Par Yara Hawari
Les systèmes policiers et carcéraux israéliens et palestiniens ont dévasté la société palestinienne. Comment la société civile palestinienne peut-elle adopter des processus de responsabilité communautaire et de justice transformatrice éloignés des institutions étatiques et de la justice punitive ? Yara Hawari, analyste principale pour Al-Shabaka, explore cette question et propose des recommandations à la société civile palestinienne et à la communauté internationale des donateurs pour susciter et soutenir ces changements cruciaux.
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De nombreuses communautés à travers le monde, en particulier les personnes de couleur, les communautés queer et les classes ouvrières, remettent en question depuis des décennies l’idée salon laquelle les institutions policières et de justice étatique seraient des forces du bien. Leurs expériences révèlent au contraire une violence systématique de la part de ces institutions étatiques.
En conséquence, ils affirment que ces institutions ne fournissent pas et ne peuvent pas fournir le niveau de justice nécessaire à la guérison des survivants et des victimes de préjudices, ainsi que de la communauté au sens large. [1]
Le mouvement Black Lives Matter a mis la contestation des systèmes de police et de justice étatique au premier plan dans les médias grand public. Le mouvement abolitionniste, prônant la disparition des systèmes policier et carcéral et l’adoption d’alternatives dirigées par la communauté, a notamment gagné du terrain. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un mouvement monolithique, cet abolitionnisme repose sur plusieurs principes, notamment la reconnaissance du fait que les systèmes policier et carcéral consacrent l’oppression coloniale, raciale, de classe et de genre d’une manière souvent inégalée par d’autres systèmes.
En outre, l’abolitionnisme reconnaît que l’incarcération en réponse à des préjudices et à des injustices ne s’attaque guère aux causes profondes.
Ces principes fondamentaux démontrent que la responsabilité communautaire et la justice transformatrice sont de meilleures alternatives pour répondre aux préjudices et aux actes de violence. De nombreux activistes du mouvement abolitionniste défendent ainsi un retrait des financements accordés à la police et privilégient l’affectation de ressources à des initiatives communautaires, sanitaires et éducatives.
En Palestine colonisée, le régime carcéral israélien a dévasté la société palestinienne et cette question unit indéniablement les Palestiniens. Cependant, cette unité ne s’est pas encore traduite par une contestation plus large des systèmes policiers et carcéraux.
En effet, de nombreux Palestiniens font une distinction claire entre les « prisonniers politiques » – ceux qui sont accusés d’« atteinte à la sécurité » par le régime israélien – et les « prisonniers criminels ». L’un des résultats de cette différenciation entre les prisonniers politiques et non politiques est le sous-entendu selon lequel les causes profondes des « crimes » ne sont pas politiques.
Pourtant, ce caractère « criminel » comporte des connotations profondément politiques, et comme l’affirme Randa Wahbe, analyste politique pour Al-Shabaka, nous devons comprendre que « tous les prisonniers sont politiques ». Ce faisant, nous créons un espace pour imaginer un avenir radicalement différent, un avenir dans lequel tous les systèmes carcéraux n’ont pas leur place dans la société.
Ce dossier politique vise non seulement à contribuer à l’appel mondial en faveur d’un monde sans prisons, mais aussi à ouvrir des pistes de réflexion au-delà des systèmes policiers et carcéraux, notamment en explorant des formes alternatives de responsabilité et de justice en Palestine colonisée.
Partant du principe que ce travail doit se faire en dehors des institutions de police et de justice en Palestine, ce dossier propose des recommandations aux acteurs de terrain palestiniens et à la société civile palestinienne pour mettre en pratique la responsabilité communautaire et la justice transformatrice. Il donne également des recommandations à la communauté internationale des donateurs pour minimiser les préjudices.
La nature coloniale du système policier en Palestine
Le système policier en Palestine a toujours été une entreprise coloniale, comme l’illustre le fait qu’un grand nombre de prisons et de commissariats de police utilisés pour maintenir l’ordre et incarcérer les Palestiniens pendant le mandat britannique sont aujourd’hui utilisés par le régime israélien dans le même but.
En effet, l’emprisonnement et l’incarcération sont depuis longtemps des caractéristiques communes de la vie des Palestiniens dans toute la Palestine colonisée.
Rien que depuis 1967, environ 800 000 personnes ont été détenues par le régime israélien, et actuellement, 4600 prisonniers politiques palestiniens sont derrière les barreaux des prisons israéliennes. Nombre d’entre eux purgent de longues peines et d’autres subissent un cycle répétitif de peines de prison.
Alors que ces prisonniers sont désignés par le régime israélien comme des « détenus de sécurité » parce qu’ils sont considérés comme une menace pour la sécurité d’Israël, les Palestiniens ne cessent de lutter pour la reconnaissance internationale de leur statut de « prisonniers politiques ».
Par le biais de boycotts de tribunaux militaires, de grèves de la faim, d’écrits et de témoignages oraux, les prisonniers palestiniens soulignent l’importance de cette classification politique, car elle dénonce l’incarcération en tant que tactique ultime de contrôle employée par l’État colonial.
Ce statut distingue également les prisonniers « politiques » des prisonniers « criminels », ces derniers étant incarcérés à la fois par le régime israélien et par l’Autorité palestinienne (AP).
À l’issue des accords d’Oslo de 1993, les questions de police civile en Cisjordanie et à Gaza ont été transférées de l’armée israélienne à la nouvelle police de l’AP – sauf pour certaines violations dans la zone C, qui sont du ressort de l’armée israélienne.
En effet, la création d’une force de sécurité de l’AP et d’un système de justice pénale à même de résoudre les conflits et de mener des poursuites de manière indépendante était primordiale en vue de la construction de l’État palestinien.
Dans les territoires de 1948 et à Jérusalem-Est, les Palestiniens ont la citoyenneté israélienne ou le statut de résident permanent israélien, et relèvent donc de l’administration civile israélienne.
Pourtant, la création d’institutions policières et sécuritaires palestiniennes n’a pas constitué un pas vers la libération, mais plutôt une extension et une externalisation du régime carcéral colonial. Les forces de sécurité de l’AP opèrent dans le cadre d’une paix érigée en « enjeu sécuritaire », ce qui signifie qu’elles travaillent en coopération totale avec le régime israélien.
Leur existence repose sur cette coopération, dans la mesure où leur financement provient d’États tiers qui leur demandent des comptes.
Aujourd’hui, les principaux financeurs des forces de sécurité et du système de justice pénale palestiniens sont le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada et l’Union européenne. Cette dernière a créé en 2006 un organisme spécial, EUPOL COPPS, pour se concentrer sur ce secteur.
Ses tâches consistent notamment à développer et à réformer la police civile palestinienne, à renforcer le système de justice pénale, à améliorer la coopération entre le ministère public et la police et à faciliter la fourniture d’aide par les donateurs extérieurs.
L’un des axes de travail de la police palestinienne est la cybercriminalité, notamment l’usurpation d’identité, le chantage et la sextorsion, des pratiques qui se sont développées au cours de la dernière décennie en Cisjordanie et à Gaza.
Apparemment dans le but de combattre ce phénomène, l’AP a adopté une loi sur la cybercriminalité par décret présidentiel en juin 2017. La police et ses financeurs externes ont mis l’accent sur le fait que la législation précédente était dépassée et ne permettait pas de faire face à l’essor des réseaux sociaux.
EUPOL COPPS a également présenté cette loi comme un moyen de lutter contre la violence sexiste, invoquant les effets disproportionnés que la cybercriminalité peut avoir sur les femmes et les filles. La loi a été adoptée en secret et sans consultation des acteurs de la société civile palestinienne.
Comme le craignaient plusieurs groupes de défense des droits de l’homme, elle a été immédiatement appliquée pour cibler des activistes et des journalistes qui publiaient des contenus sur les réseaux sociaux.
En outre, loin de s’attaquer à la violence sexiste comme le prétendent ses financeurs, la police palestinienne la renforce, non seulement en agressant des manifestantes, mais aussi en se montrant réticente à intervenir en cas de violences domestiques.
En effet, les violences domestiques et le viol conjugal sont rarement pris au sérieux et la procédure de signalement est souvent rendue délibérément difficile. Par ailleurs, les tribunaux palestiniens n’offrent pas de protection et de justice aux femmes et aux jeunes filles victimes de violences sexospécifiques.
