Par Adnan Abu Amer
L’annonce de l’annexion par Israël de grandes parties de la Cisjordanie occupée, a engendré des développements importants sur la scène politique palestinienne. Il semble de plus en plus probable que l’Autorité palestinienne (AP) soit dissoute, ou, du moins, que ses pouvoirs soient considérablement réduits.
Fin mai, les responsables palestiniens ont annoncé qu’ils mettaient fin à la coordination sécuritaire avec Israël en réponse aux menaces d’annexion du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Peu de temps après, les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne se sont retirées des zones dans lesquelles elles opéraient conjointement avec les forces israéliennes dans le nord et l’est de Jérusalem, y compris des villes d’Abu Dis, Bedou, Qatana et Beit Iksa.
À peu près au même moment, l’Autorité palestinienne a annoncé qu’elle n’accepterait plus les transferts des impôts qu’Israël perçoit en son nom et qui servent à payer les salaires et les services en Cisjordanie et à Gaza. Elle a également cessé de délivrer des permis aux Palestiniens vivant en Cisjordanie pour passer en Israël.
Cela a créé de la confusion et conduit à des scènes chaotiques devant les bureaux de liaison israéliens en Cisjordanie, en particulier à Al-Khalil (Hébron), où des milliers de Palestiniens se sont rassemblés pour obtenir des permis. L’Autorité palestinienne s’est contentée d’observer la situation sans intervenir.
Elle n’a pas fait grand-chose non plus pour stopper le flux de travailleurs, d’hommes d’affaires et de malades qui passent chaque jour en territoire israélien, malgré la situation d’urgence engendrée par le coronavirus. Dans le passé, le passage des Palestiniens était toujours coordonné entre Israël et l’Autorité palestinienne pour assurer la sécurité et l’ordre. Il semble que, du coup, les autorités israéliennes établissent progressivement des relations directes avec la population palestinienne, en se passant de la médiation de l’AP.
L’AP a été créée en 1994 à la suite des accords d’Oslo et était censée être un organe temporaire pour faciliter la transition vers un État palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza. Le violent mépris israélien pour les droits des Palestiniens et le processus qui devait mener à un État palestinien toutes ces dernières années, avec le soutien plein et entier de l’administration Trump, a gravement sapé les pouvoirs politiques de l’AP, en semblant la réduire à un sous-traitant – ce que Ramallah refuse d’accepter.
Cela fait un certain temps que l’AP craint ce qui est en train de se produire : à savoir qu’Israël affaiblisse son pouvoir en établissant des relations directes avec le public palestinien, ce qui la rendrait inutile au plan politique. Récemment, les responsables de l’Autorité palestinienne ont averti que l’AP ne se laisserait pas réduire à un conseil local ou à une association caritative.
Dans le même temps, l’Autorité palestinienne a pris un certain nombre de mesures de sécurité en vue de l’annexion. Selon des informations parues dans les médias israéliens, en juin, elle a fait enlever les armes illégales qui se trouvaient dans ses bureaux de peur que des membres du Hamas ne s’en saisissent et ne lancent une attaque armée contre les forces israéliennes si les tensions s’intensifiaient en Cisjordanie.
Il s’agit d’armes collectées auprès de la population civile lors d’opérations de désarmement menées depuis la fin de la deuxième Intifada en 2005.
L’AP est également en possession de 26 000 kalachnikovs et pistolets et de dizaines de véhicules blindés sous licence des autorités israéliennes d’occupation qui contrôlent l’armement des forces palestiniennes conformément aux accords d’Oslo.
Selon la chaîne de télévision israélienne Kan, l’AP a prévu de remettre ces armes à Israël, en cas d’escalade en Cisjordanie suite à l’annexion. Elle prévoit de les envoyer dans des camions à la base militaire de la colonie israélienne de Beit El au nord de Ramallah et de laisser l’armée israélienne assumer l’entière responsabilité de la sécurité de la Cisjordanie.
On a aussi appris que les services de renseignement palestiniens avaient reçu des instructions pour faire disparaître les documents sécuritaires secrets de leurs bureaux.
Étant donné qu’Israël a pleinement connaissance des opérations de sécurité de l’Autorité palestinienne – soit parce qu’elle transmet ces informations directement aux Israéliens, soit parce que ces derniers ont des espions dans ses rangs – cette mesure vise probablement à empêcher le peuple palestinien de mettre la main sur des fichiers qui pourraient nuire à des personnalités de l’AP qui collaborent avec Israël. La dernière fois que l’Autorité palestinienne a donné de telles consignes, c’était au début de la deuxième Intifada en 2000.
La mise à l’écart de l’Autorité palestinienne n’est pas seulement un problème pour Ramallah, ce sera bientôt aussi un problème pour Israël. Si l’Autorité palestinienne dissout son appareil de sécurité, la responsabilité d’assurer la sécurité en Cisjordanie incombera aux autorités israéliennes, ce qui ne sera pas sans risques pour ces dernières.
Les universitaires israéliens ont déjà alerté sur les conséquences de la mise à l’écart de l’AP. Dans un éditorial du média israélien Ynet, Michael Milstein, le chef du Forum des études palestiniennes à l’Université de Tel Aviv, a écrit que cela pouvait devenir un “cauchemar” pour Israël.
Selon Milstein, si les Palestiniens établissent des relations directes avec Israël, ils réclameront une amélioration de leur niveau de vie et des services aux autorités israéliennes et finiront par exiger d’elles la citoyenneté, ce qui serait une nouveau pas vers la solution à un seul État.
C’est sans doute cette prise de conscience, outre les pressions occidentales, qui a poussé le gouvernement israélien à retarder l’annonce de l’annexion. Les leaders les plus intelligents de la direction conservatrice israélienne ont peut-être prévalu, ceux qui se sont rendu compte que leur expansionnisme agressif de ces dernières années les avaient inexorablement rapprochés des conséquences redoutées mais inévitables de leur volonté de coloniser toute la Palestine : l’établissement d’un État israélo-palestinien avec la pleine citoyenneté et l’égalité des droits pour tous ses habitants.
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l’université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l’histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël. Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes.
27 juillet 2020 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet