Par Jim Miles
Le Hamas a été un des acteurs les plus diabolisés par les grands médias occidentaux. “S’engager dans le monde”, l’ouvrage concis et bien écrit de Daud Abdullah donne une bonne image des tentatives du Hamas pour devenir un acteur étatique de dimension internationale, sans renoncer à sa mission de libérer la Palestine de l’occupation israélienne.
C’est un ouvrage très honnête qui montre comment le Hamas a réussi à justifier et faire reconnaître ses actions auprès d’autres acteurs étatiques, mais qui montre aussi les échecs qu’il a connus à cause de sa relative faiblesse politique devant des pressions extérieures considérables.
Point de départ
Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un ouvrage polémique contre Israël, avec comme objectif de souligner les transgressions d’Israël. Il porte uniquement sur ce qui est indiqué dans le titre. Il examine la politique étrangère, les tentatives, réussies ou non, du Hamas pour présenter sa position aux autres pays.
Abdullah indique bien sûr sa propre position. Il considère, “Israël comme une manifestation du colonialisme européen en Palestine ». Et il reconnaît que « l’entreprise sioniste en Palestine n’aurait jamais pu réussir sans le soutien politique et militaire de l’Occident.”
L’auteur poursuit en indiquant que le Hamas “ne tente pas d’établir un État religieux ou une théocratie…. il veut un État civil avec un cadre de référence islamique dans lequel l’exécutif a des comptes à rendre au peuple.” Ensuite, le livre examine comment le Hamas a tenté d’être à la fois idéaliste et réaliste, en faisant preuve de rationalité dans ses relations avec des entités politiques extérieures.
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Le Hamas a de nombreuses relations au niveau régional, car il “évite de s’impliquer dans les conflits entre les coalitions régionales concurrentes”, ce qui n’est pas une tâche facile parce qu’il y a de puissants conflits et différends entre les pays arabes (par exemple, l’invasion du Koweït par l’Irak, le conflit entre l’Arabie saoudite et le Yémen, le Qatar, etc.) Les relations du Hamas s’étendent bien au-delà de la région. Le Hamas a des relations dans le monde entier.
Oslo
Mais s’il y a une position que le Hamas n’accepte pas, c’est celle de l’OLP et de son bras armé, le Fatah. Il considère que l’OLP et le Fatah ont été cooptés par le processus d’Oslo et manipulés par la communauté occidentale pour devenir une police agissant pour le compte des Israéliens.
Le deuxième chapitre, “Rejeter l’appel d’Oslo”, décrit les efforts du Hamas pour “situer le mouvement dans le cadre du droit international…. renforcer la légitimité internationale du mouvement… en se réservant le droit d’accepter ou de rejeter les propositions ou les résolutions qui ne défendent pas les droits du peuple palestinien”.
L’un des épisodes les plus intrigants est présenté dans le chapitre 3, “Opportunités nées à Marj az Zuhur (*)” ; c’est une histoire que je connaissais vaguement mais dont je n’avais manifestement pas compris l’importance avant de lire le livre. Elle révèle la profondeur du fossé entre l’OLP et le Hamas, le deux poids deux mesures de la Ligue arabe et l’échec d’Israël. Cet épisode a été un tournant pour le Hamas, car il “a suscité une solidarité qui a dépassé les clivages religieux et politiques”.
2006 et Gaza
Un bref examen des “Relations avec les États-Unis” introduit un autre chapitre très significatif portant sur un autre tournant majeur : “Les élections de 2006 et le procès de la démocratie”. C’est cette séquence d’événements qui “a mis en lumière toute l’hypocrisie et l’arrogance des États-Unis à se présenter comme le champion de la démocratie au Moyen-Orient et ailleurs.”
Abdullah reconnaît que « les deux organisations [le Hamas et l’OLP] sont fautives de ne pas avoir vu et ne pas avoir évité le piège qui leur était tendu… ” Mais, tout cela a renforcé la position du Hamas “parce que ses dirigeants politiques étaient considérés comme compétents, ouverts, incorruptibles et fidèles à leurs idéaux.” Depuis, Israël a attaqué militairement l’enclave de Gaza à trois reprises, en violation de toutes les normes du droit humanitaire et du droit de la guerre.
Au-delà…
Le reste du livre examine les relations du Hamas avec l’Union européenne, les pays du Sud, la Russie et la Chine, un mélange de succès et de résistance. Il se conclut par un compte rendu intéressant des interactions du Hamas avec le gouvernement syrien et d’autres dirigeants syriens pendant les manifestations et la guerre en Syrie. La Syrie avait été l’un des plus fervents soutiens du Hamas, mais la situation en Syrie s’est avérée trop difficile à gérer pour le Hamas. Il a considéré la guerre en Syrie comme “un problème interne” et espéré “qu’aucune puissance étrangère ne trouverait une excuse pour s’immiscer dans leurs affaires internes.”
Controverses
Les gens ont du mal à se faire une idée juste des évènements historiques lorsqu’ils sont en train se produire. Deux affirmations actuelles des États-Unis et de leurs alliés sur la guerre en Syrie pourraient ne pas résister au temps.
La première est l’affirmation que les problèmes de la Syrie étaient internes – oui, ils l’étaient, mais ils ont également été sérieusement aggravés par l’ingérence des États-Unis et de leurs alliés régionaux, notamment la Turquie, l’Arabie saoudite et, bien sûr, Israël. La version officielle est que “Une guerre civile sanglante s’en est suivie”. Oui, encore une fois, mais elle a été fortement influencée par l’ingérence sans limite des adversaires du gouvernement Assad mentionnés plus haut.
La deuxième affirmation que j’ai du mal à accepter concerne l’argument selon lequel “Bien que le droit à la lutte armée soit confirmé par les résolutions 2955 et 3034 de l’ONU de décembre 1972, la tendance la plus forte dans les relations contemporaines est la résolution pacifique des conflits”.
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Pour saisir toute la fausseté de cet argument, il suffit de jeter un coup d’œil sur la politique étrangère américaine, son utilisation de forces extrémistes pour faire une grande partie de son travail, son usage des opérations secrètes ou officielles pour influencer et renverser une grande variété de gouvernements pas assez obéissants, et son utilisation de sanctions économiques pour étrangler l’économie de tout pays qu’ils considèrent comme un obstacle à leur suprématie.
Conclusion
Peut-être, qu’avec le recul, le Hamas aura un autre regard sur la guerre en Syrie, même si aucun des deux points que je viens de soulever ne bat totalement en brèche la position du Hamas.
Dans sa conclusion, Abdullah insiste sur la nécessité de résoudre les divisions internes, car “En fin de compte, ce n’est pas le Hamas ni le Fatah qui ont souffert le plus de la division, c’est le projet national palestinien.”
Pour l’avenir, Abdullah reconnaît que le Hamas pourrait devoir faire face à des “réalités sur le terrain” susceptibles d’affecter sa politique privilégiée de non-alignement sur la scène internationale. Il reconnaît que “la Palestine… ne semble plus être une question centrale pour de nombreux gouvernements régionaux”, alors que dans le même temps “la Palestine reste l’une des grandes questions morales et politiques de notre temps ; elle unit les gens partout dans le monde”.
Le Hamas est conscient que “la communauté internationale s’oriente vers un monde multipolaire”, ajoute l’auteur, ce qui indique que le Hamas est d’accord avec lui concernant la critique de la politique étrangère américaine et la nécessité d’un réalignement politique “contribuant à la formation de nouvelles alliances mondiales”.
Un livre indispensable
“Engager le monde : L’élaboration de la politique étrangère du Hamas ” mérite d’être lu par quiconque s’intéresse à la géopolitique, et en particulier au Moyen-Orient (qui, il est vrai, affecte la majeure partie du monde). Il devrait servir de guide à tous les programmes universitaires qui prétendent traiter des affaires internationales, de la politique étrangère ou de tout ce qui a trait aux intérêts géopolitiques.
Il est facile à lire du moment que le sujet passionne.. Il donne des informations de base sur l’histoire générale de la région et peut servir, à lui tout seul, d’introduction aux événements du Moyen Orient.
Note :
(*) Par une froide journée de décembre 1992, 415 Palestiniens des Territoires palestiniens occupés ont été expulsés vers le Sud-Liban, après que des ordres d’expulsion ont été émis en Cisjordanie et dans la bande de Gaza sans que les familles en aient été informées au préalable. Les personnes expulsées ont été menottées et ont eu les yeux bandés, et ont été placées dans des bus pour être conduites au Sud-Liban. »
Mais les autorités libanaises ont refusé de les laisser rentrer au Liban et les soldats israéliens ont refusé de les laisser entrer en Palestine. « Plus de 400 hommes se sont retrouvés coincés dans le no man’s land de Marj Al Zuhur, une vallée située entre la “zone de sécurité” israélienne et le territoire sous contrôle libanais, pendant un an, avec pour toute habitation des lambeaux de tentes. On écrivait et lisait des poèmes autour du feu qui sont vite devenus un appel au changement.
Pour la plupart d’entre eux, l’exil forcé dans le no man’s land est devenu l’occasion de se rassembler et de créer un mouvement de protestation susceptible d’attirer l’attention des médias et de forcer Israël à reconnaître son erreur. » Devant le tollé international, Israël a finalement été obligé de les laisser revenir en Palestine.
5 avril 2021 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet