Par Abdel Bari Atwan
Le Fatah et le Hamas semblent plus intéressés à se préserver qu’à restaurer l’unité nationale et la résistance à l’occupation, écrit Abdel Bari Atwan.
Jamais depuis la Nakba de 1948, le peuple palestinien n’a été dans un tel état de dérive et de désarroi politique, militaire et social qu’aujourd’hui.
La principale responsabilité en incombe aux dirigeants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et de l’Autorité palestinienne (AP), qui prétendent être les seuls représentants et porte-parole du peuple tout en ne respectant pas les principes nationaux les plus fondamentaux ou en ne s’acquittant pas de leurs devoirs en termes de résultat, de direction et d’engagement.
Les soi-disant élites politiques et culturelles palestiniennes, en particulier celles qui dépendent de l’AP pour leur existence et leur légitimité, partagent également une grande part de responsabilité dans cette situation et dans la corruption rampante à multiples facettes qu’elle entretient.
Leur silence ou leur indifférence, entretenus sous prétexte de ne pas porter atteinte à la légitimité palestinienne ou au prétendu projet national, les rendent complices.
Il est consternant de constater que l’opposition palestinienne, représentée par le Hamas et d’autres organisations telles que le Front populaire (FPLP) et le Jihad islamique, se rapproche de plus en plus de l’AP – bien qu’elles aient passé des années à dénoncer ses trahisons et sa collaboration avec l’État d’occupation israélien.
Le Hamas a accepté la proposition d’organiser des élections présidentielles et législatives à la fois dans les territoires occupés (pour l’AP et le Conseil législatif palestinien – CLP) et dans la diaspora (OLP et Conseil national palestinien – CNP).
A leur crédit, le FPLP et le Jihad ont refusé d’y participer, et il est à espérer qu’ils continueront à tenir bon.
Certains points peuvent être soulevés et des questions posées pour illustrer l’état actuel d’effondrement.
Premièrement, il est déconcertant que la direction du Fatah, le principal mouvement politique national, insiste pour désigner le président Mahmoud Abbas comme son candidat à la présidence. Abbas approche de l’âge de 86 ans et est en mauvaise santé, et selon les rumeurs circulant à Ramallah, il ne gère plus les affaires de l’AP ou les affaires politiques palestiniennes comme il se doit.
N’y a-t-il personne de plus jeune et plus capable au sein du Fatah, qui puisse s’engager et devenir son candidat de consensus, permettant la réforme à la fois du parti et de la condition palestinienne en général ?
Ensuite, est-il concevable que des élections équitables puissent être organisées sous l’occupation israélienne ? Ceux qui défendent cette proposition peuvent être mis au défi de citer un seul cas de mouvement de libération nationale qui a suivi une telle voie et a coopéré et coordonné la “sécurité” avec ses occupants.
Il est tout aussi incompréhensible que le Hamas – qui appelle à la libération totale de la Palestine de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain, qui s’oppose farouchement aux accords d’Oslo et condamne ses signataires comme des traîtres – ait accepté de participer à ces élections.
Et s’il remportait la présidence de l’AP ou une majorité du CLP ? Serait-il autorisé, compte tenu de ses politiques et positions déclarées, à former le prochain gouvernement ?
Et s’il y était autorisé, devrait-elle suivre les traces de l’AP, respecter ses engagements et les accords qu’elle a signés, surtout les accords d’Oslo, et maintenir la coordination en matière de répression avec l’État d’occupation ?
En tout cas, qui peut garantir qu’Abbas permettra effectivement à ces élections de se tenir et en respectera les résultats ? S’il peut ordonner des élections par décret, il peut aussi les annuler ou les reporter indéfiniment par décret, tout comme il a dissous le CLP et créé un Conseil central du CNP et de l’OLP adapté à l’AP et à ses objectifs.
Le Conseil central n’a-t-il pas voté l’annulation des accords d’Oslo, l’annulation de la reconnaissance d’Israël par l’OLP et la suspension de la coordination “sécuritaire” ? Qu’est-il advenu de ces résolutions ?
De même, comment les factions palestiniennes qui se sont réunies à Beyrouth et à Ramallah sous les auspices de l’AP pourraient-elles convenir de listes communes et de la répartition des sièges – et des postes officiels qui en découlent ? L’intégrité de toute élection peut-elle être garantie à la lumière de ces nouveaux accords ?
Ces factions ont applaudi la réconciliation nationale et leur première déclaration commune appelait à un leadership collectif et à la résistance populaire. Leurs représentants ont prononcé des discours émouvants et échangé des accolades devant les caméras. Qu’est-il advenu de tout cela ?
Pendant ce temps, les cercles de l’AP à Ramallah se sentent euphoriques depuis que la nouvelle administration Biden aux États-Unis ait annoncé sa volonté de rétablir les relations avec l’AP et de reprendre son aide financière – sans toutefois annuler la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Trump ni renvoyer l’ambassade américaine à Tel-Aviv.
Les aspirations du peuple palestinien ont-elles été réduites à la réouverture du bureau de l’OLP à Washington et à l’obtention de quelques miettes de l’aide américaine qui finissent pour l’essentiel dans les poches de dirigeants corrompus ?
Qu’en est-il du Hamas ? Va-t-il céder son autorité sur la bande de Gaza à Ramallah, qu’il gagne ou perde les élections législatives ou présidentielles ? Ou bien la séparation et le statu quo actuels vont-ils perdurer ?
Toute implication du Hamas dans l’AP et ses institutions sous les restrictions de l’occupation sera conditionnée par le fait qu’il capitule et remette ses armes, et qu’il démantèle son aile militaire ou la transforme en forces de sécurité qui se coordonnent avec l’occupation comme leurs homologues de Cisjordanie.
Le Hamas pourrait-il accepter ces conditions pour obtenir l’approbation des États-Unis et d’Israël ?
Toute initiative visant à restaurer l’unité nationale palestinienne et à promouvoir une véritable réconciliation sous quelque forme que ce soit, mérite d’être soutenue. Mais elle doit être basée sur des principes fondamentaux, avant tout la résistance à l’occupation. Rien dans les déclarations et les réunions en cours ne permet d’affirmer que ce sera le cas.
Tout ce que nous voyons actuellement, ce sont les deux principaux partis palestiniens qui entretiennent cyniquement des illusions et entraînent les autres derrière eux dans une tentative d’éviter de rendre des comptes sur l’état actuel de désordre.
Leur objectif est de gagner du temps, de préserver et prolonger leur mainmise sur le pouvoir, que ce soit à Ramallah ou à Gaza, et finalement de se partager des dépouilles.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
30 janvier 2021 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine