Par Adnan Abu Amer
La situation s’est aggravée le 24 mars, lorsque des hommes armés non identifiés ont assassiné Mazen Faqha, un ancien prisonnier et un des commandants de l’aile militaire du Hamas, les Brigades Izz ad-Din al-Qassam, dans le quartier de Tal al-Hawa, à l’ouest de la ville de Gaza. Il a reçu quatre balles dans la tête et la poitrine provenant d’un pistolet équipé d’un silencieux, et il est mort sur le coup.
Le Hamas a été choqué par l’assassinat de Faqha pour plusieurs raisons. Tout d’abord, Faqha était un important chef militaire. Après sa mort, les brigades Al-Qassam ont publié sur leur site Web, des photos de lui prises pendant un entraînement dans la bande de Gaza. Deuxièmement, l’assassinat a eu lieu au cœur de la bande de Gaza, le bastion du Hamas, là où le mouvement se targue de maintenir la sécurité. Troisièmement, Faqha a été tué à bout portant, alors que les précédents assassinats israéliens étaient exécutés par des raids aériens. Ceux qui en étaient responsables n’ont pas été inquiétés.
Entre 2002 et 2014, Israël a assassiné plusieurs cadres du Hamas dans des raids aériens, parmi lesquels le fondateur du mouvement, Ahmed Yassin, et d’autres hauts dirigeants comme Abdel Aziz al-Rantissi, Salah Shehadeh, Adnan al-Ghoul et Ahmed al-Jabari. Et aussi Hussam Badran, un porte-parole du Hamas résidant au Qatar, un ancien commandant militaire du Hamas au nord de la Cisjordanie.
Un des camarades de Faqha, a déclaré à Al-Monitor: « Israël est le seul à bénéficier de cet assassinat. C’est lui le commanditaire. C’est dans son style. Il est clair que Faqha jouait un grand rôle en tant que commandant principal des brigades d’al-Qassam. Tout le monde le savait. Israël lui a attribué la responsabilité des attaques en Cisjordanie et l’a mis sur sa liste d’assassinats ciblés ».
Faqha était considéré comme l’un des leaders les plus importants des Brigades Al-Qassam de Cisjordanie. Les services de sécurité israéliens l’ont accusé d’avoir planifié l’attentat-suicide de 2002 dans la ville de Safed, au nord d’Israël, qui a coûté la vie à neuf Israéliens et en a blessé 40 autres. À l’époque, Israël a condamné Faqha à neuf peines de prison à vie.
En 2011, Faqha a été libéré dans un accord d’échange de prisonniers avec le Hamas. Mais Israël l’a exilé à Gaza compte tenu de la menace qu’il représentait en Cisjordanie. Faqha a ensuite travaillé dans la bande de Gaza à mettre en place une infrastructure militaire pour les Brigades Al-Qassam, et à activer, depuis Gaza, des cellules armées en Cisjordanie en vue d’opérations meurtrières, d’après Israël.
Le Hamas et ses dirigeants n’ont pas caché la colère que leur avait causée cet assassinat. Les membres les plus importants du bureau politique du Hamas, à savoir Yahya Sinwar, Ismail Haniyeh, Mahmoud al-Zahar, Khalil al-Hayya et Fathi Hamad, se sont rendus à l’hôpital d’Al-Shifa pour faire leurs adieux à Faqha quelques heures après l’assassinat.
Israël n’a ni revendiqué l’assassinat, ni nié en être responsable, mais la forte couverture médiatique israélienne de l’incident, et la déclaration du 26 mars du ministre de la Défense, Avigdor Liberman, sur leur nouvelle politique contre le Hamas, laissent penser qu’ils en sont responsables, d’autant plus qu’Israël a toujours accusé Faqha de planifier des attaques armées en Cisjordanie.
Le 22 mars, le Shin Bet israélien a révélé que, selon leurs renseignements, le Hamas envisageait de mener une opération à grande échelle en Israël pendant la fête juive de Pâque en avril.
Un officiel palestinien de la sécurité en Cisjordanie a déclaré à Al-Monitor sous condition d’anonymat : « L’Autorité palestinienne tient compte les avertissements israéliens selon lesquels le Hamas pourrait mener des opérations de représailles en réponse à l’assassinat de Faqha pendant la Pâque juive. Mais nous ne permettrons pas que la Cisjordanie devienne le théâtre des règlements de comptes entre le Hamas et Israël ».
Dans ce contexte, M. Hisham al-Moghari, expert en sécurité palestinien et doyen de la faculté des sciences de la sécurité de l’université Al-Awda à Gaza, a déclaré à Al-Monitor: « L’assassinat de Faqha est une opération de sécurité par excellence. Israël a réussi à assassiner un commandant militaire qui portait une arme sur lui. Cela s’est passé près de chez lui, dans une rue relativement passante. Il semble que les assassins, qui pourraient être des espions palestiniens, aient pris Faqha par surprise et qu’il n’ait pas pu se défendre. Ils l’ont tué et ont immédiatement fui la scène sans laisser de traces. »
Saleh al-Nuaimi, un expert palestinien des affaires israéliennes, a déclaré à Al-Monitor: « Je crois que pour Israël, l’idéal aurait été que Faqha soit assassiné par des espions palestiniens, mais une opération aussi risquée nécessite un compétence professionnelle et une habilité au combat difficiles à trouver chez un espion palestinien. Il est plus probable qu’une unité israélienne a procédé à l’assassinat après que des espions ont fourni à Israël des informations sur les mouvements de Faqha. »
En l’absence d’informations précises sur les agresseurs, les Palestiniens se demandent comment cette opération sans précédent a pu réussir et comment les auteurs – s’ils étaient israéliens – ont pu entrer et quitter Gaza. Cela est d’autant plus surprenant que le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, a annoncé le 26 mars qu’il avait fait fermer tous les points passages terrestres et maritimes pour empêcher les agresseurs de quitter Gaza, ajoutant qu’il ne les ouvrirait que pour des raisons humanitaires exceptionnelles.
Mushir al-Masri, un porte-parole du bloc parlementaire du Hamas au Conseil législatif palestinien, a déclaré à Al-Monitor: « Israël paiera cher l’assassinat de Faqha, et sa tentative de changer les règles du jeu avec la Résistance dans la bande de Gaza échouera, car c’est dangereux d’assassiner quelqu’un en plein milieu de Gaza. »
L’assassinat de Faqha a coïncidé avec les manœuvres israéliennes du 19 mars, près de Gaza, dans le sud d’Israël, ce qui peut laisser penser qu’Israël se prémunissait contre une éventuelle réaction du Hamas. Cependant, le Hamas n’a pas encore réagi à l’assassinat de Faqha, bien que ses dirigeants aient menacé de se livrer à des représailles. Khaled Meshaal, le chef du bureau politique du Hamas, a déclaré le 27 mars que l’assassinat de Faqha montre qu’Israël a changé les règles du jeu avec la Résistance et que les forces politiques et militaires du Hamas ont accepté le défi. Il a ajouté : « Une guerre est un lutte à mort : nous les tuons et ils nous tuent ».
Les Brigades Al-Qassam ont publié une déclaration, le 25 mars au matin, pour dire que ce meurtre allait rompre l’équation israélienne à Gaza, ce qu’elles ont qualifié de crime silencieux. Les brigades ont également dit qu’Israël allait regretter d’avoir assassiné Faqha.
Le Hamas est tout à fait conscient que s’il répondait à l’assassinat de Faqha par les tirs de roquettes habituels sur Israël, une quatrième guerre éclaterait, ce que le mouvement veut éviter – du moins pour l’instant – à cause des dures conditions économiques qui règnent à Gaza. Cependant, s’il ne réagit pas, Israël risque de s’enhardir et de perpétrer davantage d’assassinats, ce qui mettrait le Hamas dans une situation d’autant plus difficile que les partisans palestiniens du Hamas pensent qu’il est nécessaire de riposter avec fermeté.
Sari Arabi, un auteur palestinien spécialiste des mouvements islamiques, a déclaré à Al-Monitor: « L’assassinat de Faqha fait partie intégrante du conflit ouvert qui oppose Israël au Hamas. La guerre fait rage entre les deux camps, même si les grandes batailles sont reportées. Israël se prépare à la guerre, et c’est pourquoi il a récemment effectué des manœuvres le long de la frontière de Gaza, dans un mouvement préventif contre une éventuelle riposte du Hamas ».
Le général Wasef Erekat a déclaré à Al-Monitor : « Il faut étudier attentivement la situation avant de riposter à l’assassinat car il se pourrait qu’Israël tente d’entraîner la Résistance dans une guerre. Il faut que les factions se coordonnent entre elles pour élaborer une stratégie commune de répliques. »
Le Hamas veut impérativement venger l’assassinat de Faqha, mais il ne souhaite pas qu’une autre grande guerre avec Israël éclate. Le mouvement sait sans doute qu’une quatrième guerre serait encore plus violente que les précédentes, c’est pourquoi il pourrait privilégier des d’attaques en Cisjordanie ou des attentats-suicides en Israël. Le Hamas peut également essayer d’envoyer des tireurs d’élite abattre des soldats et des officiers israéliens à la frontière de Gaza. Une chose est sûre, ni le Hamas, ni Israël, ne peuvent garantir que leurs réactions n’engendreront pas une nouvelle guerre.
* Adnan Abu Amer est doyen de la Faculté des Arts et responsable de la Section Presse et Information à Al Oumma Open University Education, ainsi que Professeur spécialisé en Histoire de la question palestinienne, sécurité nationale, sciences politiques et civilisation islamique. Il a publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur l’histoire contemporaine de la Palestine.
mars 2017 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet