Par Adnan Abu Amer
L’inquiétude des Israéliens face à ce qu’ils décrivent comme la plus grave crise interne que l’État ait connue depuis sa création, s’accroît en raison de l’état de division, de polarisation et de tensions partisanes. Ils expriment également leur inquiétude quant aux effets de ces problèmes, notamment la fragmentation du front intérieur, la propagation d’un vocabulaire de guerre civile, l’effondrement de la société israélienne et les démonstrations d’hostilité et de haine.
Les Israéliens estiment qu’Israël est confronté à l’une des crises les plus dangereuses de son histoire, après avoir perdu confiance dans les institutions de l’État. Ils accusent une personne d’être responsable de ce manque de confiance : Benjamin Netanyahu.
Il est vrai que Netanyahu peut se targuer devant les Israéliens d’une liste certaines de réalisations, mais comme tout homme politique, il a des faiblesses et des échecs, et son problème majeur ne réside pas seulement dans l’incompétence qu’il a affichée dans sa gestion de la pandémie de coronavirus, mais aussi dans l’attaque qu’il mène depuis des années contre les institutions de l’État, et la manière dont il détruit les relations entre Israéliens.
Pendant des années, il a vécu avec l’insistance de certains à ne pas croire aux médias, aux institutions universitaires, au système judiciaire, à la police, au ministère public, au procureur et aux fonctionnaires du ministère des finances, et il est finalement apparu clairement que beaucoup d’entre eux ne croient plus à l’autorité de l’État.
Pendant de nombreuses années, les Israéliens ont vécu dans un état d’incitation les uns contre les autres, ce qui a miné leur confiance mutuelle, semant la discorde et la haine entre la droite et la gauche, les Arabes et les Juifs, les religieux et les laïcs, et les Sépharades de l’Est et les Ashkénazes de l’Ouest. Ils ont considéré ceux qui ne votent pas pour leur camp comme des traîtres, chacun ne se souciant que de son propre camp.
Le résultat est que les Israéliens se retrouvent engoncés dans une crise grave où ils ont perdu toute confiance les uns dans les autres.
Les Israéliens craignent que ce qu’ils décrivent comme leur “fraternité patriotique” ne s’effondre et ne soit remplacé par l’hostilité tribale et la haine interne qui pourraient conduire à la désintégration d’Israël, au déclenchement d’une guerre civile sanglante, à l’approfondissement des divisions internes, à la multiplication des polémiques et à l’échange d’accusations, en utilisant un langage offensant et des politiques de division.
Ils craignent que, pour que chaque dirigeant israélien obtienne la loyauté de son camp, celui-ci ne s’emploie à approfondir l’hostilité envers les autres.
Le résultat est que tout explose maintenant au visage des Israéliens, car le manque de confiance entre chacun d’entre eux multiplie les difficultés, surtout en pleine pandémie et crise économique. Cela peut conduire à une catastrophe.
Il est à noter que Nétanyahu, qui a pu s’acheter la confiance des princes arabes du Golfe et des républicains américains, a perdu une bonne partie des Israéliens. Après avoir établi son leadership en semant pendant des années la division et la haine entre les Israéliens, son slogan est devenu “Je suis Israël, et Israël c’est moi”, et il n’est plus capable de faire la distinction entre ses intérêts personnels et les intérêts de l’État.
Au milieu de ces nuages noirs qui menacent les Israéliens, nombreux sont ceux qui sont de plus en plus convaincus que leur société est aujourd’hui faible, divisée, lâche et paralysée. La société qui se voulait celle d’un pays fort, stable et uni, est maintenant descendue dans l’abîme de la haine, de la paralysie et de la fracture, et elle vit aujourd’hui les jours les plus difficiles qu’elle ait jamais connus.
Nétanyahu et son équipe ont réussi à diviser les Israéliens, à les fragmenter en morceaux qui se haïssent, et à transformer Israël d’une démocratie considérée comme moderne en un royaume corrompu qui pourri tout ce qu’il touche. Quiconque ose critiquer ce gouvernement anarchique est immédiatement accusé de trahison et est classé comme un gauchiste qui déteste Israël.
Un des phénomènes indiquant cette pente sur laquelle Israël s’est engagé, est que ce dernier n’est plus capable d’écouter et de respecter les différentes opinions ou d’essayer de comprendre l’autre partie. Au contraire, une grande ambiguïté l’enveloppe en raison de cette terrible haine et de la couche de perversité qui l’entoure et qui peut aller jusqu’à déclencher une guerre civile.
Les mensonges sont ancrés, profonds… de même que l’incitation à la haine.
Cela se produit 25 ans après l’assassinat de feu le Premier ministre Yitzhak Rabin, alors que les Israéliens sont plus divisés que jamais et que les appels à la haine atteignent de nouveaux sommets. La période qui a suivi l’assassinat de Rabin est devenue l’un des moments les plus dramatiques de l’histoire d’Israël.
Ces jours difficiles rappellent aux Israéliens ce qui a précédé le meurtre de Rabin. La haine et la division que nous observons sont plus dangereuses que cela, et les cloches d’alarme sonnent, avertissant d’un nouvel assassinat politique. Les militants du Likoud se promènent en portant des T-shirts qui traitent les gauchistes de traîtres, tandis que le fils du Premier ministre, Yair, ne cesse de tweeter contre le procureur général, l’accusant de représenter une menace existentielle pour Israël, le décrivant comme “aussi mauvais que l’Iran”.
La moitié des Israéliens soutiennent Nétanyahu, et l’autre moitié le considère comme une force destructrice, et une réelle menace existentielle pour l’avenir d’Israël.
Le slogan anti-Nétanyahu est “Va-t-en”, ce qui a contribué à alimenter les manifestations, mais la plupart des violences proviennent des partisans du Premier ministre, avec des tentatives d’écraser les manifestants, de tirer des gaz lacrymogènes, de les asperger avec du poivre et de leur jeter des pierres. La situation est tellement tendue qu’une petite étincelle déclenchera un brasier.
Les tensions en Israël indiquent qu’un autre assassinat politique est imminent. Si Nétanyahu lui-même est bien protégé par ses services de sécurité, le plus grand danger réside dans les manifestations et la rue. La pente sur laquelle Israël se trouve est plus glissante que jamais, et les freins ne cessent de se relâchent pour aller vers de nouvelles complications.
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l’université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l’histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël. Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes. Son compte Twitter.
24 novembre 2020 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine