Par Ramzy Baroud
Cela a également créé une confusion quant au fondement jurisprudentiel de tels crimes, qui sont souvent commis au nom d’une prétendue protection de l’honneur de la famille.
Israa, une maquilleuse de 21 ans originaire de la ville de Beit Sahour, en Cisjordanie, a selon toutes les apparences été battue à mort par son propre frère pour avoir “déshonoré” la famille. Ce fait tragique a été déclenché par une vidéo publiée sur les médias sociaux dans laquelle Israa a été vue en présence de son futur fiancé.
Alors que les Palestiniens et d’autres communautés arabes sont véritablement en colère contre les mauvais traitements infligés aux femmes, d’autres ont trouvé là une autre plate-forme pour accuser l’islam et condamner la société arabe. Comme on pouvait s’y attendre, la question a rapidement fait son chemin vers les domaines politique, idéologique et religieux.
Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Les lois clémentes relatives aux “crimes d’honneur” au Moyen-Orient (et dans d’autres parties du monde) ne proviennent pas de la charia, mais du code napoléonien de 1810 qui tolérait largement les “crimes passionnels”. Dans des pays comme la France et l’Italie, les lois concernant les “crimes d’honneur” n’ont été abrogées qu’en 1975 et 1981 respectivement.
L’exploitation des faiblesses inhérentes aux sociétés arabes et musulmanes est une pratique ancienne et profitable. La rhétorique anti-arabe et anti-musulmane a toujours été au premier plan de toutes les campagnes militaires et politiques de l’Occident, du début de l’ère coloniale aux guerres en Afghanistan, en Irak et en Libye. Pendant de nombreuses années, des discours bien construits ont eu pour objectif de justifier la guerre et de rationaliser les interventions afin de détourner l’attention des véritables motivations de l’exploitation économique et de la violence.
“Les mères et les filles afghanes étaient captives dans leur propre maison”, a déclaré l’ancien président américain George W. Bush en janvier 2002, à l’occasion de la prétendue “victoire” de son pays en Afghanistan. “Aujourd’hui, les femmes [afghanes] sont libres.”
Bush a fait cette affirmation totalement dépourvue de sens quelques semaines seulement après que sa femme, Laura, prétendument défenseur des femmes dans le monde entier, a déclaré en novembre 2001 que “la lutte contre le terrorisme est aussi une lutte pour les droits et la dignité des femmes”.
Le fait que des centaines de milliers de filles et de femmes aient été tuées et que des millions d’autres soient devenues orphelines ou veuves dans la longue “guerre contre le terrorisme” menée par les États-Unis ne semble en aucun cas faire obstacle à cette logique fallacieuse. La vérité, triste mais peu étonnante, est que les droits et le bien-être des femmes afghanes, arabes et musulmanes se sont fortement détériorés dans la foulée des interventions militaires américano-occidentales.
Mais c’est le nœud du problème. En tant qu’intellectuels, éducateurs et défenseurs des droits de l’homme, nous nous trouvons souvent pris au piège d’un paradigme restrictif. Conscients des véritables motivations des médias occidentaux et de la propagande officielle, nous nous engageons dans une bataille de légitime défense, essayant désespérément de protéger nos religions, nos pays et nos sociétés des critiques mal intentionnées. Ce faisant, cependant, nous négligeons souvent de parler au nom des groupes défavorisés et vulnérables, tels que Israa Gharib et des millions de personnes comme elle.
Nous négligeons notre responsabilité de défendre les composantes les moins protégées de notre société, car nous craignons d’être mal compris et que nos propos soient mal interprétés et exploités de manière abusive par les propagandistes en plein ascension de l’extrême droite, allant des États-Unis à la France et de l’Inde au Brésil.
Mais cela est injuste pour Israa et des millions d’autres femmes. Les femmes palestiniennes et arabes souffrent de deux injustices, ce qui n’est pas le cas des hommes. Victimes de la guerre, de l’instabilité politique et de la marginalisation économique, elles sont également victimes de sociétés patriarcales et de lois qui n’ont aucune raison de subsister.
Il est exaspérant et inexcusable, par exemple, que les femmes palestiniennes de Cisjordanie et de Gaza soient confrontées à des formes de violence à plusieurs niveaux, émanant à la fois de l’occupation israélienne, de leur propre famille et de la société – le premier justifiant sa violence au nom de sa “sécurité” et les seconds au nom de l’honneur et de la tradition.
Mais où est donc l’honneur dans le fait que près de 30% des femmes mariées en Cisjordanie et 50% à Gaza “ont été soumises à une forme de violence au sein du ménage” ? Selon le groupe des Nations Unies, UN Women, la majorité de ces femmes préfèrent rester silencieuses face à ces abus, espérant ainsi protéger leur famille et éviter de nouvelles violences.
Les Palestiniennes et les femmes arabes (et de nombreux hommes) ne sont pas seulement en colère contre les “crimes d’honneur” et les lois tolérantes qui permettent aux criminels de rester impunis pour leurs actes brutaux ; elles sont également en colère parce que cette pratique ne fait que symboliser un phénomène beaucoup plus vaste, où les femmes sont systématiquement marginalisées et victimisées dans tous les aspects de la vie sociale.
Selon Amnesty International, 21 femmes et filles palestiniennes ont été tuées lors de prétendus crimes d’honneur en 2018. Cela nécessite une attention immédiate et une révision complète des lois palestiniennes qui permettent aux criminels de se retrouver libres après avoir purgé une peine de prison réduite. Mais le combat ne devrait pas s’arrêter là. Les femmes palestiniennes sont plus éduquées que les hommes, mais elles bénéficient de beaucoup moins d’opportunités professionnelles. Malgré leur rôle crucial dans la résistance contre l’occupation et l’apartheid imposés par Israël, elles restent marginalisées dans la politique et la prise de décision.
Ceux qui ont tué Israa et des centaines de femmes comme elle au nom de “l’honneur”, devraient savoir que les cris atroces de leurs sœurs et de leurs filles ne sont pas différents des cris de douleur de Razan Al-Najjar, abattue par des tireurs d’élite israéliens lors de la Marche du retour à Gaza; que les mêmes souffrances endurées par ces femmes sont celles ressenties à chaque heure, chaque jour, par Israa Ja’abis et ses sœurs dans les prisons israéliennes; que les sévices infligés aux femmes par leurs familles sont les mêmes que ceux infligés aux points de contrôle de l’armée israélienne et par les colons juifs déchaînés.
“La justice est indivisible” et il est temps que nous rompions le silence et respections ce noble principe. S’exprimer contre la violence, la discrimination et la marginalisation des femmes dans nos sociétés devrait faire partie intégrante de toute lutte véritable contre les violations des droits de l’homme, quels que soient l’identité et le mobile de l’agresseur.
Que les cris d’appel à l’aide et à la pitié d’Israa Gharib soient notre guide pour lutter contre l’injustice sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations !
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
11 septembre 2019 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah