Par Yara Hawari
La campagne populaire et de masse a uni les Palestiniens dans la résistance et a capté l’attention du monde sur l’occupation israélienne.
Au cours des dernières semaines, nous avons assisté à ce que beaucoup qualifient de nouveau soulèvement palestinien. Surnommé par certains « l’Intifada de l’unité », il a rassemblé autour de la résistance tous les Palestiniens de toute la Palestine colonisée, les poussant à résister et à manifester unanimement contre le colonialisme de peuplement et ses manifestations dans diverses zones géographiques, de Jérusalem à Gaza.
Le catalyseur de ce nouveau soulèvement a été la menace du régime israélien d’expulser les familles palestiniennes de leurs maisons à Sheikh Jarrah – le désormais célèbre quartier palestinien de Jérusalem-Est occupée.
Les Palestiniens vivant à Sheikh Jarrah, comme d’innombrables autres communautés palestiniennes, sont menacés d’expulsion depuis des décennies. Ils ont été engagés dans une longue bataille juridique avec le régime israélien pour conserver leurs maisons et stopper, ou du moins ralentir, les tentatives israéliennes de nettoyer ethniquement et de judaïser complètement Jérusalem.
Fin avril 2021, le tribunal de district de Jérusalem a rejeté les appels contre ce que les tribunaux israéliens appellent « l’expulsion » de huit ménages, et a ordonné que ces familles quittent leurs maisons avant le 2 mai 2021.
Refusant cet ordre, les familles se sont engagées dans une campagne de masse pour « sauver Sheikh Jarrah » du nettoyage ethnique colonial. La campagne a été et continue d’être menée par des membres de la communauté, notamment par des jumeaux âgés de 23 ans, Mohammed et Muna al-Kurd.
Les frères et sœurs ont fait connaître la réalité sur le terrain à Sheikh Jarrah et ont appelé tous les Palestiniens à l’action via leurs comptes de médias sociaux qui comptent des centaines de milliers de “suiveurs”.
Leurs efforts ont depuis attiré l’attention non seulement au niveau local mais aussi international. La campagne a réussi à unir les Palestiniens à travers toute la Palestine colonisée en résumant ce qui est la quintessence de l’expérience palestinienne : le déplacement forcé.
Depuis le début, cependant, cette campagne a fait face à une énorme répression. Les abonnés de médias sociaux partageant du contenu de et à propos de Sheikh Jarrah ont signalé que leurs comptes avaient été censurés, limités ou fermés.
Mohammed al-Kurd lui-même a déclaré avoir reçu un avertissement d’Instagram selon lequel ses publications sur Sheikh Jarrah et la brutalité du régime israélien enfreignaient les « règles communautaires » et que l’intégralité de son compte pourrait éventuellement être supprimée.
Bien sûr, rien de tout cela n’était surprenant. Les plateformes de médias sociaux comme Facebook, WhatsApp, Twitter et YouTube travaillent depuis longtemps main dans la main avec le régime israélien et ses nombreux affiliés pour censurer le discours palestinien.
Les militants palestiniens savent trop bien que si ces plateformes ont été très efficaces pour les aider à atteindre un public à l’échelle mondiale, elles ont également été utilisées pour censurer et surveiller.
Au cours de la dernière décennie, de nombreux Palestiniens ont été arrêtés par le régime israélien pour avoir publié des articles sur leur lutte et appelé les gens à l’action sur les réseaux sociaux.
Les efforts pour censurer la campagne #SaveSheikhJarrah et faire taire ceux qui rapportent les injustices subies par la communauté ne se sont pas limités aux médias sociaux non plus. Les journalistes sur le terrain ont également été intimidés et harcelés par les forces du régime israélien.
Plus récemment, la journaliste arabe d’Al Jazeera, Givara Budeiri, a été violemment arrêtée alors qu’elle tentait de faire un reportage depuis le quartier.
Bien sûr, ce n’est pas nouveau non plus – le régime israélien prend systématiquement pour cible, depuis des décennies, les journalistes étrangers et locaux couvrant la Palestine.
Les forces répressives israéliennes ont perquisitionné plusieurs bureaux de médias en Palestine au fil des années et, plus récemment, elles ont bombardé l’immeuble qui abritait à la fois les bureaux d’Al Jazeera et d’Associated Press à Gaza.
Alors qu’Israël s’est toujours efforcé de faire taire les Palestiniens, sa répression contre la campagne Save Sheikh Jarrah et les journalistes qui la couvrent a été particulièrement forte et violente. Les forces israéliennes utilisent régulièrement la force brute pour briser les manifestations et aspergent régulièrement les habitants palestiniens du quartier avec de l’eau pestilentielle comme forme de punition collective.
Elles ont également depuis entouré le quartier de postes de contrôle. Seuls les Palestiniens qui sont enregistrés comme résidents de Sheikh Jarrah sont autorisés à entrer, mais les colons israéliens armés peuvent se promener dans le quartier sans aucune entrave à tout moment. C’est pourquoi beaucoup décrivent maintenant la situation à Sheikh Jarrah comme étant un véritable blocus.
Il est clair que le ciblage de la campagne Sheikh Jarrah n’est pas seulement parce qu’elle a réussi à montrer au monde la brutalité et l’injustice du régime israélien, mais aussi parce qu’elle a réussi à unir les Palestiniens.
La brutalité du régime israélien, cependant, n’a pas réussi à arrêter la campagne ou à limiter sa portée. Les militants de Sheikh Jarrah se mobilisent toujours en ligne et sur le terrain. Ils ont non seulement réussi à unir les Palestiniens de toute la Palestine colonisée dans une lutte commune, mais ont également attiré l’attention du monde sur le nettoyage ethnique israélien.
Et pour cela, Sheikh Jarrah continuera d’être une épine dans le pied du régime israélien.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
10 juin 2021 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine