Le sang innocent de Tariq ne doit pas couler en vain. Pour cela, nous sommes moralement obligés de comprendre la nature de la violence des colons juifs, qui ne peut être considérée isolément du racisme inhérent à la société israélienne dans son ensemble.
Nous sommes tous souvent coupables de perpétuer le mythe selon lequel les activistes colons juifs dans les territoires palestiniens occupés constituent une catégorie différente et distincte des autres Israéliens vivant au-delà de la ainsi-nommée “ligne verte”.
Sans aucun doute, la mentalité violente qui sous-tend la société israélienne, où qu’elle se trouve, n’est pas régie par des règles imaginaires, mais par une idéologie raciste, dont les disciples se retrouvent partout en Israël et pas uniquement dans les colonies juives [toutes illégales au regard du droit international] de Cisjordanie.
Israël est une société profondément malade et sa maladie ne se limite pas à l’occupation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza en 1967.
Alors que les Palestiniens sont prisonniers derrière des murs, des clôtures et des régions séparées les unes des autres, les Israéliens sont un type de prisonniers différent. “Un homme qui enlève la liberté à un autre homme est un prisonnier de la haine, il est enfermé derrière les barreaux des préjugés et de l’étroitesse d’esprit”, a écrit Nelson Mandela, héros du mouvement anti-apartheid et prisonnier qui a passé sa vie derrière les barreaux.
C’est ce racisme et ce fanatisme qui rendent Tariq invisible à la grande majorité des Israéliens. Pour ces derniers, les enfants palestiniens n’existent pas en tant que véritables êtres humains, méritant une vie digne et libre. Cette cruauté est une caractéristique fondamentale de tous les secteurs de la société israélienne, qu’ils soient de “droite”, de “gauche” ou du “centre”.
Un exemple est l’attaque terroriste perpétrée par des colons juifs contre la famille palestinienne Dawabshe dans le village de Duma, dans le nord de la Cisjordanie, en juillet 2015, entraînant la mort des deux parents Riham et Sa’ed, ainsi que de leur fils Ali âgé de 18 mois. Le seul membre de la famille épargné par cette mort atroce est Ahmad, alors âgé de 4 ans, qui a été gravement brûlé.
Cette cruauté s’est encore accentuée dans les épisodes qui ont suivi cet incident criminel. Plus tard cette année-là, des invités d’un mariage israélien ont été filmés lors de la soirée, dansant et brandissant des couteaux pour célébrer la mort du bébé palestinien.
Trois ans plus tard, alors que les membres de la famille Dawabshe quittaient un tribunal israélien, accompagnés de parlementaires arabes, ils étaient accueillis par une foule d’Israéliens scandant « Où est Ali ? Ali est mort ! » et « Ali est sur le gril ».
Le passage du temps n’a fait que renforcer la haine des Israéliens contre un petit enfant dont le seul crime est d’être né palestinien.
Quant au seul survivant, Ahmad, celui-ci a été puni trois fois : lorsqu’il a perdu toute sa famille, puis avec ses très graves brûlures, et enfin quand toute indemnisation lui a été refusée. Le ministre israélien de la Défense de l’époque, Avigdor Lieberman, a simplement décidé que le garçon n’était pas une “victime du terrorisme”. L’affaire était close…
Bien que les Dawabshes aient été tués par des colons juifs, le tribunal, l’armée et le système politique israéliens se sont tous entendus pour assurer la protection des assassins et les écarter de toute responsabilité.
Ce n’était pas différent dans le cas du soldat israélien, Elor Azaria, qui, le 24 mars 2016, a achevé au sol un Palestinien inconscient à Hébron. Dans sa défense, Azaria a insisté sur le fait qu’il suivait les instructions de l’armée concernant les assaillants présumés, tandis que les plus hauts responsables du gouvernement israélien se sont affichés en masse pour le soutenir.
Quand Azaria a été libéré triomphalement après seulement neuf mois de prison, de nombreux Israéliens l’ont salué comme un héros. Peut-être fera-t-il une brillante carrière politique s’il décidait de poursuivre dans cette voie. En fait, il a été sollicité par des politiciens israéliens pour les aider à collecter davantage de voix aux élections générales d’avril dernier.
Condamner uniquement les colons juifs tout en épargnant le reste de la société israélienne équivaut à blanchir politiquement une société israélienne en la présentant comme une société en bonne santé avant l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza. Ce point de vue présente les colonies juives comme une maladie cancéreuse qui dénaturerait les réalisations par ailleurs louables et nobles des premiers sionistes.
Il est commode de présenter les colons juifs comme des extrémistes d’extrême-droite et de les lier aux partis politiques de droite au pouvoir. Mais l’histoire prouve le contraire.
C’est le parti travailliste israélien qui a à l’origine créé les projets de colonies de peuplement, peu après la colonisation de la Cisjordanie. Certaines des entreprises coloniales les plus importantes et les plus militantes d’Israël à Jérusalem-Est occupée – Ramat Eshkol, Gilo, Ramot et Armon Hanatziv – ont toutes été à l’initiative du Parti travailliste et non du Likoud.
Le “colon” n’a rien non plus d’un nouveau phénomène. Historiquement, les premiers colons qui ont précédé l’établissement d’Israël en 1948 ont été idéalisés en tant que “véritables” sionistes, célébrés comme des “héros culturels” – des “rédempteurs” juifs qui ont pour finir nettoyé ethniquement la Palestine historique de ses habitants indigènes.
“Le mouvement travailliste d’origine”, écrivait Amotz Asa-El dans The Jerusalem Post, “n’a jamais pensé que s’établir au-delà de la Ligne verte était illégal, et encore moins immoral.” S’il existait un débat en Israël concernant les colonies de peuplement, il n’a jamais concerné la question de leur légitimité ou de leur légalité, mais s’est limité aux aspects pratiques pour déterminer si ces projets coloniaux devaiet être maintenus ou non.
La protection des colonies est maintenant la tâche primordiale de l’armée d’occupation israélienne. L’organisation israélienne de défense des droits de l’homme, B’Tselem, qui consigne le comportement de l’armée israélienne et des colons juifs en Cisjordanie, a expliqué la nature de cette relation dans un rapport publié en novembre 2017.
“Les forces de sécurité israéliennes autorisent non seulement les colons à tourmenter les Palestiniens et à s’attaquer à leurs biens, mais elles fournissent souvent aux délinquants une escorte et un renfort. Dans certains cas, elles participent même aux agressions”, écrit B’Tselem.
Une autre organisation israélienne, Yesh Din, a conclu dans un rapport publié plus tôt que 85% des actes de violence des colons contre des Palestiniens ne donnent lieu à aucune poursuite devant les tribunaux. Seulement 1,9% des cas ont abouti à une condamnation, en général sans conséquence réelle.
La violence des colons juifs ne doit pas être considérée séparément de la violence infligée par l’armée israélienne, mais dans le contexte plus large de l’idéologie violente sioniste qui régit dans sa totalité la société israélienne.
Cette violence ne peut se terminer que par la fin de l’idéologie raciste qui promeut et justifie le meurtre, comme dans le cas du petit Tariq Zabania.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
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24 juillet 2019 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah