Par Adnan Abu Amer
Il semble qu’Israël gagne de plus en plus de terrain politique dans la région, en développant ses relations commerciales et financières, et en consolidant un axe arabo-israélien contre l’Iran. Tout cela se passe à l’encontre de la volonté du peuple palestinien et sans aucune concession de la part des Israéliens.
Ces développements soulèvent un certain nombre de questions importantes sur la scène politique au Moyen-Orient. Ce succès diplomatique pour Israël signifie-t-il que la question palestinienne a été complètement mise de côté dans la politique arabe ? Les Palestiniens ont-ils perdu leur “droit de veto” sur la normalisation des relations entre les États arabes et Israël ? Les Émirats Arabes Unis pourront-ils contourner les Palestiniens – vrais propriétaires de leur cause – et trouver une “solution” à la question palestinienne ?
La perte du droit de veto des Palestiniens
Depuis des décennies, les États arabes s’accordent à dire que toute relation avec Israël doit être conditionnée à un accord “la terre contre la paix” qui inclut son retrait des territoires qu’il occupe depuis la guerre de 1967. En d’autres termes, les Israéliens devraient renoncer aux territoires occupés pour la création d’un État palestinien indépendant en échange de la normalisation des relations avec les pays arabes.
Ce consensus a donné aux Palestiniens un “droit de veto” tacite sur la normalisation, faisant de la résolution de la question palestinienne la seule façon pour Israël d’être accepté dans le monde arabe.
L’accord entre les Émirats arabes unis, le Bahreïn et Israël a pour l’essentiel mis de côté ce consensus arabe sur la manière de traiter la question palestinienne, et rendu public ce qui se trame de manière informelle depuis des années : la normalisation des relations entre Tel-Aviv et Abou Dhabi.
Il démontre le mépris des Émirats et de Bahreïn pour la position arabe historique de “la terre contre la paix”. Abou Dhabi et Manama ont effectivement donné aux Israéliens ce qu’ils veulent – des relations politiques ouvertes, du commerce et un soutien dans leur volonté de se confronter à l’Iran – sans aucune concession réelle sur la question palestinienne.
Pour les Palestiniens, il s’agit d’une tentative évidente de préserver le statu quo et de permettre aux Israéliens de continuer à voler la terre palestinienne, à démolir les maisons palestiniennes, à emprisonner et à tuer des Palestiniens et à consolider leur régime d’apartheid. Contrairement à ce que les Émiratis ont affirmé, cet accord n’a pas mis fin à l’annexion des terres palestiniennes.
Les Israéliens ne cachent pas leur optimisme quant à l’établissement de relations diplomatiques complètes avec les EAU et le Bahreïn, ce qui ouvrira la porte à l’établissement de relations sans entraves avec d’autres pays, tels que l’Oman, l’Arabie Saoudite, le Maroc et peut-être le Soudan. Si ces accords de normalisation se poursuivent, cela signifierait que les Palestiniens ont perdu leur “droit de veto” sur la normalisation avec Israël et que leur cause a perdu sa valeur politique pour les régimes arabes.
Bien que l’accord soit effectivement une mauvaise nouvelle pour les Palestiniens, il est important de ne pas en exagérer l’importance.
Abou Dhabi, Tel Aviv et Washington l’ont présenté comme une initiative de “la paix pour la paix” (par opposition à “la terre pour la paix”), en essayant de l’assimiler aux accords de paix que l’Égypte et la Jordanie ont conclus avec Israël dans le passé. Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l’architecte de l’accord, comme la plupart des Israéliens, sait très bien qu’une telle comparaison n’est pas réaliste.
Après tout, ni le Bahreïn ni les EAU n’ont réellement été en guerre contre Israël et ils n’ont pas non plus de frontières communes, contrairement à la Jordanie et à l’Égypte, qui ont mené des guerres meurtrières contre les Israéliens. Les accords de paix que les deux pays ont signés avec Israël ont non seulement mis fin aux hostilités mais ont également forcé Israël à se retirer des territoires qu’il avait occupés.
