Par Belal Shobaki
Lorsque Ahmad Al-Shuqairi a fondé l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1964, il imaginait une entité qui représenterait tous les Palestiniens.
Cependant, il n’a pas pu aller au bout de cette vision car le Fatah a exprimé son manque de confiance en lui et en sa politique dans une déclaration à la réunion des ministres arabes des affaires étrangères du 9 décembre 1967 au Caire. Le Fatah s’était auparavant prononcé contre la tutelle arabe de la cause palestinienne et pour la nécessité de libérer la Palestine par la lutte armée. La position actuelle du Hamas et du Jihad islamique à l’égard de la plate-forme politique de l’OLP s’apparente à celle du Fatah à la fin des années 60.
Cependant, la position des deux mouvements islamistes s’est fondée non seulement sur la critique de la plate-forme politique et de la structure organisationnelle de l’OLP, mais aussi sur sur des bases doctrinales. Alors qu’il n’a fallu qu’un an au Fatah pour adhérer à l’OLP après la publication de sa déclaration de 1967, ni le Hamas, créé en 1987, ni le Djihad islamique n’ont pu s’y joindre à ce jour. Pendant de nombreuses années, aucun des deux mouvements n’a pu séparer ses convictions politiques de ses convictions religieuses sans saper complètement ses principes fondamentaux et perdre ses électeurs. Cependant, au cours des trois décennies mouvementées passées dans l’arène politique palestinienne, tant le Hamas que le Jihad islamique – et en particulier le Hamas – ont fait évoluer leur position vis-à-vis de l’OLP.
Ce document traite de l’évolution de chaque mouvement islamiste au cours des trois dernières décennies ainsi que de leur pragmatisme croissant. Il examine la manière dont les obstacles à l’intégration des deux organisations sont désormais plus politiques que doctrinaux, et propose un certain nombre de points de départ pour la reconstruction du mouvement national palestinien.
Le Hamas, le Jihad islamique et la longue route vers la déclaration du Caire
Lorsque le Hamas a publié sa charte en 1988, il s’adressait à l’OLP dans l’article 27, en ces termes :
L’Organisation de libération de la Palestine est la plus proche du cœur du Mouvement de résistance islamique… Nous partageons la même patrie, le même malheur, le même destin et le même ennemi. Influencée par les circonstances entourant sa fondation, la confusion intellectuelle qui règne dans le monde arabe… l’OLP a embrassé l’idée d’un État laïque. L’idéologie laïque est diamétralement opposée à l’idéologie religieuse. L’idéologie détermine les positions, les modes de conduite et les résolutions. C’est pourquoi, si le Mouvement de la résistance islamique exprime son appréciation pour l’OLP… il ne peut échanger la nature islamique de la Palestine contre une pensée laïque… C’est lorsque l’OLP adoptera définitivement l’Islam comme ligne directrice que nous deviendrons ses combattants et le combustible de son feu qui brûlera les ennemis.
Il est clair que ces propos positifs à l’égard de l’OLP ne pouvaient pas combler le fossé laïco-religieux entre les deux mouvements. En effet, la position du Hamas suggère qu’il a cherché à assurer un leadeship dès le début. Tout en se présentant comme un mouvement de libération contre l’occupation, le Hamas avait une vision claire de l’avenir de la Palestine en tant que pays islamique où l’Islam était pratiqué comme un mode de vie. Sa position suggère également que l’échec de l’OLP à embrasser l’Islam de cette manière empêcherait le Hamas de rejoindre les rangs du Fatah contre l’occupation, et même qu’il ne combattrait pas l’occupation sous l’égide de l’OLP. En fait, le Hamas a appelé à plusieurs reprises à des actes de résistance pendant la première Intifada qui étaient différents de ceux défendus par les différentes factions de l’OLP. En réponse, l’OLP a contesté le patriotisme du Hamas et a accusé le mouvement de saboter le consensus national.
Les développements de ces dernières années favorisent une relance de l’OLP bien qu’il y ait encore des oppositions institutionnelles à surmonter.
Étant donné que la charte du Hamas ne traitait pas pleinement de la position de l’organisation sur l’OLP en tant que représentant légitime du peuple palestinien, le Hamas a par la suite publié des déclarations plus claires concernant les mécanismes utilisés pour constituer le Conseil national palestinien (CNP) ainsi que la plate-forme politique de l’OLP. Par exemple, dans sa réponse d’avril 1990 à l’invitation du président du CNP de l’époque, Abdul Hamid Al-Sayeh, à participer aux préparatifs de la prochaine session du CNP, le Hamas a exposé deux de ses principaux désaccords avec l’OLP :
1) La légitimité de la représentation du peuple palestinien par l’OLP est conditionnée par le fait que le CNP reflète le poids respectif des différentes factions en fonction des élections ou des nominations ;
2) La plate-forme politique de l’OLP ne doit pas contredire les croyances du peuple palestinien musulman telles qu’elles sont énoncées dans la charte du Hamas, qui stipule que le fait de renoncer à une partie quelconque de la terre viole la doctrine islamique, et que le fait de séparer le politique du religieux vide les mouvements civils, les institutions et les organisations de tout rôle significatif.
Lorsque la première Intifada a diminué d’intensité et que l’ère d’Oslo a commencé, l’OLP est entrée en état de suspension, tandis que la charte du Hamas était un document ignoré auquel personne ne faisait référence, à l’exception des universitaires dans leurs recherches et des politiciens israéliens dans leurs efforts pour condamner le Hamas dans les forums diplomatiques ou les médias. Au cours des années 1990, le Fatah, préoccupé par la gestion de l’Autorité palestinienne (AP) sous le régime d’occupation, a mis l’OLP sur la touche tandis que le Hamas lançait une résistance armée, devenant ainsi la cible non seulement d’Israël mais aussi des services de sécurité de l’AP.
L’échec des négociations de Camp David en 2000 pour transformer l’AP de l’après-Oslo en un État palestinien et le déclenchement de la deuxième Intifada ont inauguré une nouvelle phase dans laquelle les factions de l’OLP sont revenues à la résistance contre l’occupation aux côtés du Hamas et du Jihad islamique. Comme dans le cas de la première Intifada, la résistance n’a pas été organisée sous un même et unique parapluie politique. Cependant, les désaccords internes palestiniens ont été moins aigus, en particulier en raison de l’invasion à grande échelle du territoire palestinien occupé (TPO) par le Premier ministre israélien Ariel Sharon.
La déclaration du Caire de 2005 reste aujourd’hui une base solide pour reconvoquer les factions politiques qui représentent la principale ressource et la légitimité de l’OLP.
La déclaration du Caire a permis de dégager un consensus palestinien sur la nécessité de relancer l’OLP, surtout après les tentatives israéliennes de miner l’AP. En effet, les partis politiques réunis au Caire ont estimé que le maintien de l’OLP à l’écart équivalait à un suicide politique. La Déclaration affirmait donc que les personnes réunies :
… ont convenu de développer l’Organisation de libération de la Palestine sur des bases qui seront réglées de manière consensuelle afin d’inclure toutes les forces et factions palestiniennes, l’organisation étant le seul représentant légitime du peuple palestinien. Pour ce faire, il a été convenu de former un comité pour définir ces bases, et ce comité sera composé du président du Conseil national, des membres du Comité exécutif de l’OLP, des secrétaires généraux de toutes les factions palestiniennes et de personnalités nationales indépendantes. Le président du comité exécutif convoquera ce comité.
Pour le Hamas, la déclaration du Caire a représenté un net changement par rapport à ses anciennes positions. C’est en partie à la suite de cette déclaration qu’il a décidé de participer aux deuxièmes élections du Conseil législatif palestinien (CLP), alors que ce conseil avait été créé dans le cadre des accords d’Oslo, qu’il voyait comme une trahison. En effet, le Hamas avait refusé de participer aux élections de 1996 du CLP et avait interdit à ses membres de le faire. Cependant, le Hamas a considéré que les Accords avaient été invalidés lorsque les chars de Sharon ont démoli le siège de l’AP.
Il a également attribué le retrait d’Israël de Gaza à sa résistance. Les acteurs locaux et internationaux ont approuvé la participation du Hamas ou ont fermé les yeux sur celle-ci, pensant qu’elle allait l’intégrer et le contenir dans le cadre de l’AP, comme l’a déclaré sans équivoque Condoleezza Rice, alors conseillère à la sécurité nationale des États-Unis.
La déclaration du Caire s’est également démarquée des premières déclarations du Djihad islamique. Bien que le Djihad islamique se soit rarement heurté à l’OLP et au Fatah puisqu’il n’est pas un rival sur le plan électoral, sa position n’était pas très différente de celle du Hamas. Son fondateur et secrétaire général, Fathi Shaqaqi, a exposé la position de son mouvement :
Les points de faiblesse du projet national palestinien résident dans l’idéologie politique nationale elle-même qui exclut l’Islam. En même temps, le mouvement islamique traditionnel n’était pas impliqué dans la cause palestinienne… Ceux qui ont embrassé l’idéologie islamique ne se sont pas engagés en Palestine, tandis que ceux qui l’ont fait (le mouvement national) ont exclu l’Islam de leur rhétorique intellectuelle et révolutionnaire. Nous, d’autre part, avons découvert que la Palestine était une partie fondamentale du Coran, et nous avons donc réalisé que la cause palestinienne était au centre du mouvement islamique et de la nation islamique et arabe. [1]
Au-delà des années perdues dans la division
En signant la déclaration du Caire, qui appelle à la relance de l’OLP sur la base du consensus, le Hamas et le Djihad islamique estiment que la question de l’idéologie de l’OLP ainsi que la question de l’adoption de l’Islam ont été transcendées. Sur la base de cette déclaration, les deux mouvements pouvaient rejoindre l’OLP ; les conditions d’accès étaient en définitive plus procédurales que substantielles.
Cependant, les développements politiques ultérieurs ont inhibé toute voie constructive. En 2006, le Hamas a remporté les élections législatives, mais le Fatah ainsi que les acteurs régionaux et internationaux ont refusé d’accepter ce résultat et ont cherché à saboter sa prise de responsabilté. En 2007, le Hamas a autorisé sa branche militaire à prendre le contrôle de Gaza. Depuis lors, le mouvement national palestinien est déchiré par des luttes intestines et les Palestiniens ont dépensé la majeure partie de leur énergie politique à gérer la division Fatah-Hamas plutôt qu’à s’appuyer sur les succès de la Déclaration du Caire pour relancer l’OLP. Le coût pour le peuple palestinien et sa cause a été quasiment désastreux.
Lire également : La question de la représentation palestinienne : Élections vs Recherche d’un consensus (site d’ISM France)
Les développements de ces dernières années ont permis d’envisager une relance de l’OLP, même s’il reste des concurrences institutionnelles à surmonter. Par exemple, le Fatah serait désireux de relancer l’OLP afin de créer un nouvel espace en dehors de l’AP qui réduirait le Hamas à la taille congrue. De plus, le Fatah voudrait faire revivre l’OLP sans réformes ni élections – un point de désaccord important. Il a également exigé que le Hamas et le Jihad islamique reconnaissent l’OLP comme le seul représentant légitime du peuple palestinien sans conditions préalables, ce que les deux mouvements ont refusé à plusieurs reprises.
Néanmoins, les pressions exercées sur les deux mouvements ainsi que les transformations régionales liées aux soulèvements arabes, à la baisse du soutien syrien et iranien et à la disparition des Frères musulmans en Égypte ont poussé le Hamas et le Djihad islamique à modifier leur discours politique, y compris sur l’OLP.
Le document de 2017 du Hamas sur les principes généraux et les politiques a remplacé la charte originale, déclarant que “l’OLP est un cadre national pour le peuple palestinien à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine. Elle doit donc être préservée, développée et reconstruite sur des bases démocratiques afin d’assurer la participation de tous les constituants et forces du peuple palestinien, d’une manière qui garantisse les droits des Palestiniens”. Cette déclaration indique clairement que le Hamas accorde plus d’attention aux cadres démocratiques et aux droits politiques plutôt que de se référer à son ancienne phraséologie islamiste. Ce changement majeur peut être exploité pour faciliter l’adhésion du Hamas à l’OLP.
Ce document a voulu montrer comment le Hamas et le Jihad islamique ont évolué – des années 1980 à la Déclaration du Caire de 2005 et aux élections subversives de 2006 – dans leur position vis-à-vis de l’OLP en tant que seul représentant du peuple palestinien. Il n’a pas cherché à aborder l’impact de cette division sur le projet national palestinien ou sur le sort du peuple palestinien et il s’est plutôt concentré sur les changements significatifs intervenus au sein du Hamas et du Jihad islamique, qui sont passés d’une approche doctrinale de la gouvernance à une approche démocratique.
