Par Ramzy Baroud
Le meurtre de sang-froid d’Iyad Hallaq n’aurait peut-être pas reçu beaucoup d’attention s’il n’avait pas eu lieu cinq jours après le meurtre tout aussi déchirant d’un homme noir de 46 ans, George Floyd, à Minneapolis, aux mains de la police américaine.
Les deux crimes convergent, non seulement par leur ignominie et la décadence morale de leurs auteurs, mais aussi parce que d’innombrables policiers américains ont été formés en Israël, par les mêmes “forces de sécurité” israéliennes qui ont tué M. Hallaq. La pratique consistant à tuer des civils, avec efficacité et cruauté, est aujourd’hui un marché en plein essor. Israël est le plus gros contributeur de ce marché ; les États-Unis en sont le plus gros client au monde.
Lorsque des milliers de personnes se sont précipitées dans les rues de Palestine, dont des centaines de militants palestiniens et israéliens juifs à Jérusalem, scandant « justice pour Iyad, justice pour George », leur appel à la justice était une réaction spontanée et sincère à une si grande et si flagrante injustice.
L’histoire de M. Hallaq peut sembler particulièrement unique, car le “terroriste présumé” a été tué alors qu’il marchait dans la rue King Faysal de Jérusalem, en allant sortir les poubelles. Il avait peur des soldats et la vue du sang le terrifiait.
« Il avait aussi peur des agents de police armés qui stationnaient le long du trajet menant au centre spécialisé où il suivait une formation professionnelle, » rapporte le journal israélien Haaretz.
Les nombreuses craintes de M. Hallaq, qui ont pu paraître exagérées par sa famille, se sont matérialisées. Même une personne autiste en Palestine n’est pas à l’abri de la vengeance des soldats.
Mais Iyad Hallaq n’avait pas besoin de mourir pour qu’Israël préserve son sentiment pathologique de “sécurité”. Qu’il ait déjà été blessé par balles, trouvé en sang dans une salle à ordures à ciel ouvert dans la vieille ville de Jérusalem, n’a pas été suffisant pour lui épargner cet horrible sort. Le fait que cet homme hurle de douleur tout en se cachant derrière son soignant, qui plaidait avec les soldats les suppliant de cesser de cribler son corps déjà en sang de plus de balles, n’a pas non plus suffi.
Et pourtant, les soldats se sont avancés, et de très près ont tiré trois balles dans la partie médiane du corps de Iyad Hallaq tandis qu’il gisait sur le dos blessé. Instantanément, le jeune homme, “la prunelle des yeux de ses parents”, a cessé de respirer.
« Il était l’amour de notre mère, toute sa vie, » a dit Diana, sœur d’Iyad, dans une interview au magazine +972, ajoutant :
« Elle lui tenait la main comme s’il s’agissait d’un bébé, et il l’accompagnait au marché, ou à la mosquée ou au magasin de vêtements. Il était comme son ombre. Elle s’inquiétait pour lui et craignait que d’autres enfants ne l’embêtent ou lui fassent du mal. »
Pris au dépourvu par la nature macabre du meurtre et l’état mental de la victime, les conseillers en communication d’Israël ont réagi rapidement pour circonscrire les dégâts, au départ propageant le mensonge selon lequel Iyad Hallaq tenait à la main un révolver-jouet au moment de la fusillade, puis ont fait marche arrière, promettant l’ouverture d’une enquête.
Mais une enquête , pour quoi ? Au cours des dernières années, l’armée israélienne a mis à jour son code de conduite, adoptant une politique de « tirer pour tuer » sur tout Palestinien qu’elle soupçonne de tenter de nuire à des soldats de l’occupation israélienne, même lorsque le “présumé” agresseur palestinien ne représente plus une menace.
En ce qui concerne Gaza, où les manifestants sont séparés des tireurs d’élite israéliens par des fils barbelés et par un espace vide de près d’un kilomètre six, l ’armée israélienne a donné l’ordre, dès juin 2019, de tirer pour tuer les “instigateurs clés” des manifestations de masse même lorsqu’ils étaient “au repos”. Des centaines de personnes ont été tuées de cette façon lors de la Grande Marche du Retour à Gaza, ainsi que les “instigateurs clés” dont du personnel médical, des journalistes, des jeunes garçons, et des jeunes filles.
L’assassinat de civils palestiniens est, en effet, un phénomène récurrent. Ce sont des évènements réguliers dévastateurs avec lesquels les Palestiniens sont forcés de cohabiter depuis de nombreuses années et pour lesquels Israël n’a jamais dû rendre de comptes.
Rien que le jour précédent le meurtre de Hallaq, Fadi Samara Qaad, 37 ans, a été tué par des soldats de l’occupation israélienne alors qu’il circulait au volant de sa voiture près du village palestinien de Nabi Saleh, à l’ouest de Ramallah.
L’armée israélienne a immédiatement prétendu que M. Quad « avait essayé de foncer avec sa voiture sur un groupe de soldats » avant qu’ils n’ouvrent le feu, le tuant sur place.
C’est le prétexte incontournable de l’armée israélienne qui est souvent servi lorsqu’un conducteur palestinien est abattu par des soldats israéliens. Sinon, la victime palestinienne, homme ou femme, ou même enfant, est souvent accusé de tenir un ‘objet tranchant’.
Le handicap mental de M. Hallaq aurait pu lui épargner, aux yeux de certains, d’être perçu comme l’archétype du ‘terroriste’, bien que l’armée israélienne ait immédiatement fait une descente chez lui, cherchant des ‘preuves’ qui l’impliqueraient et seraient utiles à leur sinistre propagande.
Dans le cas de M. Qaad, ouvrier palestinien, qui allait rejoindre son épouse dans une ville voisine pour célébrer la fête de l’Aïd musulman, les déclarations de l’armée israélienne suffisent, aucune question n’est posée.
C’est la même logique étouffante qui prévaut en Palestine depuis tant d’années, sans fin en vue. Des enfants sont tués pour avoir lancé des pierres sur des hommes armés, qui ont envahi leur maison et village ; des femmes enceintes sont abattues à des postes de contrôle de l’armée israélienne ; des hommes amputés des jambes en fauteuil roulant sont tués par des tireurs d’élite lors de manifestations pour réclamer leur liberté.
Tout ceci se produit en l’absence totale d’un quelconque horizon politique prometteur. Il a même été mis fin à l’interminable et finalement inutile “processus de paix” en faveur d’un soutien américain accru à Israël et à la folle ruée du gouvernement israélien pour étendre les colonies juives illégales.
Pour garantir ses réalisations coloniales – comprenez : vol de terre – le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est sur le point de dévoiler le joyau de son héritage, alors qu’il se prépare à l’expansion des frontières d’Israël par l’annexion d’encore plus de terre palestinienne.
Inspirés par la lutte commune qui les lie à leur frères noirs américains, les Palestiniens n’ont plus maintenant que leurs cris de justice : la vie des Palestiniens compte, espérant, pour une fois, que le monde puisse entendre leurs cris et leur faire écho, et peut-être faire quelque chose.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
10 juin 2020 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB