Par Ramzy Baroud
Finalement, la France va quitter le Mali, près d’une décennie après l’intervention militaire de 2013. Les répercussions de cette décision ne se limiteront pas à cette nation d’Afrique de l’Ouest, mais s’étendront probablement à l’ensemble de la région du Sahel ; en fait, à toute l’Afrique.
La décision de la France de mettre fin à sa présence militaire au Mali – assurée dans le cadre de deux opérations militaires majeures, l’opération Serval et l’opération Barkhane – a été annoncée par le président français, Emmanuel Macron. “La victoire contre la terreur n’est pas possible si elle n’est pas soutenue par l’État lui-même”, a déclaré Macron le 16 février.
Le président français a dit que les dirigeants maliens étaient “hors de contrôle” et a rationalisé sa décision en la qualifiant de nécessaire, puisque “les forces européennes, françaises et internationales font l’objet de mesures qui les restreignent.”
“Compte tenu de la situation, compte tenu de la rupture des cadres politiques et militaires, on ne peut pas continuer comme ça”, a ajouté Macron.
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Macron ne trompe personne. L’intervention militaire française au Mali avait comme justification, à l’époque, de faire partie des efforts de la France pour vaincre les “djihadistes” et les “terroristes”, qui avaient pris le contrôle d’une grande partie de la région nord du pays.
En effet, des groupes du nord, qui s’estimaient négligés et marginalisés par le gouvernement, s’étaient alors emparés de grandes villes, dont Kidal et Tombouctou. Mais l’histoire, comme c’est souvent le cas avec les anciennes colonies africaines de la France, était plus complexe.
Dans un article récent, le New York Times affirme que la “puissance diplomatique” de la France repose sur trois piliers : “son influence dans ses anciennes colonies africaines, ses armes nucléaires et son siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.”
Le Mali est l’une de ces “anciennes colonies françaises”, en grande partie située dans ce qu’on appelait autrefois “l’Afrique occidentale française”. En 1892, le Mali, un grand royaume, connu sous le nom d’Empire Mandingue, a été colonisé par la France. Il a ensuite été rebaptisé Soudan français.
Bien qu’il ait obtenu son indépendance en 1958, le Mali est resté un État vassal de la France.
Pour apprécier l’importance de l’influence française sur le Mali et d’autres États d’Afrique de l’Ouest, des États indépendants depuis longtemps, il faut savoir que quatorze pays africains, dont le Niger et le Sénégal, continuent d’utiliser le franc CFA ouest-africain, une invention monétaire française de 1945, qui a obligé les économies africaines en difficulté à rester liées à la monnaie française.
Cela a permis à Paris d’exercer une influence considérable sur diverses économies africaines qui fournissaient leurs ressources à leurs anciens colonisateurs à des prix compétitifs.
Sans surprise, la France a conduit la “libération” du Mali en 2013. Elle a ainsi pu reconfigurer les armées et les politiques de la région pour qu’elles restent sous le contrôle direct de la France, qui s’est présentée comme le sauveur de l’Afrique de l’Ouest face au terrorisme.
Le Tchad, le Nigeria, le Burkina Faso, le Sénégal et le Togo ont tous participé à l’opération menée par la France, qui a également impliqué les Nations unies et plusieurs puissances occidentales.
L’arrivée de soldats français dans la région du Sahel visait à souligner l’importance, voire le caractère indispensable, de la France pour la sécurité de l’Afrique, surtout à un moment où l’Afrique redevient, une fois de plus, un espace que se disputent les anciennes puissances coloniales du continent ainsi que de nouveaux acteurs politiques : La Russie, la Chine, l’Allemagne, la Turquie, entre autres.
Cependant, pour le peuple malien, l’intervention n’a fait que prolonger sa misère. L’opération Serval, qui devait durer quelques semaines, s’est poursuivie pendant des années, dans un contexte de conflits politiques à Bamako, de dégradation de la sécurité dans tout le pays, de corruption croissante et d’aggravation de la pauvreté.
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Bien qu’initialement bien accueillis, du moins publiquement par certains habitants du sud du pays, les militaires français sont rapidement devenus un fardeau, associés aux politiciens corrompus du Mali, qui bradaient allègrement les ressources du pays en échange du soutien français.
La lune de miel est désormais terminée. Le 31 janvier, le gouvernement malien a ordonné à l’ambassadeur de France de quitter le pays.
Macron voulait que son retrait militaire soit échelonné selon le plan de retrait français, mais les dirigeants maliens ont exigé, le 17 février, un retrait immédiat et inconditionnel.
Paris continue d’insister sur le fait que son départ du Mali n’est pas une défaite et qu’il ne peut pas être comparé au retrait chaotique des États-Unis d’Afghanistan en août dernier, mais tout indique que la France est en train d’être expulsée de l’une de ses “sphères d’influence” les plus prisées.
Étant donné qu’un scénario similaire est actuellement en cours en République centrafricaine (RCA), les revers géopolitiques de la France en Afrique peuvent à juste titre être considérés comme sans précédent.
Alors que les pays occidentaux, ainsi que quelques gouvernements africains, mettent en garde contre le fait que le vide sécuritaire créé par le retrait français sera exploité par les militants maliens, Bamako affirme que ces inquiétudes ne sont pas fondées et que la présence militaire française a augmenté – au lieu de diminuer – l’insécurité dans le pays.
Le parallèle entre le Mali et la RCA devient encore plus intéressant lorsqu’on apprend par les rapports officiels et médiatiques, que les deux nations africaines remplacent les soldats français par des soldats russes, accentuant encore le changement géopolitique rapide sur le continent.
Bien que Macron continue d’affirmer que ce changement est induit principalement par les priorités stratégiques de son pays, ni les faits sur le terrain, ni les médias français eux-mêmes ne semblent croire à ces affirmations. “C’est une fin peu glorieuse pour une intervention armée qui a commencé dans l’euphorie et qui se termine, neuf ans plus tard, sur fond de crise”, écrivait France 24 le 17 février.
La vérité est qu’un bouleversement est en cours au Mali et dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, ouvrant, comme le souligne le NY Times, “les derniers chapitres de la Françafrique”, la domination séculaire de la France sur sa “sphère d’influence” dans une Afrique riche en ressources.
Alors que la “Françafrique” touche sans doute à sa fin, la lutte géopolitique en Afrique ne fait que s’intensifier. Certaines puissances en tireront profit et d’autres y perdront, mais une chose est sûre, les populations d’Afrique de l’Ouest ont peu de chances de récolter les fruits de la “ruée” vers les ressources de la région.
Prises entre des élites corrompues et des puissances mondiales avides, les nations africaines ne jouiront pas de sitôt de la prospérité économique, ni d’une réelle sécurité.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
27 février 2022 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet