Par Jalal Abukhater
La cote politique et diplomatique d’Israël s’améliore notablement dans le monde, et son occupation illégale se normalise rapidement.
Il y a dix ans, nous, les Palestiniens, étions prudemment optimistes – nous voyions la possibilité d’un changement à l’horizon. Nous pensions que le monde commençait enfin, bien que lentement, à prêter attention à notre situation. Nous pensions, sans doute naïvement, que la justice et la liberté étaient à notre portée.
Beaucoup de choses ont changé depuis. Aujourd’hui, nous ne pouvons tout simplement pas nous débarrasser de l’impression d’être coincés dans les limbes. La position politique et diplomatique d’Israël dans le monde est en nette progression et son occupation illégale se normalise rapidement.
Bien que de plus en plus de gens soient tout à fait conscients qu’Israël a construit un système d’apartheid illégal sur notre territoire, la communauté internationale semble plus réticente que jamais à lui demander des comptes. Sous nos yeux, le statu quo injuste, illégal et meurtrier imposé à la Palestine semble s’enraciner toujours plus fermement.
Au début du mois, le principal groupe israélien de défense des droits, B’tselem, a publié un rapport explosif qui décrit Israël et son contrôle des territoires palestiniens comme un seul gouvernement “d’apartheid” et atteste que les terres situées entre le Jourdain et la mer Méditerranée sont régies par “un régime de suprématie juive”.
Cette reconnaissance de notre réalité sur le terrain est la bienvenue, mais elle n’a guère changé la perception de plus en plus positive d’Israël sur la scène internationale.
Les accords de normalisation qu’Israël a signés avec un certain nombre d’États arabes et l’impressionnante campagne de vaccination de ses citoyens contre le COVID-19 ont été salués par les médias.
Malgré ses crimes continuels contre les Palestiniens et ses violations persistantes du droit international, l’État hébreu n’est pas rejeté comme un État paria, ni sanctionné par la communauté internationale.
Au contraire, il renforce ses liens politiques, diplomatiques et économiques à l’internationale. Plus récemment, il a commencé à exporter des produits de ses colonies illégales vers les Émirats arabes unis. Ces exportations étiquetées “Made in Israel”, contribuent à normaliser l’entreprise de colonisation d’Israël et sa revendication de souveraineté sur les territoires occupés.
En attendant, la situation chez nous ne fait qu’empirer. L’expansion des colonies se poursuit à un rythme sans précédent et de plus en plus de Palestiniens sont chassés de leurs maisons.
Selon le dernier rapport du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires dans les territoires occupés, l’année 2020 a été marquée par “le plus grand nombre de démolitions et de personnes déplacées par les autorités israéliennes de ces dernières années”.
Israël est également en train d’achever des projets d’infrastructure cruciaux pour garantir la permanence de ses colonies illégales. Il agrandit le mur de séparation, construit des ponts de contournement pour les colons et approuve des routes de séparation réservées aux Palestiniens à travers la Cisjordanie, afin de transformer sa soi-disant “occupation temporaire” en une réalité immuable et infernale.
Il envoie aussi régulièrement ses forces répressives dans les villes palestiniennes comme Ramallah, pour bien faire comprendre aux Palestiniens qu’ils sont à tout instant à la merci d’Israël.
Et tout cela se passe au milieu d’une pandémie mortelle.
Israël est salué dans le monde entier pour avoir gagné la course à la vaccination COVID-19. À ce jour, Israël a administré plus de 4,6 millions de doses de vaccin et l’on s’attend à ce qu’il soit le premier pays du monde à vacciner la majorité de sa population.
Mais il y a un côté obscur à cette réussite dont peu de gens parlent : Israël ne vaccine pas les millions de Palestiniens qui vivent sous son occupation.
Le Conseil des organisations palestiniennes des droits de l’homme, le Réseau des ONG palestiniennes et l’Institut national palestinien des ONG ont récemment publié une déclaration commune détaillée accusant Israël de mettre en œuvre une politique de vaccination “discriminatoire, illégale et raciste” et de ne pas respecter l’obligation que lui fait le droit international de fournir des soins de santé adéquats à la population palestinienne.
Adalah, le Centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël, a publié une déclaration similaire, accusant Israël de “violer le droit à la santé des résidents palestiniens de Jérusalem” en ne leur fournissant pas un accès adéquat aux vaccins COVID-19.
Ces accusations, cependant, tombent dans l’oreille d’un sourd.
Israël n’a pas l’intention d’immuniser les Palestiniens contre le COVID-19 dans un avenir proche car il ne subit pas vraiment de pression pour le faire. Au-delà des ONG susmentionnées qu’Israël a l’habitude d’ignorer, personne ne fait état de la responsabilité morale et légale d’Israël de fournir des soins de santé aux Palestiniens vivant sous son occupation.
La communauté internationale ne s’intéresse qu’au nombre de doses de vaccins administrées et loue la réussite de la campagne de vaccination israélienne sans se soucier des Palestiniens.
L’opinion publique israélienne qui, dans sa grande majorité, voit les Palestiniens comme un voisin hostile et non comme un peuple occupé, n’exerce pas non plus de pression sur le gouvernement pour qu’il agisse.
La plupart des Israéliens sont préoccupés par l’instabilité de la scène politique intérieure et par l’effet de la pandémie sur leur propre vie et leurs moyens de subsistance et ne prêtent guère attention au sort des Palestiniens.
Aujourd’hui, nous, les Palestiniens, sommes marginalisés, réduits au silence et oubliés. Nous sommes coincés dans les limbes, sans espoir d’un avenir meilleur. Oui, de plus en plus de gens dénoncent l’apartheid israélien. Mais, de plus en plus de gens semblent également prêts à accepter cette situation injuste et illégale et à aller de l’avant.
Il ne suffit pas de reconnaître qu’Israël est un “régime d’apartheid”, surtout si en même temps on loue sa “campagne de vaccination réussie” ou ses “réalisations diplomatiques”.
Tant que la communauté internationale se conduira d’une manière aussi hypocrite et ne demandera pas des comptes à Israël pour ses innombrables crimes, nous, les Palestiniens, resterons coincés dans les limbes.
Auteur : Jalal Abukhater
* Jalal Abukhater est Jérusalemite. Il est titulaire d'une maîtrise en relations internationales et en politique de l'Université de Dundee, en Écosse. Son compte Twitter.
5 février 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet