Yotam Berger – Dans le procès-verbal de la réunion au Cabinet du ministre de la défense de l’époque, Moshe Dayan, de hauts responsables israéliens discutent des moyens de violer le droit international pour la construction de la colonie de Kiryat Arba, près d’Hébron.
C’était depuis longtemps un secret de polichinelle que l’entreprise de colonisation a été lancée en se servant d’un subterfuge, portant ostensiblement sur l’expropriation des Palestiniens de leurs terres à des fins militaires alors que l’intention véritable était de construire des zones d’habitations civiles, ce qui constitue une violation du droit international.
À présent, un document secret de 1970 a refait surface confirmant cette hypothèse de longue date. Le document, dont une copie a été obtenue par Haaretz, expose en détails une réunion dans le bureau du ministre de la défense de l’époque Moshe Dayan dans laquelle le gouvernement et les chefs militaires exprimaient explicitement la façon de mener à bien cette tromperie pour la construction de Kiryat Arba, à côté d’Hébron.
Le document est intitulé « La méthode pour établir de Kiryat Arba. » Il contient le compte-rendu d’une réunion tenue en juillet 1970 dans le bureau de Dayan et décrit comment la terre sur laquelle la colonie devait être construite serait confisquée par décret militaire, en apparence pour des besoins de sécurité et comment les premiers bâtiments y seraient faussement présentés comme étant strictement à usage militaire.
Mis à part Dayan, les participants comprennent le directeur général du ministère du Logement, le commandant des Forces de défense israéliennes en Cisjordanie et le coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires.
« La construction sera présentée comme … »
Selon le procès-verbal, ces fonctionnaires ont décidé de construire « 250 unités d’habitation à Kiryat Arba dans le périmètre de la zone spécifiée pour l’usage d’unité militaire. Toute la construction sera faite par le ministère de la Défense et sera présentée comme une construction pour les besoins de l’armée israélienne ».
« Quelques jours » après que la base 14 aura « achevé ses activités », poursuit le document, « le commandant du district d’Hébron convoquera le maire d’Hébron et parmi d’autres questions, l’informera que nous avons commencé à construire des maisons sur la base militaire pour préparer l’hiver ». En d’autres termes, les participants ont convenu d’induire en erreur le maire lui laissant croire que la construction était à des fins militaires, quand en réalité, ils ont prévoyaient de laisser s’installer des colons – les mêmes colons qui à la Pâque juive de 1968 sont entrés dans l’hôtel du Parc à Hebron, ce qui était l’embryon de l’entreprise de colonisation.
Le système de confiscation de terres par décret militaire aux fins d’établir des colonies de peuplement était un secret de polichinelle en Israël dans les années 1970, pour les personnes impliquées dans la création et la mise en œuvre du système. Son objectif était de présenter une apparence de conformité avec le droit international, qui interdit à des fins civiles la construction sur une terre occupée. Dans la pratique, toutes les personnes impliquées, des colons aux responsables de la défense, savaient que l’affirmation selon laquelle la terre était destinée à un usage militaire plutôt que civil était fausse.
Ce système a été utilisé pour mettre en place plusieurs colonies, jusqu’à ce que la Haute Cour de justice le déclare illégal dans un arrêt de 1979 sur un recours contre l’établissement de la colonie d’Elon Moreh.
Nous connaissions tous le résultat
Le général (rés.) Shlomo Gazit, qui était coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires au moment de la réunion de 1970 dans le bureau de Dayan à propos de Kiryat Arba, a déclaré à Haaretz qu’il était clair pour tous les participants de la réunion que les colons seraient installés dans ces bâtiments. Il a dit qu’autant qu’il s’en souvienne, cela constituait la première utilisation du système d’annexion des terres pour une base militaire dans le but d’une colonisation civile en Cisjordanie. Il a également rappelé que c’était Dayan qui avait proposé ce système, parce qu’il n’aimait pas les sites alternatifs proposés pour Kiryat Arba.
Néanmoins et en dépit de ce que le document préconisait, Gazit dit que les officiers de l’armée ont annoncé explicitement au maire d’Hébron qu’une colonie civile serait établie à côté de sa ville, plutôt que de lui dire que la construction était à des fins militaires.
Hagit Ofran, responsable du projet de surveillance de la colonisation pour la « Paix maintenant » a également confirmé que cela semble être la première utilisation du système de l’utilisation des ordres militaires pour confisquer des terres pour la colonisation civile. Et bien que ce système ne soit plus utilisé, elle ajoute « Aujourd’hui, aussi, l’État utilise des astuces pour construire et étendre les colonies. Nous n’avons pas besoin d’attendre des décennies la révélation d’un autre document interne pour nous rendre compte que le système actuel de prise de contrôle de la terre – avec moultes déclarations que c’est une terre d’état – viole aussi l’essence même de la Loi. »
Gazit a déclaré avec le recul, que le système était mauvais, mais qu’il n’était juste qu’« un bureaucrate, entre guillemets ; J’ai exécuté les ordres du gouvernement, entre guillemets. »
« Je pense que ce simulacre continue encore aujourd’hui », a-t-il ajouté. « Tout au long de mes sept années comme coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, on n’a pas établi de colonies autrement que par ce système. »
Mais Gazit insiste : les responsables du gouvernement n’avaient aucune idée que Kiryat Arba (pop. 8000) allait devenir si grand. Ils ne cherchaient qu’à fournir une solution pour les squatters de l’hôtel du Parc, qui « n’étaient pas plus de 50 familles. »
Aujourd’hui, même les résidents de Kiryat Arba admettent que ce système était une tromperie. Le colon idéologue Elyakim Haetzni, l’un des résidents d’origine de Kiryat Arba, a noté que lors d’un débat à la Knesset à l’époque, le ministre Yigal Allon a clairement dit que ce serait une colonie civile.
« La raison pour laquelle ce jeu a pris fin est claire, après tout, combien de temps pouvait-il continuer ? Cette histoire n’avait aucun lien avec le parti Herut (le prédécesseur du Likoud) ; cela relevait totalement du Mapai » a ajouté Haetzni, se référant au parti au pouvoir à l’époque, un précurseur du Parti travailliste d’aujourd’hui.
28 juillet 2016 – Haaretz – Traduction : GD (Comité Solidarité Palestine de la région nazairienne)