Par Hamid Dabashi
Le but de cette invasion et de cette occupation n’a jamais été d’apporter la paix et la prospérité à l’Afghanistan. Il a toujours été de renforcer la machine militaire américaine.
L’annonce par le président américain Joe Biden du retrait militaire de l’Afghanistan, après son invasion et deux décennies d’occupation, a suscité des réactions prévisibles. La succession habituelle des articles convenus des commentateurs libéraux et réactionnaires déclarant que les États-Unis ont lamentablement échoué en Afghanistan passe totalement à côté de l’essentiel.
Ils présument, au mépris des faits historiques, que le but de cette invasion et de cette occupation était d’apporter la paix et la prospérité à l’Afghanistan, de vaincre les talibans, de détruire Al-Qaïda et d’instaurer un régime démocratique dans un pays musulman. Ce sont là des assomptions délirantes.
En effet, cela n’a jamais été l’objectif des administrations américaines successives, de Bush à Biden en passant par Obama et Trump. Les États-Unis ont, en fait, réussi, de manière spectaculaire, à faire exactement ce qu’ils voulaient : montrer leurs muscles militaires, tester leurs dernières armes et tactiques de guerre, affirmer leur hégémonie mondiale et déployer leur position stratégique régionale contre la Russie et la Chine.
L’idée attrayante et naïve selon laquelle les États-Unis seraient allés en Afghanistan pour vaincre les talibans, éradiquer Al-Qaïda et garantir la paix et la prospérité au peuple afghan ne mérite même pas qu’on s’y arrête. Pourquoi les États-Unis feraient-ils une chose pareille ?
Au cours des quatre dernières années, sous l’administration Trump, le monde a pris conscience que les États-Unis étaient et avaient toujours été dirigés par une oligarchie raciste corrompue et dysfonctionnelle.
Dans un pays où l’éducation publique s’effondre pour les garçons comme pour les filles, pourquoi l’État se soucierait-il de l’éducation des filles afghanes – un argument hypocrite brandi sans répit par les hypocrites artistes néocons ?
Pour juger de leur succès ou de leur échec Il faut d’abord comprendre pourquoi les États-Unis ont envahi l’Afghanistan.
Une guerre asymétrique
Depuis des décennies, l’Asie centrale est la cible des stratèges impériaux américains. Les événements du 11 septembre ont servi de prétexte aux États-Unis pour exhiber leurs capacités militaires et reconfigurer leurs options stratégiques de guerre asymétrique en Asie centrale post-soviétique.
Ni l’Afghanistan, ni les Talibans, n’ont jamais été leur souci principal ; ils ont servi d’écran de fumée.
Ce qu’il est advenu de l’Afghanistan pendant l’occupation américaine, ou ce qu’il adviendra des Afghans maintenant que les États-Unis sont partis et que les Talibans reconquièrent les territoires qu’ils ont perdus, ne préoccupe pas le moins du monde les stratèges américains, ni n’influe sur leurs priorités impérialistes.
La Chine est en train de devenir une menace économique et militaire majeure ; la Russie est toujours une menace ; la Corée du Nord leur donne des soucis ; et l’Iran cause des problèmes à la colonie de peuplement préférée des États-Unis. Telles sont les questions principales et primordiales pour les États-Unis.
Quant à l’Afghanistan, pourquoi devraient-ils s’en soucier ? Le sort de 40 millions d’êtres humains abandonnés à la merci de dangereux fanatiques talibans n’entre absolument pas dans leurs préoccupations.
Biden et l’ancien président américain Donald Trump ont tous deux d’autres priorités intérieures et régionales. Ils sont peut-être en désaccord sur beaucoup de questions politiques, mais ils se rejoignent lorsqu’il s’agit de l’Afghanistan, et ne se soucient pas plus l’un que l’autre des épouvantables conséquences de leurs décisions sur les Afghans.
C’est tout aussi vrai des anciens présidents Barack Obama et George W Bush, aujourd’hui des amis proches: Obama a poursuivi les expansions stratégiques et développé l’utilisation des drones-tueurs initiée pendant l’administration Bush.
La cible principale des atrocités criminelles d’Al-Qaïda et des Talibans a toujours été les musulmans en général, et les Afghans en particulier. La folie spectaculaire du 11 septembre n’était qu’une façade – une performance visuelle mortelle pour donner l’impression d’être puissants. Les actes spectaculaires de violence suicidaire sont des signes effrayants de désespoir et de faiblesse.
Succès stratégique
Vingt ans après les événements du 11 septembre et l’invasion américaine de l’Afghanistan, les États-Unis sont dans une position militaire mondiale beaucoup plus forte qu’ils ne l’ont jamais été. Le fait que cette puissance militaire soit moralement illégitime n’a aucune espèce d’importance. Il en est de même pour le vol de terres palestiniennes par Israël, l’invasion du Yémen par les Émirats arabes unis, les incursions militaires turques en Syrie et la présence toujours plus audacieuse de la Russie en Europe de l’Est, en Asie centrale et dans le monde arabe.
Au cours des 20 dernières années, la guerre en Afghanistan a été un succès stratégique de première importance pour les États-Unis sur ce vaste théâtre d’opérations. Ils connaissent désormais le terrain mieux que jamais et sont prêts à contrer les sphères d’influence russe et chinoise.
Il n’y a rien de plus stupide que l’idée toute faite selon laquelle l’Afghanistan serait le “cimetière des empires“. L’empire américain n’est pas mort en Afghanistan, pas plus que les projets impériaux russes avant lui. Bien au contraire : les États-Unis et la Russie sont tous deux de solides machines militaires et impériales à l’œuvre de l’Asie centrale à l’océan Indien et au-delà. Leur seul véritable rival est la Chine.
20 longues années, 2000 milliards de dollars de dépenses militaires et des milliers de morts américaines et afghanes, ont permis aux États-Unis d’enrichir leur industrie de l’armement, de tester leurs armes les plus récentes, et d’offrir des promotions à leurs officiers. Ils ont appris des talibans les moyens et les méthodes de lutte contre la guérilla.
La Russie a récemment proposé aux États-Unis d’utiliser les bases militaires russes en Asie centrale pour la “collecte d’informations” sur l’Afghanistan. Quel genre de “cimetière” d’empires est-ce là ?
Mission accomplie
Les Américains, dans leur ensemble, sont lassés de la guerre en Afghanistan depuis longtemps. L’anniversaire du 11 septembre lui-même est devenu une série d’événements ennuyeux et banals, les attentats ayant rempli leur office, à savoir justifier la “guerre contre le terrorisme” menée par les États-Unis.
Bush avait parfaitement raison lorsque, à bord du porte-avions USS Abraham Lincoln en mai 2003, il a déclaré triomphalement : “Mission accomplie !” Il faisait référence à la guerre en Irak, mais il aurait tout aussi bien pu parler de l’Afghanistan.
Aujourd’hui, Biden a d’énormes problèmes intérieurs, et il ne veut plus être dérangé par l’Afghanistan. Ce que les États-Unis ont retiré de leurs dépenses massives dans la région est invisible à l’œil nu ; cela touche à la “sécurité nationale”, et ce n’est certainement pas une tentative d’apporter la paix et la prospérité et (Dieu nous en préserve) la “démocratie” aux Afghans.
Aujourd’hui, les États-Unis semblent occupés à détruire la démocratie chez eux. Ils ne sont pas en position morale ni politique d’apporter la démocratie ailleurs.
L’aventure américaine en Afghanistan a transformé les Afghans les plus éduqués et les plus capables en collaborateurs des forces militaires conquérantes ; ils s’enfuient maintenant pour sauver leur vie, et les États-Unis ne s’en soucient guère. Les empires sont une affaire lucrative pour les impérialistes, alors qu’ils n’apportent qu’indignité et misère à ceux qu’ils conquièrent.
L’Afghanistan est le cimetière des dizaines de milliers d’Afghans innocents qui ont péri au cours des deux dernières décennies – et un succès retentissant pour le militarisme américain dans la région et au-delà.
Auteur : Hamid Dabashi
28 juillet 2021 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine
La défiance envers une nation est légitimement proportionnelle au nombre d’étoiles que compte son drapeau. Plus la bannière est étoilée, plus la population est étiolée…