D’après une étude réalisée en 2014 par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, les juges réduisent souvent les peines lorsqu’ils apprennent qu’un meurtre a été commis dans le but de préserver l’honneur familial. Cette situation n’est bien sûr pas propre à la Palestine : partout à travers le monde, les institutions policières et judiciaires abandonnent les femmes face aux violences sexospécifiques.
De la même manière, les pratiques de « sécurité » mises en place à travers le monde le sont souvent au nom des droits des femmes, de l’interventionnisme impérialiste à l’autoritarisme national.
Aujourd’hui, le budget du secteur de la sécurité de l’AP, qui englobe la police civile, dépasse ceux des secteurs de la santé, de l’agriculture et de l’éducation réunis. Outre le fait que cet ordre de priorité soit faussé, ceci est particulièrement inquiétant compte tenu de la répression constante et systématique opérée par les forces de sécurité de l’AP contre la dissidence et l’opposition politiques.
La police palestinienne reproduit pour sa part les modèles mondiaux d’incarcération en ciblant souvent les personnes vulnérables, y compris celles qui n’ont pas les moyens de payer une caution. Parallèlement, le système judiciaire de l’AP est confronté à un monopole décisionnel sans précédent du président Mahmoud Abbas, qui continue de gouverner par décret présidentiel et de nommer ses propres juges.
Après la seconde Intifada, les armes à feu et les gangs ont connu un développement au sein des communautés palestiniennes dans les territoires de 1948. Le dialogue oral et les stratégies communautaires de résolution des conflits ont donc été remplacés, dans de nombreux cas, par la force brute.
Cela a entraîné un engagement accru de certains citoyens palestiniens d’Israël auprès des institutions gouvernementales israéliennes dans l’espoir de faire face à la violence.
Cet engagement a notamment pris la forme d’un groupe de travail interministériel israélien créé en 2019, qui a présenté une proposition visant à réduire la criminalité dans les communautés palestiniennes.
Celle-ci prévoyait notamment d’accroître la surveillance et de recruter davantage d’hommes palestiniens au sein des forces de police israéliennes. Au lieu de s’attaquer aux causes socio-économiques profondes de la violence dans les communautés palestiniennes, cette proposition traitait plutôt le problème de la violence « comme un élément intrinsèque de la société arabe », comme l’écrit la chercheuse Shahrazad Odeh.
Mansour Abbas, député à la Knesset chef de file de la Liste arabe unie, a soutenu cette proposition dont les recommandations rejoignent les efforts institutionnels mondiaux visant à lutter contre la violence au sein des communautés « minoritaires ». Outre ce groupe de travail interministériel, le régime israélien utilise depuis longtemps la violence au sein des communautés palestiniennes pour renforcer la surveillance.
Au cours de la dernière décennie, 14 commissariats et 13 postes de police ont été créés dans les communautés palestiniennes des territoires de 1948. Pourtant, contrairement à ce qu’indique le discours de l’État, cela n’a pas freiné la violence ; comme l’a démontré un rapport de Baladna, le nombre d’homicides a été multiplié par 1,5 entre 2011 et 2019.
Même si l’engagement auprès de la police israélienne a augmenté, la confiance envers les institutions étatiques demeure limitée. Shahrazad Odeh explique que dans le cas d’incidents violents, la police « prend rarement des témoignages. Ils peuvent arrêter quelqu’un et le relâcher le lendemain, après l’avoir potentiellement interrogé pour obtenir des informations sur la communauté. »
Afin d’éviter d’ouvrir officiellement une affaire, il arrive même que la police encourage les parties impliquées à recourir à la solha, une forme traditionnelle de résolution des conflits communautaires qui se passe souvent de l’État.
De toute évidence, la politique de la police israélienne vis-à-vis des communautés palestiniennes dans les territoires de 1948 consiste à surveiller et à recruter des collaborateurs plutôt qu’à exiger des comptes ou à rendre justice.
Il est clair que dans toute la Palestine colonisée, les institutions policières et de justice étatique israéliennes et palestiniennes portent préjudice aux communautés palestiniennes, même si elles prétendent le contraire. En augmentant la surveillance et en renforçant les structures nuisibles existantes, elles confirment que ces espaces institutionnels et coloniaux ne peuvent offrir ni responsabilité, ni justice.
En outre, s’il est important de reconnaître la lutte des « prisonniers politiques » palestiniens, il l’est tout autant de reconnaître que la détermination d’activités criminelles, fixée par les États et les régimes, évite souvent les plus puissants et cible les communautés vulnérables.
Il est donc crucial de problématiser la notion de « criminalité » et de comprendre que les institutions policières et de justice étatique sont le plus souvent à l’origine de la violence même à laquelle elles prétendent s’attaquer.
Réimaginer la responsabilité et la justice en Palestine
Les communautés se sont attaquées aux injustices et à la violence bien avant l’émergence des États-nations. Aujourd’hui, les communautés du monde entier relancent des pratiques de responsabilité communautaire et de justice transformatrice qui s’appuient sur une compréhension intersectionnelle des structures de pouvoir, telles que celles fondées sur le patriarcat, les classes sociales ou groupes raciaux présents dans la société.
La responsabilité communautaire est une stratégie qui vise à traiter les injustices et la violence au sein des communautés tout en se passant d’institutions policières. Il s’agit d’un processus dans lequel un collectif – qu’il s’agisse d’une famille, d’un groupe d’amis ou d’activistes – coopère pour remédier à des préjudices et des actes de violence qui ont eu lieu.
Il est recommandé d’inclure dans le processus des personnes formées aux méthodes de facilitation et de réduction des préjudices, dans la mesure où des interventions menées par des membres non formés sont susceptibles d’exacerber accidentellement les préjudices.
Selon INCITE!, un réseau de féministes radicales de couleur, la responsabilité communautaire implique généralement l’affirmation de valeurs qui résistent à la violence et à l’oppression, l’élaboration de stratégies durables pour faire face à la violence, la protection de ceux qui subissent des actes de violence ou des injustices, ainsi que l’engagement collectif envers le développement continu de la communauté pour « transformer les conditions politiques qui renforcent l’oppression et la violence ».
La responsabilité communautaire implique donc souvent une justice transformatrice, qui vise à comprendre la raison de l’acte de violence, du préjudice ou de l’injustice, et comment empêcher qu’ils ne se reproduisent à l’avenir. Il convient de préciser que la justice transformatrice exige que nous nous détachions du caractère punitif de la justice.
Pourtant, ce concept, à l’instar de celui d’un monde sans prison, demeure difficile à imaginer pour beaucoup. Comme l’écrit Angela Davis dans son ouvrage précurseur La prison est-elle obsolète ? :
Les personnes qui militent pour l’abolition carcérale sont considérées comme des utopistes et des idéalistes dont les idées seraient, au mieux, irréalistes et inapplicables et, au pire, mensongères et insensées. C’est dire à quel point il est difficile d’envisager un ordre social qui ne repose pas sur la menace de l’incarcération des individus dans des lieux épouvantables conçus pour les séparer de leurs proches et de leur communauté. La prison est considérée comme un élément si « naturel » qu’il est extrêmement difficile d’imaginer la vie sans elle.
En effet, la réponse immédiate des États aux préjudice et aux actes de violence passe par une déclinaison de la justice punitive, comme l’incarcération ou, dans des cas extrêmes, la peine de mort. Pour les États, la justice punitive est la forme de justice dominante car elle est moins coûteuse que les autres formes et peut même devenir lucrative.
Pourtant, la justice punitive ne s’attaque guère à la cause profonde de la violence. En réalité, dans la majorité des cas, elle perpétue le cycle de la violence, car non seulement les prisons sont elles-mêmes des espaces de violence, mais elles visent aussi de manière disproportionnée les communautés marginalisées. De plus, l’incarcération ne contribue guère à la réinsertion des détenus et beaucoup de ceux qui sortent de prison récidivent.
La justice transformatrice vise à permettre à la victime d’obtenir justice sans qu’il soit nécessaire de poursuivre le cycle de la violence en punissant l’auteur des faits.
Les pratiques de responsabilité communautaire existent en Palestine depuis des générations. En Palestine, la solha est une pratique de responsabilisation et de réconciliation entre des parties en conflit employée depuis longtemps. Fondée sur les coutumes et traditions tribales, elle se passe généralement de la médiation des tribunaux. Aujourd’hui encore, elle sert à régler des conflits liés à des vols, des terres ou des actes de violence.
La procédure de la solha varie selon les communautés palestiniennes, mais elle implique souvent des hommes âgés de la communauté et l’arrangement final comprend généralement une somme d’argent.
Dans de nombreux cas, la solha est un mécanisme privilégié car elle permet aux communautés de préserver des structures socioreligieuses conservatrices et patriarcales dans lesquelles les institutions étatiques n’interviennent pas.
Cependant, le mécanisme de la solha est le plus souvent problématique et non représentatif ; il est empreint d’une profonde dynamique patriarcale et de classe. Par exemple, les femmes sont souvent exclues des processus et les grandes familles sont fréquemment en mesure de négocier une issue plus favorable.
Par conséquent, des communautés palestiniennes ont récemment tenté de s’unir pour combattre les actes de violence et les préjudices en dehors du processus de la solha.
C’est le cas dans la ville palestinienne de Kafr Qassem, où un groupe de jeunes appelé Haras al-Balad (« protecteurs de la ville ») a été créé dans un esprit de mobilisation contre les bandes locales qui soutiraient de l’argent aux habitants en échange de leur protection. Au cours de l’Intifada de l’unité en mai 2021, Haras al-Balad a empêché la police israélienne d’entrer dans la ville et d’arrêter des activistes.
De même, le Mouvement unifié d’Umm al-Fahm a été créé par de activistes féministes d’Umm al-Fahm, même s’il est aujourd’hui composé de diverses factions politiques et de personnes d’horizons variés. Le groupe a créé un front contre la violence armée et des gangs tout en s’attaquant à la violence perpétrée par la police israélienne.
Comme le décrit Shahrazad Odeh, ce groupe a constitué un espace de mobilisation pendant l’Intifada de l’unité.
On peut également citer une initiative menée par des femmes pour demander des comptes au directeur d’une importante ONG palestinienne, accusé de harcèlement sexuel. Des rencontres houleuses ont eu lieu avec l’homme en question, qui a nié les accusations. Comme il n’était pas question d’impliquer la police israélienne, des témoignages ont été publiés par une ONG féministe dans le but de faire connaître les abus.
Malheureusement, dans cette affaire, le directeur est resté à son poste et n’a pas eu à rendre des comptes ; l’initiative n’a pas bénéficié d’un soutien plus large de la communauté.
Même si ces initiatives n’aboutissent pas forcément ou n’engendrent pas nécessairement une remise en question totale des structures de pouvoir problématiques au sein de la société, les exemples de responsabilité communautaire présentés ci-dessus constituent un précédent contemporain en matière d’efforts déployés par les Palestiniens pour détacher leur réflexion des institutions policières et de justice étatique.
Un modèle de responsabilité communautaire
Il existe de nombreux modèles de processus de responsabilité communautaire qui abordent les préjudices et les actes de violence tout en rendant justice aux survivants. La plupart emploient des tactiques et des valeurs communes qui se concentrent sur trois phases : tout d’abord, soutenir la/les victime(s) de l’injustice ou du préjudice ; ensuite, engager la responsabilité de la/des personnes ayant commis l’injustice ou le préjudice ; enfin, engager la responsabilité collective de la communauté afin d’obtenir un changement sociétal durable.
Dans The Revolution Starts at Home, dix principes de responsabilisation sont identifiés comme des outils importants pour entamer le processus, parmi lesquels la hiérarchisation des besoins du survivant ou de la victime, ainsi que la reconnaissance de l’humanité de l’auteur de l’injustice ou de l’acte de violence.
En fin de compte, la forme que prendra la responsabilisation variera d’un cas à l’autre, en fonction de l’acte de violence ou de l’injustice et des besoins du survivant ou de la victime.
Cependant, il existe des mesures générales vis-à-vis des auteurs d’actes de violence qui peuvent être appliquées à de nombreuses situations :
- mettre fin à la situation de violence immédiate ;
- reconnaître l’acte de violence ;
- reconnaître les conséquences de l’acte de violence, sans excuses ;
- réparer le préjudice subi, notamment en présentant des excuses publiques, en se faisant conseiller, en quittant une organisation ou un lieu de travail, etc. ;
- modifier des attitudes et des comportements néfastes ;
- réintégrer la communauté en tant que membre sain.
Un guide créé par Creative Interventions, un projet éducatif visant en particulier à mettre fin aux violences sexuelles, suggère que l’« escalier de la responsabilité » peut être intégré dans un processus en quatre phases :
- Mise en route : identifier l’acte de violence et l’injustice en premier lieu, identifier les personnes qui peuvent faire partie du processus de responsabilisation, identifier les risques et envisager les mesures de sécurité ultérieures à mettre en place.
- Planification et préparation : se mettre d’accord sur les rôles des personnes qui participeront au processus, fixer des objectifs de responsabilisation et créer un calendrier.
- Action : identifier des mesures concrètes pour mettre en œuvre le plan de responsabilisation, pouvant inclure une intervention contre l’acte de violence, une prise de contact avec l’auteur des faits et la tenue d’une rencontre communautaire.
- Suivi : mettre en œuvre un effort coordonné pour veiller au bon déroulement du processus et au respect des mesures convenues.
La clé pour trouver le bon modèle de responsabilité communautaire est de s’inspirer des expériences des autres et de l’adapter au contexte et aux besoins d’une communauté donnée. Détacher sa pensée des institutions carcérales et de la justice étatique n’est certes pas une chose aisée, mais imaginer un avenir décolonisé ne l’est pas non plus.
En effet, nous avons beaucoup à apprendre de l’abolitionnisme et des communautés à travers le monde qui font appel à ce type de pratiques, car comme l’écrit Angela Davis, « elles nous apprennent que nos visions de l’avenir peuvent radicalement s’écarter de ce qui existe dans le présent ». En d’autres termes, ces pratiques offrent des possibilités qui sont radicalement différentes des réalités vécues existantes.
Recommandations en matière de politique
Les recommandations suivantes s’adressent à la société civile palestinienne et à la communauté internationale des donateurs. Elles visent à mettre en pratique une responsabilité communautaire et une justice transformatrice détachées du principe d’incarcération :
Société civile :
- Les organisations de la société civile (OSC), les groupes de défense et les collectifs populaires palestiniens doivent accorder la priorité au développement de leurs compétences en matière de responsabilité communautaire. Cela passe notamment par un partage de connaissances avec des organisations spécialisées, des formations en ligne et des sessions d’éducation populaire.
- Les institutions d’enseignement, OSC et entreprises palestiniennes doivent élaborer et adopter des protocoles d’urgence qui évitent les interventions policières.
- Les OSC palestiniennes et la société civile dans son ensemble doivent défendre et soutenir les politiques qui réduisent les systèmes policiers et carcéraux dans toute la Palestine colonisée, notamment en défendant un retrait des financements accordés à la police et aux forces de sécurité.
Communauté des donateurs :
- EUPOL COPPS doit mettre fin à sa collaboration avec les forces de sécurité palestiniennes et donner la priorité au financement d’initiatives de justice alternative et transformatrice.
- La communauté internationale des donateurs doit mettre des ressources à la disposition de la société civile et des groupes populaires palestiniens pour qu’ils puissent mettre en œuvre des pratiques de responsabilité communautaire, notamment des services de santé mentale et d’éducation ainsi que des groupes de soutien communautaire.
Note:
[1] L’auteure tient à remercier Randa Wahbe et Shahrazad Odeh pour leur précieuse expertise et leurs idées sur ce sujet.
Auteur : Yara Hawari
* Yara Hawari est Senior Palestine Policy Fellow d'Al-Shabaka. Elle a obtenu son doctorat en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Exeter, où elle a enseigné en premier cycle et est chercheur honoraire.En plus de son travail universitaire axé sur les études autochtones et l'histoire orale, elle est également une commentatrice politique écrivant régulièrement pour divers médias, notamment The Guardian, Foreign Policy et Al Jazeera. Son compte twitter.
28 novembre 2021 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Valentin B.
La Police, et les services de sécurité de l’AP ne sont pas censé d’abord protéger et assurer la souveraineté des Palestiniens sur les zones qu’ils contrôlent ? Comment un Policier palestinien peut-il se regarder dans la glace le matin ?
Au sein du Fatah, qui dirige l’AP, des attaques sont mené contre l’occupant via les Brigades Al-Aqsa.
Il est pourtant facile de ne pas coopérer avec Israël, ou de simplement bloquer les routes des villes ou villages palestiniens, comme Jenine avec quelques voitures de Police…
La puissance de feu de la Police palestinienne ne peu rivaliser avec Israël, mais ne pas coopérer et gêner les attaques de l’occupant, ne pas gêner les manifs anti-israélienne..