Par Adri Nieuwhof
Les institutions culturelles allemandes reprochent à la résolution anti-boycott, désinvestissement et sanctions du parlement allemand d’avoir créé un flou juridique et d’avoir porté atteinte à la liberté d’expression.
La résolution de 2019 appelle les institutions et les autorités publiques allemandes à refuser financement et aides aux groupes de la société civile qui soutiennent le mouvement BDS.
Mais en décembre, d’importantes institutions artistiques et universitaires allemandes ont dénoncé l’impact « préjudiciable » de la résolution sur « la sphère publique démocratique » et le libre échange d’idées.
Cela a aussitôt déclenché une enquête du service scientifique du Bundestag – un organe consultatif du Parlement fédéral – qui a abouti à la même conclusion, à savoir que la résolution anti-BDS n’a pas de valeur juridique, étant donné qu’elle viole le droit à la liberté d’expression protégé par la Constitution en Allemagne.
Les experts des Nations unies, la Ligue arabe, la société civile palestinienne, les artistes et les universitaires ainsi que les militants de la solidarité avec la Palestine ont tous protesté contre la résolution anti-BDS de l’Allemagne.
L’élite culturelle s’engage dans la lutte
L’Initiative Weltoffenheit GG 5.3 de décembre, lancée par les dirigeants des principales institutions artistiques et universitaires allemandes – dont l’Institut Goethe, le Musée juif Hohenems, le Forum Humboldt et le Centre de recherche sur l’antisémitisme de l’Université technique de Berlin – a signé l’entrée en lice de l’élite culturelle allemande.
Dans le cadre de cette Initiative, les institutions se sont unies pour s’élever contre le climat toxique créé par la résolution anti-BDS qui entrave la liberté d’expression.
Weltoffenheit signifie ouverture mondiale et GG 5.3 est une référence au chapitre de la constitution allemande sur la liberté d’opinion dans l’art et l’université.
Lors d’une conférence de presse le 11 décembre, les responsables des institutions concernées ont reconnu que, du fait de cette résolution, ils avaient peur de collaborer avec des artistes ou des intellectuels qui sont pro-BDS ou perçus comme tels.
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L’Initiative a notamment fait état des diffamations d’antisémitisme lancées contre le professeur Achille Mbembe, de renommée mondiale.
Le philosophe camerounais avait été invité à prononcer le discours d’ouverture du festival de la Ruhrtriennale de l’année dernière à Bochum, mais les responsables du festival ont subi des pressions de politiciens pour désinviter le savant africain, accusé d’antisémitisme pour avoir critiqué la politique israélienne.
Le festival a finalement été annulé en raison de la pandémie COVID-19.
Les protestations de l’élite culturelle sont soutenues par plus de 1 400 signataires d’une lettre ouverte rédigée par un groupe d’artistes internationaux et allemands basés en Allemagne ou qui travaillent avec des institutions allemandes.
Ces deux campagnes ont donné lieu à un intense débat public qui a finalement poussé Felix Klein, le responsable allemand de la lutte contre l’antisémitisme, à envisager de demander au service scientifique du Parlement allemand un avis d’expert sur la question.
Klein a déclaré que la résolution anti-BDS – qui assimile le BDS à l’antisémitisme et se fonde sur la définition controversée de l’antisémitisme produite par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) – était « un grand signe de solidarité avec Israël ».
Les experts : la liberté d’expression prime sur tout le reste
Le rapport de l’organe consultatif des services scientifiques du Parlement ne s’est pas penché sur la manière dont la définition de l’antisémitisme de l’IHRA – à la base de la résolution anti-BDS – est utilisée pour réduire au silence et diffamer les Palestiniens et leurs partisans.
Mais le rapport a confirmé l’affirmation de l’Initiative Weltoffenheit selon laquelle la résolution n’a pas de valeur juridique et qu’il ne s’agit que d’une opinion politique.
L’avis des experts indique que si elle avait force de loi, la résolution constituerait une restriction inconstitutionnelle du droit à la liberté d’expression, qui est protégé par la constitution allemande.
Le rapport contredit l’expert en antisémitisme de Berlin, le professeur Samuel Salzborn, qui s’était auparavant déclaré « irrité et troublé » par l’appel de l’élite culturelle allemande.
Mais les opinions anti-palestiniennes de Salzborn sont connues depuis longtemps, depuis le jour où il a tweeté qu’il trouvait déplaisant que, dans un train, « les gens à côté de vous commencent à parler de la Palestine sans raison particulière », un tweet accompagné du hashtag #anti-Semitism.
Un espace pour les voix palestiniennes ?
L’Allemagne compte une importante communauté d’environ 250 000 personnes d’origine palestinienne, dont 40 000 à Berlin.
Mais beaucoup d’entre eux disent qu’ils ont peur de critiquer Israël ou l’occupation israélienne.
« Beaucoup de jeunes Palestiniens n’osent pas s’engager », a déclaré un ancien responsable d’une organisation palestinienne au quotidien allemand Tageszeitung, sous couvert d’anonymat. « Ils ont peur que cela ne nuise à leur carrière professionnelle ».
Le militant palestinien allemand Amir Ali dit aussi que les Palestiniens en Allemagne ont peur de parler librement.
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Ali est l’un des membres du Bundestag 3 pour la Palestine (BT3P) qui a poursuivi le parlement allemand pour la résolution anti-BDS lorsqu’elle est sortie.
Dans une vidéo diffusée dans le cadre de cette campagne, il a raconté que des amis lui avaient demandé pourquoi il était prêt à risquer son avenir personnel pour cette action en justice.
« Je sais que de nombreux Palestiniens en Allemagne ressentent la même chose que moi et voudraient se battre, mais, ils n’osent pas se joindre à notre action en justice parce que cela met en danger leur avenir ».
Majed Abusalama, un militant palestinien qui vit en Allemagne depuis cinq ans, s’est fait l’écho de ce sentiment.
« Il n’y a pas de place, ici, pour un Palestinien qui se démarque du discours allemand sur la solution à deux Etats, ou qui mentionne le BDS », a-t-il déclaré à The Electronic Intifada.
Une communauté traumatisée
« Notre communauté est complètement traumatisée en Allemagne »
Abusalama est l’un des trois militants qui ont été poursuivis en justice en Allemagne pour avoir perturbé un événement auquel participait un fonctionnaire israélien dans une université de Berlin. Il a fallu trois ans à un tribunal allemand pour l’acquitter.
En 2018, il a fait l’objet d’un rapport de l’agence de renseignement national de Berlin dans une section sur l’antisémitisme en raison de sa participation à la manifestation universitaire.
En conséquence de quoi, il a été qualifié « d’activiste pro-BDS très agressif » dans le Jerusalem Post.
Une vidéo de l’intervention d’Abusalama lors de l’événement montre que c’est tout à fait faux et cette expérience a profondément marqué Abusalama.
« J’ai été victime d’intimidation, de harcèlement, de diffamation et de calomnies d’une très grande violence, qui visaient non seulement à me faire taire mais aussi à interdire à jamais toute velléité d’activisme palestinien pour l’égalité, la liberté et la justice en Allemagne », a déclaré Abusalama.
Et, il a ajouté que, d’une façon générale, « il y a une forte augmentation du racisme anti-palestinien » en Allemagne.
Auteur : Adri Nieuwhof
* Adri Nieuwhof est avocate, conseiller et défenseur des droits de l’homme, travaillant en Suisse. Son compte Twitter : @steketeh
8 janvier 2021 – The Electronic Intifada – Traduction : Chronique de Palestine – Zeytouna