BETHLEHEM (Ma’an) – Le trafic du début de matinée commençait à se ralentir quand le cortège funèbre est sorti de Bethléem, et les voitures qui se rendaient au village voisin de Tuqu, au sud de la Cisjordanie occupée, ont pu accélérer l’allure.
« Regardez, regardez », a dit un des chauffeurs de la procession funéraire, en montrant un groupe de soldats israéliens stationnés sur la colline juste au-dessus de la route que partagent les colons israéliens et les Palestiniens « ils essaient de nous provoquer. »
A moment donné, le trafic s’est ralenti, et des jeunes gens – des habitants de Tuqu où Qusay al-Umour, 17 ans, avait été abattu moins de 24 heures plus tôt – ont sauté des voitures pour attraper des pierres sur le bord de la route et les lancer le plus loin possible en direction des soldats, en se disant que c’était peut-être l’un d’eux qui avait tiré les quatre balles mortelles qui avaient tué leur ami.
Des femmes et des enfants se sont rassemblés sur les toits, des passants ont klaxonné et des jeunes hommes se dressaient hors des fenêtres des voitures avec des drapeaux palestiniens et des drapeaux du Fatah, des photos d’al-Umour, le dernier « martyr », étaient collées à l’arrière des voitures.
En l’espace de quelques instants, les milliers de résidents de Tuqu ont inondé la rue principale – les hommes et les adolescents se sont entassés autour de l’ambulance pour porter le corps d’al-Umour, les femmes et les enfants, aux fenêtres et sur les toits, essuyaient leurs larmes.
Une marée humaine s’est jointe à la famille d’al-Umour et à ses amis d’école pour chanter des slogans de libération à travers la ville en portant le corps de leur fils et ami assassiné, drapé dans un drapeau palestinien et couvert d’un kuffiyeh, le traditionnel foulard palestinien.
Quand la procession s’est arrêtée devant la maison de l’adolescent où les femmes de la famille al-Umour attendaient pour dire adieu à Qusay, les chants des hommes dans la rue ont été rapidement couverts par les hurlements et les cris perçants des femmes qui étaient à l’intérieur.
« Ils [les Israéliens] sont des terroristes. Ce sont des tyrans. Ils ne m’ont pas permis de le voir. Ils ne l’ont pas aidé, » a dit, dans un sanglot, Fatima al-Umour, la mère de Qusay, qui s’exprimait avec difficulté. Des dizaines de femmes en deuil se pressaient autour d’elle.
« Je n’arrêtais pas de leur demander [aux soldats] de lui donner les premiers secours mais ils n’ont pas voulu. Ils l’ont traîné plus loin et nous ne savions pas où il était. Ils l’ont emmené derrière la jeep, ont déchiré ses vêtements, puis ils l’ont jeté plus loin, et l’ont laissé [mourir] seul », a-t-elle dit, la tête posée sur l’épaule d’un membre de sa famille, en essayant de se redresser.
« Porte la tête haute, tu es la mère d’un martyr », criaient quelques femmes pour tenter de réconforter Fatima, « ton fils est un héros! »
Les paroles de consolation furent recouvertes par les pleurs de Fatima.
“Oh mon fils bien-aimé! Ils t’ont torturé et traîné par terre. Ils m’ont détruite. Que Dieu les conduisent devant la justice”, a-t-elle continué en gémissant et en fixant des yeux le kuffiyeh qu’il portait sur la tête, tandis que des équipes de télévision, des membres de la famille et des gens en deuil tentaient de passer devant elle.
Les membres de la famille et les forces de sécurité de l’AP transportent le corps de Qusay al-Umour, âgé de 17 ans, de la morgue à l’hôpital Hussein de Beit Jala. (MaanImages / Yumna Patel)
“Ils [les soldats israéliens] l’ont traîné brutalement jusqu’au véhicule militaire. Personne au monde ne ferait une chose pareille”, a déclaré un homme de la famille assis à côté de Fatima, se faisant l’écho de l’horreur des circonstances dans lesquelles l’adolescent avait été tué.
Les résidents de Tuqu – ceux qui étaient présents aux affrontements pendant lesquels Um-Umour a été tué et ceux qui ont vu la vidéo documentant les événements qui ont suivi immédiatement sa mort – semblaient être sûrs de deux choses: le lycéen avait été tué à tort par les forces israéliennes, et ils ne savaient pas, et ne sauront probablement jamais, si Qusay était déjà mort quand les soldats se sont saisi de son corps inanimé, ou s’il est mort pendant qu’il était entre leurs mains.
Les images prises par le journaliste palestinien Hisham Abu Sharqah immédiatement après l’assassinat d’Al-Umour se sont répandues à toute vitesse sur les médias sociaux, car elles semblaient contredire les allégations de l’armée israélienne selon lesquelles Al-Umour avait été le “principal instigateur” des affrontements ce jour-là.
La vidéo montre les forces israéliennes courant vers le corps inanimé de l’adolescent, couché dans un champ d’oliviers à quelque 100 mètres de la route où les affrontements avaient eu lieu
On voit des soldats israéliens atteindre al-Umour couché, inanimé sur le sol, un soldat trébucher sur les jambes d’al-Umour, tandis qu’un autre se penche sur lui et le retourne sur le dos avant l’arrivée d’autres soldats. La vidéo montre alors quatre soldats, traînant l’adolescent inanimé par les bras et les jambes, vers la route où se trouvaient les soldats et les jeeps blindées.
Bien que les rapports initiaux aient affirmé qu’Al-Umour avait reçu six balles, une source médicale de l’hôpital Hussein de Beit Jala, où le corps a été examiné, a dit à Ma’an que l’adolescent en avait reçu quatre – deux dans la poitrine, et une dans chaque hanche.
“Une des balles a perforé son cœur. C’est elle qui a causé sa mort,” a dit la source. Bien que les conclusions médicales ne soient pas encore disponibles, Ahmad al-Umour, un cousin de l’adolescent assassiné, a dit à Ma’an que lui-même – tout comme Fatima, sa famille, et le reste du village – ne savait pas quoi penser.
Interrogé sur l’allégation selon laquelle al-Umour était le “principal instigateur” en dépit du fait qu’il avait été tué à une distance d’au moins 100 mètres du lieu des affrontements, Ahmad s’est avéré incapable de se rappeler les détails de l’incident. Perdu et accablé, il restait fixé sur le moment où Al-Umour avait été traîné au sol et laissé là à perdre son sang, les villageois étant empêchés de le rejoindre. “Ils lui ont tiré quatre balles dans la poitrine et il est tombé tout de suite. Ils l’ont laissé saigner sans lui offrir aucun secours. Nous nous sommes précipités pour l’aider, mais les soldats l’ont emmené dans une base militaire à l’entrée de la ville,” a dit Ahmad. “Alors ils ont informé le bureau de liaison palestinien de son martyre, et le Croissant-Rouge palestinien est allé chercher le corps du martyr.”
Ahmad a réussi à dire quelques mots sur son cousin au moment où le corps d’al-Umour était transporté dans la mosquée, la dernière étape de la procession avant la mise en terre.
“Tous les jeunes du village aimaient Qusay. Il a toujours aidé tout le monde, il aidait ses camarades de classe avec leurs leçons. Il était sociable”, a dit Ahmad, ajoutant qu’Al-Umour était également “actif dans la résistance” contre les soldats israéliens qui font régulièrement des raids dans le village.
Mais quand on les interrogeait sur Qusay ou sur les événements de lundi, Ahmad, Fatima et tous les parents et villageois Ma’an ne pouvaient parler que de la période d’une heure environ où l’adolescent était aux mains des Israéliens avant que son corps ne soit restitué. Pas du fait qu’on lui avait tiré dans la poitrine, mais du fait que l’armée israélienne détenait son corps, et que pour cette raison, ils ne sauraient jamais exactement ce qui lui était arrivé.
Sur toutes les bannières accrochées dans les rues du village et les affiches collées à l’arrière des voitures, il y avait une grande photo des quatre soldats israéliens traînant le corps inanimé d’Al-Umour par les jambes et les bras, surmontée d’un souriant portrait de l’adolescent assassiné, à droite, et du président palestinien Yasser Arafat, à gauche.
Bien que les rapports médicaux puissent normalement permettre de savoir si Al-Umour a été tué instantanément ou s’il est mort après avoir été traîné par les forces israéliennes et avoir été détenu en Israël, il restera toujours un doute sur les événements qui entourent la mort de l’adolescent.
D’après Ma’an, al-Umour est le 251e Palestinien tué par les Israéliens depuis octobre 2015 qui a vu le début d’une vague de troubles en Cisjordanie occupée, à Jérusalem-Est et en Israël. Bien que la majorité des Palestiniens aient été tués par les forces israéliennes après avoir tenté ou mené des attaques contre des Israéliens, au moins 65 Palestiniens comme al-Umour ont été abattus pendant des heurts avec les forces israéliennes.
Al-Umour était le quatrième palestinien tué par les forces israéliennes en janvier 2017. Mais mardi, un autre Palestinien a été tué par les forces israéliennes au nord de la Cisjordanie occupée, après avoir soi-disant tenté de poignarder des soldats israéliens. Dans des dizaines de cas, la version israélienne des événements a été contestée par des témoins, des militants et des groupes de défense des droits de l’homme qui ont dénoncé ce qu’ils appellent la politique de « tirer pour tuer » des Palestiniens qui ne constituaient pas une menace au moment de leur mort, ou qui auraient pu être maîtrisés de manière non létale – dans un contexte d’impunité totale des forces israéliennes qui commettent ces meurtres.
Lorsqu’on a demandé aux autorités israéliennes si elles ouvriraient une enquête sur la mort d’al-Umour, comme ils l’ont fait dans quelques rares cas, un porte-parole de la police israélienne a dit à Ma’an qu’il « n’avait pas connaissance » d’une enquête.
Même si une enquête était ouverte, le précédent du cas de Khalid Bahr, âgé de 15 ans, tué par les forces israéliennes en octobre pour avoir lancé des pierres contre des soldats lors d’un raid, jette le doute sur la possibilité que l’armée reconnaisse sa responsabilité. Alors que les témoins ont affirmé que Bahr rentrait de l’école et ne lançait pas de pierres, et qu’une enquête interne de l’armée israélienne a révélé ultérieurement que la vie des soldats israéliens n’était pas en danger quand Khalid a été tué, rien n’est arrivé aux soldats qui ont tué l’adolescent.
Selon le groupe de défense des droits humains Yesh Din, sur 186 enquêtes criminelles ouvertes par l’armée israélienne en 2015 sur des infractions dont des Palestiniens auraient été victimes, quatre seulement ont abouti à des inculpations.
Que la mort d’Al-Umour ait ou non des conséquences plus larges sur le fait que les forces israéliennes soient obligées de rendre des comptes, cela ne changera probablement pas grand-chose pour la famille d’al-Umour, ses amis et les villageois. « Ils l’ont emmené à environ un kilomètre de distance sans lui prodiguer aucune soin et l’ont laissé saigner à mort », a dit un parent d’al-Umour à Ma’an pendant les funérailles: « Que dire de cette manière de tuer un enfant ? C’est le comportement de criminels et de terroristes. »
17 janvier 2017 – Maan-News – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet