Par Ramzy Baroud
Au premier abord, on peut avoir l’impression que la division actuelle des partis politiques arabes en Israël suit le schéma habituel des divisions politiques et idéologiques qui affligent le corps politique arabe depuis des années. Mais cette fois, les raisons de la scission sont tout à fait différentes.
Alors qu’Israël se prépare à tenir, le 23 mars, ses quatrièmes élections générales en deux ans, les électeurs arabes palestiniens semblaient avoir le pouvoir de jouer les faiseurs de rois dans le futur gouvernement de coalition du pays.
Mais il s’est produit quelque chose d’inattendu. La Liste commune, qui avait réussi à unifier le vote arabe en Israël lors des élections précédentes, a subi, le 4 février dernier, un revers majeur avec la scission de la Liste arabe unie (Raam).
La Raam est le bras politique de la branche sud du Mouvement islamique en Israël. En avril 2019, ce Mouvement a participé aux élections dans le cadre d’une coalition avec le parti de l’Alliance démocratique nationale (Balad).
En septembre 2019, puis en mars 2020, il s’est présenté aux élections générales en tant que membre de la Liste commune, une alliance arabe qui, outre Balad, comprenait le Front démocratique pour la paix et l’égalité (Hadash) et le Mouvement arabe pour le renouveau (Ta’al).
Malgré leurs divisions idéologiques et leurs visions socio-économiques différentes, les partis arabes en Israël ont compris que leur unité est plus urgente que jamais. Il y a à cela plusieurs raisons.
Israël s’est rapidement droitisé, et des groupes ultra-nationalistes et religieux incarnent désormais la politique israélienne dominante.
Le centre, qui s’est temporairement unifié sous la bannière de Bleu et Blanc (Kahol Lavan), tient un discours qui ressemble à celui de l’ancienne droite traditionnelle d’Israël.
Enfin, la gauche s’est désintégrée, jusqu’à ne plus jouer qu’un rôle marginal, sans réel impact sur la politique israélienne.
Comme la droite israélienne s’est enhardie ces dernières années, diverses législations anti-arabes ont été adoptées par la Knesset (Parlement) qui est dominée par la droite.
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L’exemple le plus évident est la “loi sur l’État-nation”, qui a renforcé le statut d’État juif d’Israël, tout en dévaluant les droits, les religions et la langue des arabes palestiniens.
Lors des élections de septembre 2019, l’unité arabe a finalement porté ses fruits puisque la Liste commune a remporté 13 des 120 sièges de la Knesset.
En avril 2020, les partis arabes unis ont obtenu de meilleurs résultats encore, devenant pour la première fois dans l’histoire d’Israël le troisième bloc politique du pays après le Likoud et Kahol Lavan.
Il est clair que les partis arabes étaient en mesure de s’engager dans le processus politique, non pas comme des forces marginales, mais comme des participants à part entière.
Ayman Odeh, le chef de la Liste commune, avait fait plusieurs ouvertures à Benny Gantz, le leader du centriste Kahol Lavan. Odeh pensait qu’avec l’aide de la Liste commune, une coalition dirigée par le centre serait enfin en capacité de déloger le Premier ministre israélien de droite, Benjamin Netanyahu.
Gantz a refusé d’inclure les partis arabes dans sa coalition gouvernementale, et a préféré se rapprocher de son ennemi juré, Netanyahu. Tous deux ont formé un gouvernement d’union en mai 2020, qui n’a duré que sept mois.
En refusant d’intégrer la Liste commune, Gantz a provoqué l’explosion de sa coalition centriste, qui avait pourtant le vent en poupe et qui comprenait alors Yesh Atid et Telem.
Les dirigeants de ces deux dernières factions se sont officiellement séparés peu après que Gantz a accepté de s’associer avec Netanyahu.
Lors des prochaines élections de mars, Yesh Atid se présentera tout seul et Telem a décidé de ne pas entrer dans la mêlée électorale afin, semble-t-il, de ne pas diviser davantage les voix de l’opposition.
D’un point de vue stratégique, cela aurait été le bon moment pour la Liste commune arabe de traduire enfin ses victoires électorales en succès politique.
On prend de plus en plus conscience en Israël, qu’un gouvernement de coalition, même s’il parvenait à se former, ne pourrait se maintenir sans le soutien des Arabes. Par conséquent, les principaux camps politiques du pays courtisent ouvertement le vote arabe.
Même Netanyahu qui, en 2015, agitait la peur pour rallier la droite derrière lui, en disant que les électeurs arabes “se rendaient en masse dans les bureaux de vote”, fait maintenant marche arrière.
Lors d’une visite dans la ville arabe de Nazareth le 13 janvier, il a affirmé que ses précédents propos avaient été mal interprétés. Dans d’autres villes arabes, il s’est vanté de son bilan en matière de soutien aux communautés arabes et de lutte contre le coronavirus. Il a mis un sérieux bémol à sa rhétorique anti-arabe.
Le ainsi-nommé centriste Yair Lapid, de Yesh Atid, a également montré sa volonté de travailler avec les politiciens arabes, en déclarant le 17 janvier qu’il était “dommage de ne pas l’avoir fait à la Knesset actuelle”.
Il faisait allusion au refus de Gantz d’accepter des Arabes dans le gouvernement de coalition.
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Mais au lieu de profiter de son succès électoral, la Liste commune s’est une fois de plus scindée, ou plus précisément, un parti important, le Raam, s’est retiré de la coalition.
Cette fois-ci, la division n’est pas due à des différences idéologiques mais à la position étonnante du leader du Raam, Mansour Abbas.
En février, Abbas avait fait part de son intention de rejoindre une coalition dirigée par Netanyahu. Il a justifié ce revirement choquant par des platitudes peu convaincantes, du genre : “il faut regarder vers l’avenir et construire un avenir meilleur pour tous”, etc.
Le fait que Netanyahu soit largement responsable de la désespérante perspective d’avenir des Arabes d’Israël semble n’avoir aucune espèce d’importance pour Abbas. Il a bizarrement l’obsession de faire partie de n’importe quelle coalition politique future, même si elle inclut les politiciens les plus fanatiques d’Israël.
Le journal israélien de droite, le Jerusalem Post, résume le coup dévastateur porté par Abbas à l’unité arabe juste avant les élections, par ce titre : “Permettez-nous de vous présenter Mansour Abbas, l’allié inattendu du Premier ministre Benjamin Netanyahu”.
Selon un récent sondage de la chaîne israélienne Channel 13, le parti Raam d’Abbas pourrait obtenir 4 sièges à la Knesset aux élections de mars. Il est également possible que le Raam n’atteigne pas le seuil requis de 3,25 %, et ne bénéficie donc d’aucune représentation politique. Quoi qu’il en soit, en poursuivant si follement son intérêt personnel, Abbas pourrait faire perdre aux partis arabes une occasion historique de s’affirmer comme une force politique capable de mettre un frein au racisme israélien et à la marginalisation des Arabes palestiniens.
Maintenant que toutes les alliances électorales ont été finalisées, il apparaît clairement que Mansour Abbas a fait le mauvais choix. Quelle que soit l’issue du scrutin, il a déjà perdu.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son dernier livre est «These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
2 mars 2021 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet