Par Haidar Eid
L’une des conséquences graves des accords désastreux d’Oslo a été de redéfinir le peuple palestinien comme étant celui de la Cisjordanie occupée et de la bande de Gaza. Les 1,8 million de citoyens de deuxième classe palestiniens d’Israël et les 6 millions de réfugiés palestiniens vivant dans la diaspora étaient ainsi relégués au bas de la liste des questions, car ils n’ont pas de représentants à la table des négociations.
En conséquence, chaque composante du peuple palestinien poursuit son propre programme et sa solution pour un statut final – qu’il s’agisse d’un État indépendant pour ceux qui vivent en Cisjordanie et à Gaza, d’une allocation budgétaire plus importante pour les citoyens palestiniens d’Israël ou de plus de droits civils pour les réfugiés vivant dans le monde arabe.
Ce n’est que dans ce contexte que l’on peut comprendre la tentative catastrophique de trois des quatre partis composant la Liste arabe commune d’accorder à Benny Gantz le poste de prochain Premier ministre israélien – un homme qui a orchestré des crimes de guerre lors de l’assaut israélien sur Gaza qui a tué en 2014 plus de 2 200 Palestiniens et n’a exprimé aucun regret à cet égard.
La Liste commune arabe, à l’exception de trois membres du parti Balad, a décidé de soutenir Gantz pour “mettre fin à l’ère Netanyahu”, comme l’a expliqué son responsable Ayman Oudeh.
Il a ajouté dans l’un de ses tweets : “Nous voulons vivre dans un endroit pacifique fondé sur la fin de l’occupation, la création d’un État palestinien aux côtés de l’État d’Israël, une égalité réelle sur le plan civil et national, la justice sociale et la démocratie pour tous”, sans expliquer en quoi cela justifie la nomination de Gantz, qui a déjà rejeté toutes ces demandes et qui se vantait pendant la campagne électorale d’avoir assassiné des Palestiniens.
Cette initiative sans précédent des représentants politiques palestiniens en Israël, qui survient à un moment où des tireurs d’élite israéliens tuent et mutilent des manifestants palestiniens chaque vendredi à la barrière de Gaza, a provoqué une onde de choc dans toute la Palestine historique. C’est non seulement parce que cet avenant donne une légitimité à un criminel de guerre qui soutient la loi raciste d’État-nation en Israël, qui relègue les Palestiniens à des citoyens de deuxième classe, mais aussi parce qu’en tant que Premier ministre, il continuera sans aucun doute de commettre des crimes contre le peuple palestinien.
Il reprendra les affaires là où Benjamin Netanyahu les aura laissées et continuera de promouvoir et de consolider l’apartheid, massacrant des civils palestiniens innocents, renforçant l’occupation militaire de la Cisjordanie, assiégeant et étranglant la bande de Gaza par un châtiment collectif, annexant des terres palestiniennes et élargissant le nombre de colonies juives de peuplement – toutes illégales au regards du droit international – en Cisjordanie.
Cette décision de la Liste arabe commune reflète la myopie et l’opportunisme politique de certains membres de l’élite politique palestinienne en Israël. Cela réduit la lutte pour la véritable égalité des citoyens palestiniens en Israël ainsi que la lutte palestinienne commune pour la liberté et la justice, à l’objectif de “se débarrasser de Netanyahu” et de le remplacer par un autre criminel de guerre.
Au lieu d’exiger leurs pleins droits, ces politiciens sont prêts à ramasser “des miettes de compassion jetées de la table de quelqu’un qui se considère comme leur maître”, comme dirait l’archevêque Desmond Tutu.
Les répercussions de la décision prise par la Liste arabe commune nous hanteront pendant longtemps. C’est une forme de normalisation dans laquelle le colonisé, aveuglé par l’admiration pour la fausse démocratie ethnique et libérale du colonisateur, ne comprend pas les mécanismes du pouvoir dans un État colonisateur.
Comme l’ont souligné de nombreuses forces politiques palestiniennes, de tout le spectre politique, le fait de participer aux élections israéliennes est également très problématique. Cela légitime les structures politiques israéliennes, comme la Knesset, où l’oppression du peuple palestinien est constamment légiférée et légalisée.
Le soutien de ces structures ne peut en aucune manière aider les Palestiniens à imposer leurs droits fondamentaux, la justice ou l’égalité. Étant donné que l’apartheid est au cœur du système, son fonctionnement ne peut pas et ne mènera jamais à la libération du peuple palestinien, car il repose sur leur ségrégation, leur oppression et leur occupation.
Ce système doit être boycotté afin de remettre en question la légitimité de son ordre raciste et d’ouvrir la voie à d’autres alternatives. Pour que cela se produise, cependant, il est clair qu’il faut décoloniser l’esprit palestinien en Israël afin que les dirigeants des partis arabes en Israël comprennent que s’opposer aux partis pris politiques et idéologiques du système implique le rejet de toutes ses structures de pouvoir.
En attendant, la Liste arabe commune poursuivra son jeu politique, qui non seulement exclut les deux autres composantes du peuple palestinien, mais joue également avec les droits fondamentaux de ses propres concitoyens palestiniens en Israël.
* Haiddar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine. Son compte Twitter.
24 septembre 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine