Par Paul Salvatori
Dans un article récent, j’ai décrit le système judiciaire israélien comme un “tribunal kangourou”. J’ai changé d’avis. Le système s’apparente davantage à du vigilantisme [acte de pratiquer une justice sommaire, sans règles (exception faite de l’arbitraire) et en dehors de tout cadre pouvant être qualifié de légal].
Il est composé de juges et d’autres décideurs qui ne respectent pas l’État de droit. Au lieu de cela, le système conspire avec l’État pour réprimer sévèrement tout Palestinien qu’il considère, plutôt que de se révéler, être une « menace ». Cela va à l’encontre de l’esprit d’impartialité qui sous-tend les systèmes judiciaires équitables. C’est réactionnaire et basée sur l’esprit de vengeance.
Un autre exemple de ce comportement s’est produit cette semaine. Un tribunal israélien, le considérant comme une menace en l’absence de toute preuve, a refusé de libérer Ahmad Manasra, aujourd’hui âgé de 20 ans, de l’hôpital de la prison de Ramle, pour recevoir des soins de santé urgents dont il ne bénéficie pas pas dans l’établissement.
Ceci est contraire à « l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus », également connu sous le nom de « Règles Nelson Mandela ».
Le 27e article stipule :
« Toutes les prisons doivent garantir un accès rapide à des soins médicaux dans les cas urgents. Les détenus qui nécessitent un traitement spécialisé ou une intervention chirurgicale doivent être transférés dans des établissements spécialisés ou dans des hôpitaux civils. Lorsqu’un service pénitentiaire dispose de ses propres installations hospitalières, celles-ci doivent être dotées d’un personnel et d’équipements suffisants pour fournir aux détenus qui leur sont confiés un traitement et des soins appropriés. »
Un système judiciaire démocratique prendrait cela au sérieux. Elle ne chercherait pas, même lorsqu’un détenu est condamné pour un crime grave, à le punir en lui refusant les soins médicaux dont il a besoin. Cela, conformément au droit international humanitaire, est garanti à chaque personne, en vertu de son humanité.
En refusant à Manasra les soins médicaux dont il a besoin, le tribunal israélien tente de le réduire à une non-personne, reflétant la façon dont nous voyons Israël – hors des murs de la prison – maltraiter régulièrement les Palestiniens.
Cela, par exemple, prend la forme de forces israéliennes qui agressent et harcèlent violemment les Palestiniens dans les territoires occupés pour détruire et raser leurs maisons au bulldozer pour faire place à des colonies illégales en Cisjordanie.
Par ses propres actions, Israël prouve constamment devant le monde entier qu’il ne croit pas que les Palestiniens soient dignes de droits ou de dignité. Au contraire, ceux-ci sont un « obstacle » à sa campagne de nettoyage ethnique, qui vise, comme Noam Chomsky l’a récemment observé, à vider Israël et les territoires occupés de tous les Palestiniens.
En attendant, Israël fera souffrir les Palestiniens. Cela m’a été confirmé par l’avocat de Manasra, Khaled Zabarqeh, lorsque je lui ai demandé quelles étaient les raisons invoquées par le tribunal israélien pour refuser la libération du jeune homme. Il a expliqué que le but, textuellement, est d’affirmer « qu’un ‘terroriste’ ne peut pas être libéré même s’il est sur le point de mourir ».
L’affirmation est également révélatrice pour deux raisons. Premièrement, cela révèle la pure malhonnêteté du système judiciaire israélien. Manasra n’est pas un terroriste, et comme l’observe Amnesty International :
« Ahmad Manasra a été arrêté le 12 octobre 2015 psous l’accusation d’avoir poignardé et blessé deux citoyens israéliens à Pisgat Zeev, une colonie israélienne illégale à Jérusalem-Est occupée. Bien que les tribunaux aient conclu qu’il n’avait pas participé aux coups de couteau, il a été reconnu coupable de tentative de meurtre en 2016 dans le cadre d’une procédure entachée d’allégations de torture, et malgré le fait qu’il n’avait pas atteint l’âge minimum de la responsabilité pénale à l’époque. »
Deuxièmement, cela montre l’arbitraire du système judiciaire. Un jour, il aura déterminé que quelqu’un n’est pas responsable d’un crime, mais le lendemain, en l’absence de toute preuve, décidera qu’il l’est. Puis ils appliqueront des « règles » qui mettent la vie du prisonnier en danger. Dans le cas de Manasra, cela signifie le garder dans un hôpital carcéral inadapté à son bien-être mental et physique et à sa survie.
Si le système judiciaire israélien était réellement axé sur la justice, donc en ayant des tribunaux légitimes, il ne s’engagerait pas à ainsi martyriser Manasra. Nation riche, Israël dispose de toutes les ressources en système de santé pour s’assurer que l’état mental et physique d’Ahmad s’améliore, idéalement pour éviter ce qui semble être sa mort imminente.
Mais parce que le système continue à le traiter en étant guidé par la haine et la cruauté, il ne le fera jamais ce qu’il doit.
« La communauté internationale devrait exiger justice pour Ahmad à chaque occasion », m’a également communiqué Zabarqeh. Et en effet nous le devons, tout en faisant la même demande pour tous les prisonniers palestiniens injustement incarcérés par Israël.
Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que nos soi-disant « dirigeants » politiques, du moins en Occident, le fassent pour nous. Ces derniers font partie du problème, soutiennent Israël – militairement, économiquement, etc. – et restent volontairement aveugles à sa déplorable déshumanisation des Palestiniens.
Si Manasra a une chance de rester en vie, ce sera parce que nous, en tant que personnes « normales » de conscience et partout dans le monde, exercerons des pressions (le BDS en est un exemple) sur Israël pour le libérer. En solidarité, notre force peut rivaliser avec Israël. Cette force, pour persister, exige toutefois un courage inébranlable, illustré par les Palestiniens eux-mêmes
Manasra ne mérite pas moins. Il n’a que 20 ans. Il a toute une vie devant lui.
Auteur : Paul Salvatori
* Paul Salvatori est un journaliste, travailleur communautaire et artiste basé à Toronto. Une grande partie de son travail sur la Palestine implique l'éducation du public, par exemple à travers sa série d'interviews récemment créée, "Palestine in Perspective" (The Dark Room Podcast), où il s'entretient avec des écrivains, des universitaires et des militants. Son compte facebook
30 juin 2022 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah