Par Yumna Patel
Début mai, un groupe de colons israéliens est arrivé avec des caravanes et a installé un avant-poste illégal sur le sommet de Jabal Sabih, à la périphérie de Beita, dans le nord de la Cisjordanie occupée. Depuis lors, les protestations dans le village n’ont pas cessé.
Chaque jour depuis plus de deux mois, les manifestations dans le village n’ont pas cessé, et la réplique israélienne a été des plus violentes.
Depuis le début des manifestations à Jabal Sabih, les forces israéliennes ont assassiné cinq Palestiniens : quatre habitants de Beita et un jeune homme du village voisin de Yatma.
Les dernières victimes des manifestations de Beita sont deux adolescents : Mohammed Hamayel, âgé de 16 ans, et Ahmed Bani Shamsa, âgé de 17 ans. Ces deux jeunes étaient apparemment des amis d’école et faisaient partie des centaines de jeunes de Beita qui participaient régulièrement aux manifestations.
Des centaines d’autres Palestiniens de Beita et des villages environnants ont été blessés par les forces israéliennes d’occupation au cours des manifestations, dont un grand nombre par des tirs à balles réelles. Certains habitants estiment qu’il y a eu plus de 1000 blessures par balles réelles depuis le début des protestations.
L’avant-poste d’Eviatar a été érigé par un groupe de colons israéliens qui, sous la protection de l’armée israélienne, ont réussi à occuper le sommet de la montagne et les dizaines d’hectares de terres qui l’entourent.
Selon la loi israélienne, les avant-postes comme Eviatar sont considérés comme illégaux, car ils sont construits sans l’approbation préalable des autorités d’occupation, contrairement aux colonies officielles qui sont construites et subventionnées par le gouvernement.
Les avant-postes et les colonies sont tous deux illégaux au regard du droit international.
Malgré cela, les colons d’Eviatar ont continué à développer l’avant-poste, installant environ 45 caravanes et maisons préfabriquées en quelques semaines seulement. Le gouvernement israélien a également fourni aux colons de l’avant-poste des routes pavées, des conduites d’eau et de l’électricité.
De nombreux colons d’Eviatar sont venus des colonies et avant-postes environnants de la région, notamment la colonie de Yitzhar, qui abrite certains des colons les plus notoirement violents de toute la Cisjordanie.
À quelques kilomètres de Beita, se trouve la ville de Douma, où en 2015, un groupe de colons israéliens a mis le feu à une maison palestinienne, tuant trois membres de la famille Dawabsheh, dont un bébé de 18 mois.
Les Palestiniens de Beita craignent que si l’avant-poste reste sur leurs terres, les colons deviennent plus violents et que leurs familles subissent un sort similaire à celui des Dawabsheh.
Les manifestations les plus récentes à Beita sont les dernières d’une longue histoire de résistance à la colonisation dans la ville. Depuis 1988, les habitants ont réussi à repousser un certain nombre de tentatives des colons israéliens de s’emparer de leurs terres.
L’année dernière encore, des colons israéliens ont tenté d’occuper une autre montagne de la ville, appelée Jabal al-Urmah, ce qui a déclenché des protestations massives dans toute la zone. Le 11 mars 2020, des centaines d’habitants de Beita, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, ont organisé un sit-in pacifique au sommet de la montagne.
Ils ont été attaqués par les forces israéliennes, qui ont tiré des gaz lacrymogènes, des balles en acier et caoutchouc et des balles réelles sur la foule. Abdulghani Dweikat était présent ce jour-là avec son fils Islam, âgé de 22 ans.
“L’endroit où Islam a été tué est juste ici”, a déclaré Dweikat à Mondoweiss depuis le sommet de Jabal al-Urmah.
“Une personne âgée, d’environ 70 ans, a été touchée à la poitrine par une balle en acier et caoutchouc et du gaz lacrymogène. Je suis donc allé chercher des mouchoirs en papier pour les lui apporter. Quand j’ai quitté la tente, j’ai vu des gens appeler l’ambulance”, raconte-t-il.
“Et j’ai vu Islam, il était là”, a dit Dweikat, désignant un endroit sur le sol, maintenant envahi par les arbustes.
“Je n’ai rien pu faire. Je ne savais pas ce qui s’était passé. J’ai commencé à crier sur les soldats, ‘vous l’avez tué, vous l’avez tué'”, raconte-t-il.
“Je suis tombé et j’ai crié à nouveau. Et puis ils m’ont tiré deux fois dans le côté”, a-t-il dit, en montrant le côté gauche de son abdomen. “J’en ai encore les cicatrices”.
Dweikat rejoint une longue liste de parents à Beita dont les enfants ont été tués par les forces israéliennes.
Depuis 1967, 77 habitants de la ville ont été assassinés par Israël. Beaucoup d’entre eux ont été tués lors de manifestations comme celles de Jabal al-Urmah et Jabal Sabih.
Lorsque l’appel à la prière retentit dans la ville au coucher du soleil, les rues de Beita sont pratiquement vides. La plupart des habitants de la ville se dirigent vers Jabal Sabih, pour ce qu’ils appellent “les nuits de confusion”.
Dispersés dans la montagne, les habitants de Beita se répartissent en groupes ou en équipes, chacun étant chargé d’une tâche différente visant à irriter et à perturber les colons au sommet de la montagne.
Une équipe pointe des lasers vers l’avant-poste et les troupes israéliennes stationnées à Jabal Sabih, tandis que d’autres groupes sont chargés de faire hurler des klaxons et de faire du bruit. Les autres, principalement des jeunes hommes, allument des torches et marchent dans la vallée et mettent le feu à des pneus pour faire de la fumée en direction de l’avant-poste.
D’autres petits groupes de jeunes gens, se rapprochent le plus possible de l’avant-poste, et armés uniquement de pierres et de frondes, ils affrontent les soldats israéliens.
“Si Dieu le veut, avec le soutien des jeunes, leur détermination et leur volonté, cette colonie sera supprimée. Et l’occupation prendra fin également. Et notre pays, la Palestine, sera libre et indépendant, et sa capitale sera Jérusalem”, a déclaré un manifestant à Mondoweiss.
Plusieurs heures après les activités de confusion nocturne, les forces israéliennes ont réprimé les manifestants, utilisant des drones et des jeeps militaires pour tirer des gaz lacrymogènes, des balles en acier et caoutchouc et des balles réelles.
Malgré la réponse violente des forces israéliennes d’occupation aux protestations, de nombreuses familles ont continué à venir sur la montagne chaque nuit pour les activités de confusion nocturne.
“Nous ne voulons pas que nos enfants meurent. Personne ne veut que ses enfants meurent. Je veux que mes enfants grandissent. Et qu’ils aient une famille, et qu’ils étudient à l’université”, a déclaré Mohammad Hamayel, alors qu’il descendait la montagne, tenant par les épaules son fils adolescent, Aws.
“Mon fils aîné pense aller l’année prochaine étudier en Turquie et faire des études de médecine. Ceux qui tuent leurs rêves, ce n’est pas nous. Ceux qui tuent leurs rêves, ce n’est pas nous, c’est l’occupation”, dit-il.
Fin juin, après des semaines de protestations, le gouvernement israélien dirigé par son nouveau Premier ministre Naftali Bennett, a conclu un accord avec les colons d’Eviatar.
L’accord stipulait que les familles de colons présentes sur l’avant-poste quitteraient les maisons qu’elles ont construites, mais que les structures elles-mêmes resteraient, et seraient converties en une école de Yeshiva [école religieuse].
Aucun des habitants de Beita, ni les Palestiniens qui possèdent des terres à Jabal Sabih, n’ont été consultés au sujet de l’accord.
“Rien ne nous apaisera tant que cette colonie ne sera pas rendue à ce qu’elle était, à savoir des oliveraies”, a déclaré une enseignante de Beita à Mondoweiss. “C’est la seule chose qui nous satisfera”.
“Nous nous sentons enragés. Nous ne sommes satisfaits d’aucune des décisions qu’ils ont prises hier et avant-hier”, a-t-elle ajouté. “Nous espérons que, avec l’aide de Dieu, toute la colonie sera partie.”
“Et nous disons que s’ils laissent les caravanes debout, nos fils iront les brûler.”
Les habitants de Beita insistent sur le fait que, qu’il s’agisse d’une colonie résidentielle ou d’une école, l’avant-poste d’Eviatar reste illégal et doit être retiré de leurs terres.
Jusqu’à ce que cela se produise, ils font savoir qu’ils continueront à protester, quel qu’en soit le prix.
7 juillet 2021 – Mondoweiss.net – Traduction : Chronique de Palestine