Par Rana Abudahrouj
Dans une histoire récente, The Noise Inside my Head, Raed Shakshak décrit ses luttes contre l’anxiété. Il n’est pas seul dans cette situation.
Beaucoup de jeunes gens en Palestine –ainsi que dans le monde- doivent faire face aux épreuves de l’anxiété et de la dépression engendrées par la maladie mentale. Dans le texte présenté ici, Rana Abudahraoui utilise l’allégorie pour décrire les sentiments vécus dans le combat contre l’anxiété, le courage qu’il faut pour la surmonter.
Tout a commencé quand elle a remarqué qu’il y avait d’autres personnes avec elle dans l’appartement. Cette première fois, paralysée par la peur, elle s’est tapie dans un coin de sa chambre derrière le fauteuil. Elle a écouté leurs voix qui se disputaient mais elle était trop anxieuse pour comprendre quoi que ce soit à ce qu’elles disaient.
Elle voulait juste savoir d’où venaient les voix. Elle voulait crier mais elle ne trouvait pas sa voix. Impossible d’utiliser le téléphone portable, la batterie était à plat. Elle ne pouvait que prier qu’ils s’en aillent sans lui faire de mal. Elle s’endormit cachée dans ce coin et se réveilla avec le soleil dans les yeux.
Son corps était si raide qu’il lui fallut plusieurs minutes pour se lever. Elle regarda autour d’elle mais rien dans l’appartement n’avait changé, tout était à sa place.
La nuit suivante commença calmement mais soudain, elle les entendit de nouveau. Cette fois, elle eut suffisamment de courage pour regarder alentour et marcher vers la porte et y plaquer son oreille afin de savoir s’ils étaient dans le hall.
La nuit d’après, emplie d’effroi et épuisée, elle appela son amie et lui demanda de venir. Elle lui raconta tout. Elles s’assirent sur le lit, silencieuses et attendirent le retour des voix mais elles ne revinrent pas. La nuit fut aussi calme qu’un tombeau. A quatre heures du matin, elles s’endormirent et le lendemain, elles partirent tard au travail.
Nuit après nuit, les voix gagnaient en force. Au lieu de s’y habituer, elle ressentait toujours plus d’effroi. La seule façon qu’elle avait de les contrer était de les ignorer, d’agir comme si elles n’étaient pas là.
« Elles ne sont pas là, tu es la seule à les entendre » ne cesse-t’elle de se répéter chaque fois que les choses devenaient menaçantes. « Reprends-toi et arrête cette comédie ! ». Elle savait pourtant qu’il ne s’agissait pas d’hallucinations, il y avait des voix.
Son effroi grandit quand elle se rendit compte qu’elles parlaient d’elle. Et plus elle tentait de les ignorer, et plus elles s’amplifiaient et la faisaient trembler.
Un jour, au moment où elles se mirent soudainement à s’adresser à elle, elle décida de se défaire de sa peur et de les écouter. Elle découvrit qu’elles n’avaient jamais cessé de lui parler. Elle s’aperçut aussi que même quand elles se disputaient, elles présumaient qu’elle les écoutait. Juste auparavant pourtant, sa frayeur l’avait rendue sourde à ce qu’elles disaient.
Parmi les voix, la plus sonore était celle qui l’accompagnait le plus, particulièrement quand elle était en public et mal à l’aise ou quand elle était seule en train de méditer sur les erreurs qu’elle avait faites ce jour- là. La frayeur qu’elle éprouvait en entendant cette voix ressemblait beaucoup à celle que suscitait en elle sa mère durant son enfance.
En ce temps-là, elle n’avait pas assez de courage pour parler tout haut à sa mère, de peur de l’affronter. Quand sa mère lui lançait des accusations ou la réprimandait, elle se contentait de baisser la tête et de regarder le sol.
Quand elle avait assez de chance, c’était cette voix effrontée, qui était comme la version la plus folle d’elle-même, qui venait la soutenir en lui rappelant son dicton favori « l’erreur est humaine ».
La troisième voix était la plus facile à négliger. Elle n’était pas effrayante comme la première ou gouailleuse comme la seconde mais elle était épuisante à cause de la vulnérabilité qu’elle apportait. A la différence des autres, elle n’était pas là pour dire des choses mais pour demander de l’aide ou de l’attention.
Elle était assise devant le miroir quand elles commencèrent à parler, et comme de coutume, la voix qui ressemblait à celle de sa mère fut la première à parler. Pendant qu’elle écoutait, elle leva la tête et regarda dans le miroir, elle ne vit pas son visage mais quelqu’un d’autre qu’elle connaissait.
Elle eut un pincement au cœur mais s’aperçut vite que c’était son reflet à elle mais avec certains des traits fortement marqués de sa mère.Elle regarda le reflet dans les yeux et un grand cri s’échappa de sa gorge.
Quand elle s’arrêta de crier, la voix disparut et l’image dans le miroir devint celle d’un enfant assis dans un coin de la chambre. Elle se retourna pour voir la chambre mais l’enfant n’avait de présence que dans le miroir, pleurant doucement et parlant à voix basse « je sais que tu ne veux pas me voir mais je suis enfermé ici ».
Elle se rapprocha du miroir se pencha pour mieux voir l’enfant et lui demanda comment elle pouvait l’aider quand elle ne pouvait pas s’aider elle-même. « Je ne sais pas comment » répondit la fille.
« Facile, arrête-les comme tu l’as fait il y a quelques minutes, tu es plus forte, elles vont t’écouter. »
La fille opina, ferma les yeux et prit une profonde inspiration. Quand elle rouvrit les yeux, l’enfant sourit, tourna le dos et s’éloigna, permettant à la fille de voir que l’enfant avait la même tache de naissance que la sienne à l’arrière du cou.
La fille s’adossa au mur et se cacha le visage dans les mains, elle entendit alors la seconde voix chuchotant dans son oreille « tu assures, jeune fille ! Je pense que tu n’as plus besoin de moi, mais si cela arrivait, tu sais où me trouver ».
Son corps tomba si lourdement qu’elle pouvait à peine lever la tête pour regarder dans le miroir mais quand elle le fit, elle vit son visage et des larmes abondantes lui vinrent. Ce n’étaient pas des larmes de tristesse, de peur ou de bonheur.
C’étaient des larmes de soulagement.
Auteur : Rana Abudahrouj
* Rana Abu Dahrouj est une étudiante permanente, une enseignante, qui s'adonne aussi à une recherche passionnée de la beauté . "Je suis la plus authentique lorsque je fais du yoga, que je lis, que je médite ou que j'écris. L'épanouissement personnel est mon objectif ultime. Et je suis accro aux bougies !"
28 juin 2021 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine – Najib Aloui