Par Adnan Abu Amer
Les récentes rencontres entre les représentants du Fatah et du Hamas ont fait l’objet d’une large couverture par les médias israéliens.
Ces réunions sont une source de grande inquiétude si elles amènent à assurer au mouvement Hamas une couverture politique et sécuritaire en Cisjordanie occupée, lui permettant de reprendre les opérations de résistance contre Israël. Surtout si l’Autorité palestinienne met fin à sa propre persécution du mouvement de la résistance islamique…
La dernière rencontre à distance a eu lieu entre Jibril Rajoub, secrétaire général du Comité central du Fatah et ancien chef de la Force de sécurité préventive [de l’Autorité palestinienne, ou AP], et Saleh Al-Arouri, le responsable adjoint du Bureau politique du Hamas, qu’Israël présente comme “l’orchestrateur des attaques armées en Cisjordanie”.
Les Israéliens estiment que cette réunion da donné le feu vert au Hamas pour opérer en Cisjordanie, même si Mahmoud Abbas ne souhaite pas le retour de la résistance armée.
La rencontre Rajoub-Al-Arouri a été suivie d’une autre entre Ahmed Helles, le responsable du Fatah pour le dossier de Gaza, et Husam Badran, le responsable des relations nationales du Hamas. L’occupant israélien craint que cela ne marque la fin de la situation relativement maîtrisée sur le terrain.
Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à de nombreuses rencontres entre le Fatah et le Hamas, et à de nombreuses embrassades, sourires et poignées de main. À presque toutes ces occasions – trop nombreuses pour être comptées – nous avons entendu de Gaza, du Caire, de Beyrouth, de Doha et de Moscou, ainsi que de lieux tenus secrets, qu’une nouvelle page était tournée dans leurs relations. Cependant, le point commun de toutes ces annonces est que rien n’en est sorti.
Peut-on s’attendre à quelque chose de différent cette fois-ci ?
“Nous n’avons pas d’autre ennemi qu’Israël”
Concernant ces récentes réunion, les Israéliens ont noté deux choses qui sont nouvelles : 1) ni Rajoub ni Al-Arouri n’ont fait de déclarations publiques sur la fin de la division, la formation d’un gouvernement d’unité ou la tenue de nouvelles élections ; 2) le parti qui a poussé les anciens dirigeants à reprendre langue est Israël.
Du point de vue israélien, l’AP avait un objectif clair lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion, et il ne s’agissait pas d’une réconciliation avec le Hamas. Elle ne voulait que contrarier Israël après avoir mis fin à sa coordination en matière de répression. Mais donner au Hamas le feu vert pour opérer en Cisjordanie est la prochaine étape de la campagne anti-annexion.
Bien sûr, ils ne l’ont pas dit ainsi, mais c’était la conclusion lorsque nous avons entendu des expressions telles que “une lutte commune sur le terrain”. Rajoub a déclaré : “Nous n’avons pas d’autre ennemi qu’Israël” et Al-Arouri a semblé heureux de cette annonce et a appelé à une lutte commune en Cisjordanie.
En dépit de tous ces éléments, les Israéliens sont convaincus qu’Abbas s’en tiendra à sa politique d’opposition à la lutte armée. On peut imaginer qu’il ne veut pas vraiment voir les drapeaux verts du Hamas apparaître à chaque coin de rue dans le territoire palestinien sous occupation…
Cependant, lorsque Rajoub parle du Hamas en termes de lutte commune contre le plan israélien d’annexion, et avec l’homme responsable de l’établissement de l’infrastructure militaire du Hamas en Cisjordanie, assis virtuellement à côté de lui, il court le risque “d’enfourcher le tigre”. Cette rencontre du Fatah et du Hamas peut avoir des conséquences immédiates sur la volonté de ce dernier à mener des attaques de la résistance armée dans les territoires occupés.
“Feu vert” pour le mouvement Hamas en Cisjordanie occupée ?
Les échanges en Israël, quant à eux, insistent sur le fait que la rencontre entre Rajoub et Al-Arouri est le signe d’un partenariat entre le Fatah et le Hamas. Une telle coopération inquiète au plus haut point les Israéliens car, aussi limitée soit-elle, cette coopération reste un élément de première importance pour leur pays. La rapidité avec laquelle l’accord entre les deux mouvements a été trouvé a surpris les services de sécurité israéliens, même s’ils n’étaient pas été aveugles à cette possibilité dès l’instant où Benjamin Netanyahou a annoncé son plan d’annexion.
Les Israéliens n’accordent pas beaucoup d’attention à ce qui se dit dans les conférences de presse palestiniennes organisées conjointement par le Fatah et le Hamas, car ce qui est important, c’est ce qui se passe sur le terrain. Tout dépend donc de l’annonce possible par l’AP qu’elle n’arrêtera pas les membres du Hamas et les laissera opérer librement en Cisjordanie.
En évoquant ces réunions Fatah-Hamas, les Israéliens livrent quelques informations importantes quant aux participants. Rajoub, par exemple, est l’un des principaux prétendants à la succession d’Abbas, et il s’est allié avec l’ancien chef des services de renseignement, Tawfik Tirawi, ainsi qu’avec le neveu de Yasser Arafat, Nasser Al-Qudwa.
Il s’est même réconcilié jusqu’à un certain point récemment avec son ancien rival Mohammed Dahlan, lequel a été chassé de la Palestine occupée et vit en exil à Abu Dhabi et en Serbie, d’où il tente en permanence d’acheter des amis et de l’influence dans les rangs du Fatah.
Toujours selon les discussions en Israël, Rajoub n’est pas le choix d’Abbas pour être son successeur ni celui de l’AP. Cependant, le chef de l’AP a choisi Rajoub pour coordonner les protestations contre les plans d’annexion d’Israël, et Rajoub se présente également comme le seul homme du Fatah capable de parvenir à un accord avec le Hamas.
Le frère de Rajoub, Sheikh Nayef Rajoub, est par ailleurs un haut responsable du Hamas en Cisjordanie.
Al-Arouri est un homme rapide à comprendre et d’une grande finesse, et il a vite compris les avantages d’une rencontre avec Rajoub. Il est maintenant convaincu que le Hamas sera en mesure d’organiser de grandes manifestations en Cisjordanie, ce que le Fatah a été incapable de faire. Les militants du Hamas seront à l’abri d’une arrestation par les forces répressives de l’AP et pourront se regrouper, au moins dans les cercles politiques.
Selon l’interprétation israélienne, les réunions du Fatah et du Hamas pourraient créer une situation positive pour la résistance sur la scène palestinienne, les affrontements entre les dirigeants des mouvements étant remplacés par une coordination et des garanties mutuelles. C’est vraiment la dernière chose qu’Israël souhaite…
Auteur : Adnan Abu Amer
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l'université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l'histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël.Il est titulaire d'un doctorat en histoire politique de l'université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l'histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes. Son compte Facebook.
9 juillet 2020 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine