Par Bahassou Reda
La déflagration du conflit en Ukraine a sonné le glas du rêve de paix européen. On était pourtant bercé par le sentiment que la hache de guerre était définitivement enterrée, et que les peuples étaient enfin unis par les promesses de prospérité économique du marché commun, abstraction faite de leurs divergences. En vain.
On croyait que les canon s’étaient tus à jamais, qu’ils appartiennent à l’histoire ancienne, qu’ils ont trouvé au mieux une place à l’Imperial War Museums sinon sur l’esplanade qui borde l’hôtel des invalides à proximité des 8 canons de bronze fondus pour le Dey et pris à Alger en 1830. Démilitarisés, rongés par l’usure du temps, et les curieux qui s’y collent d’un peu trop près avec leurs perches à selfies. Une œuvre dédiée à la non violence tel que ce revolver au canon noué exposé devant le siège des Nations unies à New York. Symbole d’une reddition sans condition. Le triomphe des lumières sur l’obscurantisme.
La guerre vous dites ? ce n’est plus notre affaire, elle concerne les peuples primitifs, qui n’ont pas fait leur révolution intellectuelle et industrielle:les Hutus contre les Tustis à coup de machettes, chauffés à blanc par l’injonction de Radio des Milles collines de : Tuer tous les cafards !
Elle concerne les Janjawid, l’Armée de résistance du Seigneur… ceux qui coupent des mains ou un bras parce qu’on a le malheur de tirer la mauvaise pioche. “L’homme africain n’est pas rentré dans l’Histoire”, Nicolas Sarkozy, le 26 juillet 2007, à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar (Sénégal). Sans blague !
Seulement voilà, la guerre est à nos portes, elle s’est invitée dans les conversations, et cristallise les passions. Au demeurant, un sujet clivant à table telle l’affaire Dreyfus, il a balayé d’un coup un seul le narratif sur le Covid que d’aucuns pensent octroyer ironiquement le prix Nobel de médecine à Poutine. Autres temps, autres mœurs.
Dans la foulée, la Russie est devenue à tort ou à raison une paria. Marginalisée, reléguée, exclue de Swift, jetée au ban des nations. Une série de mesures de restriction sans commune mesure pèsent sur son économie, ses avoirs à l’étranger gelés, ses relais d’informations muselés, ses athlètes exclus des compétitions internationales. Pas même, les amputés, les aveugles et les paralysés cérébraux qui concourent aux jeux paralympiques de Pékin ne sont épargnés.
La Fédération internationale féline a banni tous les chats russes, une semaine seulement après le début de l’offensive russe. Qui sait ? Peut être bien qu’ils penchent à droite, ou qu’ils rôdent la nuit coiffés d’une chapka frappée du sceau de la faucille et le marteau, dans les parages de la datcha de Kountsevo, la résidence personnelle de Joseph Staline par solidarité envers le maître du Kremlin !
L’objet de cette modeste contribution n’est pas le moins du monde animé par une démarche partisane, ni par la volonté de minimiser les faits et encore moins de faire un décompte macabre, ou de se livrer pour reprendre un terme en vogue à une concurrence mémorielle dans le conflit larvé à l’est de l’Europe. Il est suffisamment grave pour ne pas en rajouter, mais de questionner la norme qui change selon les espaces sociaux.
Puma s’est retirée de Russie condamnant sans ménagement l’unilatéralisme de Moscou et la litanie de malheurs, le cortège de souffrance qu’il engendre, quand bien même, elle sponsorise l’équipe de football israélienne. En parallèle, les productions culturelles russes sont frappées de l’Index librorum prohibitorum. Des syndicats vendéens demandent à rebaptiser le collège Soljenitsyne en Vendée. Son crime? pas assez aligné sur la position occidentale.
Le chef d’orchestre russe Pavel Sorokin fut écarté du Royal Opera House de Londres sans aucune forme de procès et le spectre de prohibition plane sur la Vodka produite en Rossiïskaïa Federatsiïa. On en a que faire, que vous soyez coupable ou innocent, l’heure est grave et aucune voix dissonante n’est permise. Haro sur haro sur le baudet !
L’oligarque russe Roman Abramovitch a été jeté à la vindicte populaire et désigné persona non grata dans le pays de Her Majesty, pour ses liens supposés ou avérés avec Poutine.
Mais une question demeure sans réponse, pourquoi ces deux poids deux mesures, ces doubles standards, cette indignation sélective? Qu’est ce que distingue donc l’offensive russe de l’invasion du Liban en 1982 par Ariel Sharon qui a passé outre les sommations de Menahem Begin de lever le pied quitte à donner un blanc seing aux Phalanges libanaises dans la perpétration du massacre à Sabra et Chatila ? Et que pensent nos belles âmes des incursions répétées à Gaza au mépris international, les violations de la souveraineté aériennes du Pays du Cèdre, de l’occupation du Golan encore en vigueur et du maintien d’un blocus inhumain et hermétique sur toute une population palestinienne indépendamment de ses convictions politiques…?
Aucun égard non plus pour les activistes palestiniens qui purgent des peines bibliques dans des prison de haute sécurité de Gilboa et ailleurs, là où les combattants de la légions étrangères engagés contre la Russie sont considérés comme des héros au même titre que Jan Palach du printemps de Prague. Le CSA a-t-il intenter une quelconque procédure de sanction à l’exemple de RT contre la chaîne israélienne I24 pour avoir tenu des propos « susceptibles de constituer une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité » à chaque fois que Tsahal croise le fer dans les territoires ? Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà, dixit Pascal.
Big Data et les GAFA autorisent les discours haineux contre la Russie mais réduisent au silence les détracteurs d’Israël et BDS. Subitement les standards de la communauté qui désavouent les discours violent ou déshumanisant, des stéréotypes offensants, une affirmation d’infériorité, une expression de mépris, de dégoût ou de renvoi, une insulte ou un appel à l’exclusion ou à la ségrégation…sont suspendus, renvoyés aux calendes grecques.
Pire, Volodymyr Zelensky s’est adressé par visioconférence aux parlementaires de l’État hébreu et les exhorte de choisir « entre le bien et le mal »: on peut demander longtemps pourquoi nous ne pouvons recevoir d’armes de votre part ou pourquoi Israël n’a pas imposé de sanctions à la Russie, pourquoi vous ne faites pas pression sur les entreprises russes… C’est votre choix, chers frères et sœurs , a-t-il enchaîné. Inversion accusatoire et mauvaise foi manifeste.
Comme pour accentuer le caractère tragi-comique de ce drame à huis clos, Naftali Bennett s’est même rendu à Moscou, de surcroît pendant le shabbat, pour tenter une médiation entre la Russie et l’Ukraine. Israël a l’obligation morale d’essayer de mettre fin aux souffrances humaines dans la guerre en Ukraine, a-t-il déclaré. Que les Palestiniens subissent expropriation, occupation et humiliation depuis 1948. « Circulez y’a rien à voir !»
Lui qui déclarait encore hier, bouffi de morgue et de suffisance : « J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie. Et il n’y a aucun problème avec ça », lors d’une réunion retranscrite par le quotidien Yedioth Ahronoth.
Pour conclure : Quand on monte au mât de cocagne, il faut avoir les braies propres ! En quoi l’exploitation de la plate-forme gazière Tamar, située à 23 kilomètres à l’ouest de la ville de Haïfa dans le nord d’Israël, serait plus vertueuse que le projet russe Yamal ou Nord Stream II ?
Auteur : Bahassou Reda
* Bahassou Reda est écrivain franco-marocain. Il a fait des études de sociologie à l'Université de Lorraine et il est l'auteur de l'essai Nass El-Ghiwane, les Rolling Stones de l’Afrique, paru à "La Croisée des Chemins" au Maroc.
22 mars 2022 – Transmis par l’auteur