Quant au Jihad islamique, bien que son nouveau document de 2018 réaffirme que l’OLP ne représente pas l’ensemble du peuple palestinien et qu’elle doit être reconfigurée, il n’invoque pas la rhétorique de Shaqaqi sur l’ancrage de l’action nationale dans les enseignements islamiques. Il appelait plutôt à la reconstruction de l’OLP par des moyens démocratiques. Le refus du Jihad islamique de signer la déclaration de clôture des réunions de Moscou de 2019 était tout à fait conforme à son document politique : il rejette la présentation de l’OLP comme étant le seul représentant légitime du peuple palestinien s’il n’est pas fait référence à la nécessité de réformes et d’élections pour choisir les membres du CNP.
Mettre fin à la division et reconstruire l’OLP
Les pressions sur le Hamas et le Fatah se sont accrues. L’AP en tant que structure nationale a été érodée et ses rôles fonctionnels ont été renforcés. Le Hamas et le Jihad islamique éprouvent des difficultés en raison du blocus, des transformations régionales et de leur engagement dans la gestion des affaires publiques dans la bande de Gaza, alors qu’ils continuent d’être réprimés en Cisjordanie. Les deux factions doivent maintenant faire face à la redoutable menace de la pandémie du COVID-19.
Le développement le plus significatif qui pousse les Palestiniens à rejoindre l’OLP est peut-être extérieur au corps politique palestinien : non seulement les tentatives de longue date pour parvenir à un règlement politique avec Israël ont échoué, mais la décision d’Israël d’annexer directement la Cisjordanie, après avoir annexé Jérusalem-Est et le plateau du Golan, n’a même pas laissé entrevoir la possibilité d’un règlement négocié.
Le besoin des Palestiniens d’un leadership efficace et représentatif n’a jamais été aussi fort. Actuellement, il n’existe pas un seul organe politique qui puisse prétendre être le seul et légitime représentant du peuple palestinien, et il n’y a pas de propositions visant à créer un tel organe. Toutes les factions, y compris le Hamas et le Jihad islamique, reconnaissent l’importance et la nécessité de revitaliser l’OLP et de rétablir ses pouvoirs et son autorité. Le Hamas et le Jihad islamique ont su dépasser leur ancienne condition préalable selon laquelle l’OLP devait adopter l’Islam comme base de toutes leurs initiatives et activités.
La déclaration du Caire de 2005 constitue toujours une base solide pour réunir à nouveau les factions politiques qui constituent la principale composante de l’OLP. Le document politique du Hamas de 2017 et celui du Djihad islamique de 2018 contribuent également à la marche à suivre. Le consensus autour de la nécessité de réformer et de revitaliser l’OLP doit aboutir à un consensus sur la méthode d’élection du CNP. Un accord doit être conclu sur les mécanismes des élections, là où cela est possible, et sur d’autres méthodes pour assurer la représentation des Palestiniens qui ne peuvent pas participer aux scrutins. Le mandat du CNP nouvellement constitué comprendrait la révision du programme politique de l’OLP et la création de comités chargés de reconstruire et de restructurer les institutions de l’OLP conformément à ce programme politique – c’est-à-dire mettre en place des institutions représentatives de tous les Palestiniens.
Le peuple palestinien, sur sa terre comme en exil, a montré au cours d’un siècle qu’il est capable de recréer son projet national d’autodétermination, de liberté et de droits. Ce document y apporte une modeste contribution en montrant que certains des éléments de base sont là et peuvent – et doivent – être exploités sans délai.
Note:
Auteur : Belal Shobaki
* Belal Shobaki, membre de l'équipe politique d'Al-Shabaka, est le responsable du département de sciences politiques de l'université d'Hébron, en Palestine. Il est membre de l'Association américaine d'études politiques et a publié des ouvrages sur l'Islam politique et l'identité. Shobaki est l'ancien rédacteur en chef du journal Alwaha en Malaisie. Il a également été maître de conférences au département de sciences politiques de l'université nationale An-Najah et responsable de l'unité de recherche du Centre palestinien pour la démocratie et les études. Son compte Facebook.
Août 2020 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah