Le 18 février 2021, j’ai appris avec joie que mon nom avait atterri sur Mars. Il avait été gravé au laser sur une puce de la taille d’un ongle attachée au rover nommé Perseverance, qui avait terminé avec succès son voyage vers la planète rouge. (Deux ans plus tôt, la NASA avait lancé une campagne “Envoyez votre nom sur Mars”, et moi-même, avec d’autres du monde entier, avions participé.)
Ce jour-là, je n’ai eu de cesse de lire avec avidité tout ce que je pouvais trouver sur Internet à propos du rover Perseverance et comment il se tirait d’affaire dans son nouvel environnement. A ma joie à ce succès scientifique est venu s’ajouter une autre surprise, et de taille : mon fil Facebook était inondé de photos d’une personne en particulier, un Palestinien de Beit Hanoun – une ville à la limite nord de Gaza – qui était le responsable en ingénierie électrique et électronique du drone pour Mars que Perseverance avait transporté avec lui.
J’ai vérifié d’autres plateformes de réseaux sociaux et j’ai trouvé que la même personne y apparaissant également. Loay Elbasyouni était au hit parade en Palestine !
Honnêtement, j’ai un problème de confiance dans les médias, et j’ai donc voulu tout vérifier par moi-même. J’ai fait une recherche sur son nom et j’ai trouvé son compte Instagram. Puis je lui ai envoyé un message et il m’a répondu. Il était très simple et prenait à cœur mon propre intérêt dans l’industrie spatiale. Voici son histoire.
Apprenant par lui-même
Loay Elbasyouni est né en Allemagne, et ses parents sont tous deux Palestiniens et originaires de Beit Hanoun. Son père était étudiant en médecine et ni son père ni sa mère n’avaient la nationalité allemande.
Lorsque Loay avait presque atteint l’âge de six ans, sa famille est retournée à Gaza pour rendre des visites, mais Israël a confisqué les papiers de son père et la famille est restée bloquée dans le territoire.
Loay a dû s’adapter à ce nouvel environnement. Il a dû apprendre à courir pour fuir une jeep militaire israélienne, faisant l’expérience de bruits et de scènes d’occupation que les enfants de son âge d’autres régions du globe n’avaient pas à devoir endurer.
Alors qu’il était en quatrième année, la première Intifada a éclaté et son école de l’UNWRA a fermé. Il a alors commencé à étudier à la maison. Lorsque son père rentrait de l’hôpital après de longues séances de chirurgie, Loay lui posait autant de questions que possible.
Mais surtout, il devait apprendre par lui-même. Il s’est pris de passion pour l’électronique et il a acquis du savoir-faire en assemblant des circuits et en réparant des appareils en panne.
Perseverance a fait de Loay un ingénieur électricien
Après que Loay a obtenu son diplôme de fin d’études secondaires (tawjihi), son père a voulu qu’il soit un jour chirurgien comme lui, mais il a répondu: “Je ne veux pas passer ma vie dans les hôpitaux”.
À cette époque, les accords d’Oslo avaient un peu facilité les déplacements et il a pu se rendre en 1998 au “pays de ses rêves” afin de préparer un diplôme en génie électrique à l’Université du Kentucky.
Mais dans la vraie vie, les États-Unis ne faisaient pas rêver tant que ça … Loay a dû abandonner ses études entre 2001 et 2002 pour travailler jusqu’à 100 heures par semaine et gagner suffisamment d’argent pour finir par se réinscrire dans les études supérieures à l’Université de Louisvillle afin de passer sa licence puis sa maîtrise en informatique et en génie électrique.
Il n’est retourné à Gaza qu’une seule fois, en 2000.
Loay a accumulé des heures supplémentaires dans au moins cinq emplois différents pour reprendre ses études et régler ses dettes. “Ce fut une expérience difficile”, raconte-t-il, “mais cela m’a beaucoup appris” et il n’a pas perdu courage. Après tout, il est Palestinien !
Après avoir réussi ses diplômes, Loay a commencé à travailler pour des start-ups et des entreprises privées spécialisées dans les voitures électriques et les énergies renouvelables.
À l’époque, il n’y avait pas de Tesla, et ces voitures étaient un projet qui tenait encore de la science-fiction. Donc la plupart de ces entreprises ont cessé leurs activités, mais pas Loay ! Il a rejoint une société aérospatiale du secteur public qui lui a offert la chance de travailler pour la NASA sur un projet expérimental qui avait pour objectif de construire le premier drone à devoir voler sur Mars.
Le petit engin volant du rover Perseverance était d’abord une production de l’esprit, à partir d’une idée, puis il est né des documents de conception et des efforts concrets de Loay et de ses coéquipiers.
Construire Ingenuity a demandé beaucoup d’ingéniosité
Loay a été le responsable du groupe de travail d’Ingenuity dans les aspects électronique et électrique, ce qui incluait la responsabilité du système de propulsion. Cela comprenait aussi la conception du contrôleur du moteur, de l’onduleur, du servo-contrôleur [système d’asservissement des éléments actifs], du moteur lui-même et du système de signalisation.
L’un des grands défis de l’équipe était de concevoir un système électrique capable de fonctionner dans l’environnement très froid et très radiatif de Mars. Un autre défi était d’imaginer comment construire un moteur qui puisse fournir au drone une portance suffisante dans l’atmosphère très raréfiée de la planète rouge.
Le moteur devait être aussi léger que possible avec une durée en autonomie, une production énergétique et un rendement qui soient au maximum.
Beaucoup considéraient comme impossible de construire un drone à deux pales pesant 1,8 kg, avec une portance suffisante sur une planète avec une atmosphère si ténue, mais Loay et son équipe ont travaillé d’arrache-pied pour concrétiser leur vision. Le mini-hélicoptère a été baptisé Ingenuity et fut installé dans la soute de Perseverance au tout dernier moment.
Il est maintenant à la surface de Mars… et sur le point de prendre son envol [son premier vol a eu lieu le 19 avril – Cf vidéo incluse ci-dessous].
Ingenuity est ce que la NASA appelle une mise à l’épreuve technologique : cela permet de tester une nouvelle fonction et la mission est par conséquent restreinte. Selon la NASA, «Ingenuity comprend quatre pales en fibre de carbone spécialement conçues, disposées en deux rotors qui tournent dans des directions opposées à environ 2400 tours/minute – beaucoup plus rapidement qu’un véritable hélicoptère sur Terre. Il dispose également de cellules solaires, de batteries et d’autres composants tous innovants.»
Loay m’a parlé de certains des “œufs de Pâques” cachés de la NASA, tels que le bout de code imprimé sur le parachute de Perseverance qui répertorie les noms des membres de l’équipe, et un morceau de tissu de l’avion original des frères Wright [pionniers américains de l’aviation] attaché à Ingenuity. Cela établit un lien entre le premier avion à voler au-dessus de la surface de la Terre et le premier engin à voler au-dessus de la surface de Mars.
Les deux témoignent de la détermination de l’humanité à vouloir voler et à rendre ce rêve réel.
Loay est très anxieux à propos de la création sur laquelle il a marqué ses empreintes. “Toutes nos recherches et expériences sont basées sur la théorie”, dit-il, “et pour la moindre petite erreur ou pour quelque chose que nous aurions négligé, des années de travail pourraient être mises en pièces sur cette planète très froide et très rouge. Nous voulons qu’il vole à trois mètres au-dessus du sol pour prouver la faisabilité de voler sur Mars. Si c’est le cas, alors nous serons entrés dans l’Histoire !”
“Impossible” n’est pas palestinien
Loay travaille actuellement sur d’autres projets technologiques révolutionnaires encore tenus confidentiels. Je trouve que Loay est une réussite et un modèle, et beaucoup de jeunes Palestiniens pensent comme moi. Il estime que c’est pour lui une lourde responsabilité, et dans nos échanges sur Instagram, il m’a souhaité bonne chance.
La soudaine renommée de Loay parmi les Palestiniens a commencé avec la publication de sa photo avec le drone et toute l’équipe sur Facebook et LinkedIn.
Puis ses cousins ont vendu la mèche, puis sa famille élargie, puis tout le monde arabe et de nombreuses agences de presse ont relayé l’information.
Il a été interviewé partout au Moyen-Orient, et cela l’a fait se sentir bien dans sa peau, lui donnant une bonne opinion de son travail, de sa patrie en Palestine et du monde arabe.
A Beit Hanoun, une banderole a été accrochée à la maison pour accueillir les nombreux visiteurs venus féliciter la famille.
L’amour que lui ont prodigué les Palestiniens a été un grand cadeau, et il m’a avoué que ses collègues étaient jaloux des démonstrations de soutien qu’il a reçues.
Loay croit fermement que les Palestiniens peuvent réaliser tout ce dont ils rêvent. Leur situation est difficile, dit-il, mais leur ingéniosité et leur persévérance vont au-delà. Ils peuvent atteindre les étoiles et les attraper… Le premier astronaute palestinien est sur la voie et l’Agence spatiale palestinienne n’est pas qu’un rêve. Nous pouvons et nous ferons – rien ne changera jamais cela.
Pour suivre Loay:
LinkedIn: Loay Elbasyouni
Twitter: @FromGazaToMars
Facebook: لؤي البسيوني Loay Elbasyouni
Instagram: @loaylouie
Auteur : Ahmad Abu Shammalh
* Ahmad Abu Shammalh: « Je suis étudiant en informatique, réfugié palestinien, geek, rat de bibliothèque, cinéphile et artiste. Je poursuis mon chemin de toute une vie pour trouver la vérité, en particulier la vérité sur le conflit israélo-palestinien et les droits de l'homme. Je trouve la paix en regardant le ciel nocturne et en étudiant et en développant les technologies du futur, notamment l'intelligence artificielle, l'apprentissage automatique et l'informatique quantique. »
11 avril 2021 – WeAreNotNumbers – Traduction : Chronique de Palestine