Par Patrick Gathara
Les puissances coloniales revendiquent toujours le « droit de se défendre » contre les peuples qu’ils colonisent.
Des images et des statistiques déchirantes témoignent de la violence qui secoue actuellement le Moyen-Orient. Au moment où j’écris ces lignes, au moins 200 personnes, en grande majorité des Palestiniens, dont au moins 41 enfants – en grande majorité des Palestiniens – ont été tuées alors que l’armée israélienne mène des raids de bombardement dans la bande de Gaza densément peuplée et que des groupes de la résistance armée palestinienne lancent des roquettes sur les villes israéliennes. Entre-temps, des violences intercommunautaires ont éclaté dans tout Israël.
Les gouvernements occidentaux, conduits par le président américain Joe Biden, se sont empressés de condamner les groupes palestiniens pour les tirs de roquettes, mais ils paraissent moins pressés de condamner l’attaque israélienne contre les civils palestiniens.
Ils ont exprimé du bout des lèvres leur “consternation” et leur “grave préoccupation” face à la mort de Palestiniens et ont surtout insisté sur leur “soutien indéfectible à la sécurité d’Israël et au droit légitime d’Israël à se défendre”.
Ils ont également lancé des appels à la “clarté morale”, laissant entendre que les opérations de la résistance palestinienne, qui ne causent que très peu de morts contrairement aux massacres et destructions provoqués par les bombardements israéliens, étaient néanmoins beaucoup plus immorales.
Même si certains politiciens progressistes – comme Alexandria Ocasio-Cortez, membre du Congrès américain – ont souligné l’hypocrisie de la déclaration convenue du droit israélien à l’autodéfense, ils ont malgré tout hésité à rejeter catégoriquement les justifications israéliennes.
Les occupants coloniaux ont toujours revendiqué un “droit” à se défendre contre la résistance des communautés autochtones, y compris en commettant des meurtres de masse. L’histoire de la colonisation africaine est jonchée de fosses communes et des cadavres de ceux qui ont osé résister aux Européens, militairement supérieurs.
Dans son livre intitulé The British Gulag, l’historienne Caroline Elkins décrit une “campagne meurtrière” menée par les Britanniques dans le Kenya colonial à la suite du soulèvement des paysans Mau Mau dans les années 1950, avec notamment la création de camps de concentration pour 1,5 million de civils kikuyus et un système brutal de camps de torture qui a peut-être coûté la vie à des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes soupçonnées de s’être engagées dans la rébellion.
L’idée que les impérialistes voleurs de terres ont le droit de terroriser, brutaliser, torturer et assassiner ceux qu’ils dépouillent, sous couvert de “légitime défense” va à l’encontre de la résolution 37/43 de 1982 de l’Assemblée générale des Nations unies, qui reconnaît “la légitimité de la lutte des peuples pour l’indépendance, l’intégrité territoriale, l’unité nationale et la libération de la domination et de l’occupation coloniales étrangères par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée”. Cette résolution réaffirme spécifiquement ce droit dans le cas de la lutte palestinienne.
Ainsi, aujourd’hui, à Gaza, plutôt que de rechercher la “clarté morale”, l’Occident pratique l’obscurcissement moral pour justifier l’attaque d’une population de réfugiés par une puissance coloniale qui les a expulsés de leurs terres, les enferme, par un blocus criminel, dans ce qui est, en substance, une prison à ciel ouvert, et ose ensuite réclamer le droit de faire tout cela dans la paix et la tranquillité.
Lorsque les médias occidentaux parlent d’un “cycle d’escalade”, ils assimilent l’oppression à la résistance contre l’oppression, et présentent la violence comme un conflit entre deux parties ayant des droits égaux à la sécurité et à la terre.
Ils font semblant d’ignorer que les Palestiniens sont engagés dans une lutte de libération nationale contre une occupation illégale et immorale qui dure depuis des décennies, et contre un régime de discrimination raciale et ethnique qui, selon Human Rights Watch, dans un rapport que les médias refusent catégoriquement d’évoquer, correspond à la définition du crime international d’apartheid.
Dans les interviews, les porte-parole israéliens soulignent encore et encore la difficulté pour l’armée israélienne, qui s’autoproclame “l’armée la plus morale du monde”, de trouver et de tuer ceux qui sont en fait les chefs de la résistance palestinienne, parce que, selon l’armée, ils se cacheraient derrière des civils.
La presse occidentale s’empresse de répandre, à la suite d’Israël, l’idée que les dirigeants du Hamas et d’autres groupes sont des cibles légitimes, autrement dit, que, même si ses méthodes sont peu recommandables, Israël mène néanmoins une guerre légitime.
En se faisant les échos de la propagande israélienne, les médias occidentaux se rendent complices de la délégitimation de la résistance palestinienne qui lutte contre la domination coloniale et la dépossession des Palestiniens par l’État israélien.
Comme l’a souligné Ocasio-Cortez, répéter comme des perroquets qu’ “Israël a le droit de se défendre” sans inclure le contexte d’oppression ne fait qu’excuser l’oppression et légitimer son escalade. Mais elle aurait dû aller plus loin.
Si les médias, les politiciens et les diplomates occidentaux recherchaient vraiment la clarté morale, ils devraient considérer l’affirmation scandaleuse que les États coloniaux tels qu’Israël ont le droit de se défendre de ceux qu’ils oppriment, comme une forme particulièrement perverse de bourrage de crâne (*) et de fausse équivalence (**), et ils devraient la rejeter catégoriquement.
Notes :
(*) Gaslighting : une technique de manipulation mentale qui consiste à faire douter sa victime de sa propre santé mentale
(**) Bothsidesism : Fausse équivalence.
* Patrick Gathara est consultant en communication, écrivain et caricaturiste politique primé, basé à Nairobi. Son compte Twitter.
16 mai 2021 – Al-Jazeera – Traduction: Chronique de Palestine – Dominique Muselet