Rien d’une telle importance politique ne figurait dans l’accord de “paix” que Bahreïn, les EAU et Israël ont signé le mois dernier.
Les EAU, un artisan de la paix ?
Aussi mauvais que soit cet accord pour les Palestiniens, il ne fait pas disparaître la question palestinienne.
Malgré tout le bruit et les relations publiques, les Israéliens se rendent bien compte que la normalisation des relations avec les pays du Golfe ne les “débarrassera” pas des millions de Palestiniens. Elle ne peut pas les effacer de l’Histoire ou de la réalité.
Il semble y avoir un certain espoir chez certains Israéliens modérés que les EAU, le nouveau “faiseur de paix” autoproclamé de la région, puisse utiliser l’accord comme un tremplin et exercer son influence pour aider à résoudre le conflit israélo-palestinien. Dans un article récent, l’ancien diplomate israélien, Nadav Tamir, a écrit sur la possibilité qu’Abou Dhabi entame de nouvelles négociations entre l’Autorité palestinienne et Tel Aviv pour produire un règlement incluant un État palestinien séparé.
Le succès d’une telle initiative est cependant très peu probable, étant donné que les relations entre Ramallah et Abou Dhabi sont au plus bas. L’Autorité palestinienne a clairement indiqué qu’elle considèrait l’accord des Émirats avec Israël comme une “trahison” et a émis de fermes condamnations.
Si les EAU ne parviennent pas à jouer un rôle utile pour parvenir à un règlement avec les Palestiniens, Tamir craint que l’accord avec les EAU ne passe d’une réalisation tactique à un dommage stratégique.
À court terme, la normalisation avec Israël ne fait qu’ajouter à l’isolement de l’AP et pourrait profiter au mouvement Hamas – ce qui n’est pas dans l’intérêt d’Israël, qui utilise depuis longtemps les autorités de Ramallah pour dépolitiser et contrôler indirectement la population palestinienne. À long terme, une normalisation arabe – sans concessions sur la question palestinienne – avec Israël, enlève aux régimes arabes le principal moyen de pression pour imposer une solution à deux États, ce qui pourrait alors entraîner une réaction.
Une AP profondément affaiblie risque de s’effondrer et de laisser l’administration des villes et villages palestiniens de Cisjordanie à leur occupant – Israël. Une telle évolution ne ferait que mettre davantage en évidence les pratiques d’apartheid de l’État israélien, en donnant tous les droits aux Juifs israéliens, tout en opprimant et en discriminant la population palestinienne indigène.
Cela alimenterait probablement encore plus l’opposition populaire internationale à l’occupation et à l’apartheid israéliens, qui exerce déjà une pression importante sur Israël pour qu’il accorde leurs droits aux Palestiniens.
En ce sens, le refus persistant de l’élite dirigeante de l’extrême-droite israélienne d’accorder un État aux Palestiniens et l’effondrement du soutien à Israël parmi les jeunes générations d’Américains et d’Européens de l’Ouest placent le pays encore plus fermement sur la voie d’une solution à État unique, où Israéliens et Palestiniens jouiraient de droits égaux.
Cela signifierait effectivement la fin du délire sioniste d’un État juif sur toute la Palestine historique.
Les dirigeants politiques israéliens actuels sont trop myopes pour voir ces développements potentiels. Netanyahu profite du coup de pouce que l’accord de normalisation lui a donné et espère probablement que cela lui assurera une réélection lorsque la coalition au pouvoir s’effondrera, et que cela lui permettra de continuer à éviter la prison pour les crimes de corruption pour lesquels il est jugé.
Son premier mandat pourrait bien entrer dans l’histoire comme celui qui a jeté les bases de la fin de l’État juif exclusif en Palestine.
Ainsi, ce qui peut sembler être une défaite majeure pour la cause palestinienne peut s’avérer plus dommageable pour le projet sioniste. Tôt ou tard, les Israéliens devront faire face aux conséquences du refus d’un État palestinien.
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l’université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l’histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël. Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes. Son compte Twitter.
14 octobre 2020 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine