent apparaître, et les animateurs sont toujours en alerte pour négocier tous les différents types de problèmes qui peuvent survenir avec et entre les enfants.
Certaines activités de loisirs peuvent être utiles à cet égard et le personnel estime que de tels moyens sont bien utiles pour aider les enfants à s’intégrer pleinement.
« Notre devoir est principalement de fournir des soins parentaux. Un enfant ne peut pas vivre sans ce type d’attentions. Nous faisons de notre mieux pour être de bons pères pour ces enfants », dit Tuman. « Nous voulons qu’ils soient en mesure de nous dire tout ce qu’ils veulent, de façon à ce que nous puissions les aider. »
Les circonstances inhabituelles de la vie à Al-Amal ne signifient pas que les enfants en sortent sans possibilité de réussite et sans préparation pour poursuivre l’ambition de leur vie. Au contraire… Le plus souvent, la possibilité de retrouver une certaine foi et une certaine confiance après une enfance amère, les motive.
Le nom de Bashar Abu Quraya est souvent cité dans les témoignages du personnel. Bashar représente un exemple souvent évoqué devant les enfants.
Abu Quraya, qui a passé 10 ans à Al-Amal, avait obtenu un excellent résultat lors des tawjihi, l’examen du secondaire, et il étudie maintenant la médecine en Turquie. La chance joue son rôle. Des philanthropes dont les noms ne sont pas connus l’aident financièrement. Mais c’est sa propre persévérance qui lui a permis d’arriver à une position aussi proche de la réalisation de son rêve de devenir médecin.
Alors que les enfants de l’institut sont encouragés à acquérir les compétences qui les préparent à un avenir indépendant et à l’extérieur de l’institut – ils ne peuvent pas rester après l’âge de 18 ans – leur orphelinat ne les oublie jamais complètement. Dans de nombreux cas, celui-ci fait un don pour assurer les frais de scolarité des collèges pour les « anciens » pensionnaires talentueux.
« La plupart de nos orphelins viennent nous rendre visite et nous dire ce qui se passe dans leur vie », nous raconte Tuman. « Nous sommes toujours très heureux de rester en contact avec eux. »
* Isra Saleh el-Namey est une journaliste de Gaza.
3 mai 2016 – The Electronic Intifada