Par Yara Hawari
Aux premières heures de ce lundi matin, les forces armées israéliennes ont entamé leur plus grande campagne de démolition depuis 1967 à Wadi Hummus, dans le quartier palestinien de Sur Baher, au sud-est de Jérusalem. Les Palestiniens et les militants internationaux ont tenté de résister aux démolitions, mais ils ont été accueillis avec violence, avec des dizaines de blessés par gaz lacrymogène et des passages à tabac par les forces israéliennes.
Depuis que les démolitions ont commencé, des vidéos ont été diffusées sur les médias sociaux, montrant des soldats israéliens et des policiers ravis de ces démolitions. Une vidéo montre un soldat masqué qui compte à rebours avant d’appuyer sur un bouton et de faire exploser un bâtiment palestinien à l’arrière-plan.
Un policier des frontières israélien qui se tient à côté de lui le tapote dans le dos, souriant puis riant, avant que les deux ne se retournent et posent pour une photo devant la fumée et les décombres. Le soldat masqué se tourne vers le policier des frontières et dit “kol hakavod”, ce qui signifie littéralement “tout le respect” en hébreu mais dans ce cas, se traduit par “bon boulot”. À l’arrière-plan, vous pouvez entendre les quolibets et les félicitations d’autres soldats.
Diverses organisations de défense des droits de l’homme ont publié des déclarations, notamment Amnesty International dont le directeur adjoint pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, Saleh Hijazi, a qualifié les démolitions de “violation flagrante du droit international et qui s’inscrivait dans un schéma systématique”.
Une déclaration des Nations Unies a souligné le fait que certains des résidents qui perdent leur maison sont des réfugiés confrontés à un nouveau déplacement – une histoire palestinienne habituelle. Dans le même temps, une déclaration de l’Union européenne a dit qu’elle “s’attendait à ce que les autorités israéliennes mettent immédiatement un terme aux démolitions en cours”.
Les habitants de Wadi Hummus avaient instruit un appel avant la démolition devant la Cour suprême israélienne, qui avait été rejeté comme il fallait s’y attendre. Israël veut démolir un total de 13 immeubles d’habitation, déplaçant des centaines d’habitants palestiniens.
On prétend que les bâtiments représentent un risque pour la sécurité de la prétendue “barrière de sécurité” israélienne, également appelée mur d’apartheid, dont 85% traverse les territoires occupés palestiniens, découpant et isolant les terres des communautés palestiniennes. Le prétexte de cette démolition met en danger d’autres villes et villages palestiniens – tels qu’Al-Ram, Tulkarem et Qalqilliya – qui se trouvent à proximité du mur de l’apartheid.
Cette démolition, cependant, crée également un précédent pour la destruction de biens sous le contrôle supposé de l’Autorité Palestinienne. Sur Baher est inhabituel car ses terres ont été divisées entre les zones A, B et C après les accords d’Oslo du début des années 90. Pourtant, le mur, construit dix ans plus tard au début des années 2000, a été érigé autour du village de sorte qu’il tombe du côté de Jérusalem. Alors que les zones A et B sont supposées être sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, étant donné que le mur a été construit autour du village, celle-ci n’est pas présente dans le secteur et n’offre aucun service aux résidents qui s’y trouvent.
Pourtant, de nombreux résidents sont toujours obligés de demander un permis de construire à l’Autorité palestinienne si leurs biens font partie des zones A ou B, ce qui signifie qu’ils relèvent de la juridiction de l’Autorité palestinienne. En effet, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a confirmé qu’il indemniserait toutes les familles qui ont perdu leur maison pendant cette période de démolition. L’ironie cruelle est que les autorités israéliennes factureront les coûts de démolition aux résidents, ce qui en fait une entreprise totalement rentable pour Israël.
De plus, la destruction de biens dans les zones A et B envoie un message très clair et très direct d’Israël à la communauté internationale et à l’Autorité palestinienne : Oslo est mort. En effet, loin d’être un problème de sécurité, les démolitions à Sur Baher s’inscrivent dans un plan à grande échelle et permanent visant à vider Jérusalem de ses habitants palestiniens autochtones en faveur des Israéliens juifs. Plutôt que d’utiliser le terme édulcoré de d’ “ingénierie géo-démographique”, il faut parler évidemment d’un nettoyage ethnique.
Ce n’est pas la première fois que de telles images et vidéos odieuses à propos des autorités israéliennes ou des soldats de l’occupation sont apparues. En 2014, lors de l’assaut militaire « Bordure protectrice » contre Gaza, qui a tué plus de 2000 Palestiniens, des groupes d’Israéliens se sont rassemblés sur une colline proche pour regarder les bombardements. Amenant avec eux des collations et des boissons, ils applaudissaient et prenaient des selfies sur fond de fumée. Des vidéos ont également été prises de soldats israéliens, souvent par leurs camarades soldats, applaudissant alors qu’ils tiraient sur de jeunes Palestiniens.
Cela montre qu’Israël est un lieu où le nettoyage ethnique des Palestiniens n’est pas seulement une politique d’État, c’est une politique célébrée et adulée. Entre-temps, la réaffirmation des engagements en faveur de la solution des deux États et du cadre d’Oslo de la part de la communauté internationale – continuellement invalidée par Israël – ne fait que renforcer l’illusion qu’Israël soit toujours disposé à accorder aux Palestiniens des droits et une souveraineté même partielle.
La réalité est que la seule intention d’Israël est de poursuivre son projet de nettoyage ethnique et d’écraser la lutte des Palestiniens pour la liberté. Cette reconnaissance de la réalité est ce dont les Palestiniens ont désespérément besoin en cette période de la part de la communauté internationale.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
23 juillet 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine