Par Tamara Tamimi, Osama Risheq
L’aide des donateurs n’a pas réussi à protéger les communautés bédouines palestiniennes du corridor E-1 contre les politiques oppressives du régime israélien. L’analyste politique d’Al-Shabaka Tamara Tamimi et l’auteur invité Osama Risheq, exposent comment les programmes d’aide dans E-1 enracinent en fait l’apartheid israélien. Ils font des recommandations aux États donateurs, aux organisations de la société civile palestinienne et aux parties prenantes nationales sur la manière de garantir les droits de ces communautés.
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Préambule
Le corridor E-1, situé dans la zone C du centre de la Cisjordanie, reçoit d’importantes sommes d’argent en aide humanitaire, prétendument pour aider à préserver la viabilité d’un futur État palestinien dans le cadre d’une solution à deux États. L’aide est destinée à soutenir les communautés bédouines palestiniennes touchées par le plan israélien d’isoler Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie et de diviser la Cisjordanie, rendant toute contiguïté territoriale impossible.
Cependant, ces programmes d’aide sont conçus indépendamment des communautés bédouines du corridor E-1 et ne reflètent donc pas leurs priorités et leurs aspirations.
De plus, l’aide des donateurs aux Bédouins palestiniens est fondamentalement dépolitisée, car elle se limite à des mesures humanitaires destinées à atténuer l’impact de l’apartheid israélien. Cela ne fait que normaliser les politiques israéliennes de colonisation et d’apartheid, rendant la vie des Bédouins palestiniens de plus en plus invivable, en particulier pour les femmes et les autres membres marginalisés de ces communautés.
Cette note d’orientation replace le corridor E-1 dans le cadre plus large du colonialisme israélien. Il expose ensuite les principaux échecs du cadre adopté pour l’aide, qui enracine le statu quo de l’expansion coloniale israélienne.
Enfin, il émet des recommandations politiques pour la communauté internationale des donateurs et les parties prenantes nationales palestiniennes sur la manière de garantir les droits des communautés autochtones palestiniennes bédouines dans le corridor E-1. [1]
Colonialisme israélien de peuplement dans le corridor E-1
Le corridor E-1, qui abrite 3000 Bédouins palestiniens que les forces israéliennes ont expulsés de leurs terres à Tel Arad dans le Naqab au début des années 1950, sert de microcosme des pratiques coloniales expansionnistes d’Israël.
Pour maximiser le vol de terres avec une présence palestinienne minimale, le régime israélien déplace les Palestiniens, confisque la terre palestinienne et la colonise avec des colons juifs. Effectivement, le nombre de colons juifs en Cisjordanie est passé de 238 060 au début du soi-disant processus de paix en 1993 à 688 262 en 2019, soit une augmentation de 189 %.
De plus, Israël exploite 76,3% de la superficie totale de la zone C pour l’expansion de ses colonies.
Les forces du régime israélien d’occupation démolissent également régulièrement des structures dans la zone C, considérées comme dépourvues des permis de construction requis et sont donc construites « illégalement » selon un régime de permis et de planification discriminatoire.
Entre 2009 et 2018, seuls 2,2% (98 sur 4422) des permis de construire demandés dans la zone C ont été accordés par l’administration civile israélienne, l’organisme militaire chargé « d’administrer » la Cisjordanie, obligeant les Palestiniens à construire et à agrandir leurs maisons sans « autorisation » des forces d’occupation.
Les forces israéliennes démolissent également des structures financées par des donateurs dans la zone C qui sont financées par l’argent des contribuables des pays donateurs.
Entre 2001 et 2015, Israël a démoli pour 65 millions d’euros de structures financées par des donateurs dans toute la zone C. Mais plutôt que de tenter d’obliger Israël à rendre des comptes, la communauté des donateurs n’a répondu à cette destruction que par des condamnations du bout des lèvres.
Dans les 18 communautés bédouines du corridor E-1, l’armée israélienne a détruit 315 structures palestiniennes entre 2009 et 2020, dont 133 financées par des donateurs. [2]
En conséquence, 842 Bédouins ont été déplacés. Jusqu’à ce qu’elles soient en mesure de reconstruire un foyer, de nombreuses familles déménagent chez des parents, où elles sont obligées de vivre dans des logements surpeuplés et exigus.
Au-delà des démolitions, le dé-développement israélien dans le corridor E-1 – ainsi que dans les communautés bédouines du Naqab – déplace indirectement les Bédouins palestiniens en imposant un environnement très contraignant qui rend leur vie invivable.
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En privant les Bédouins de droits économiques et sociaux même de base, y compris les établissements d’enseignement et de santé, l’accès à l’eau courante et à l’électricité, un système routier digne de ce nom et des transports adéquats, de nombreuses communautés n’ont d’autre choix que de déménager, le plus souvent vers les zones A et B de la Cisjordanie. [3]
Seules quatre des 18 communautés bédouines du corridor E-1 disposent d’écoles primaires, qui ont toutes à leur encontre des ordres de démolition. L’enseignement secondaire, en revanche, reste indisponible dans toute la zone, ce qui oblige de nombreux habitants à parcourir de longues distances vers les centres urbains pour aller à l’école.
Par exemple, les enfants de la communauté de Bir al-Maskoob doivent marcher 5,5 kilomètres deux fois par jour pour aller à l’école primaire et secondaire.
De même, le corridor E-1 manque d’infrastructures adéquates de soins de santé. Une seule communauté bédouine dispose d’une clinique, bien que les médecins soient rarement présents et que l’établissement manque de médicaments de base. [4]
Par conséquent, les services de santé pour les Bédouins sont fournis par l’intermédiaire de cliniques mobiles gérées par des organisations de la société civile palestinienne (OSC), l’UNRWA et l’Autorité palestinienne (AP).
Ces cliniques atteignent les communautés au maximum deux fois par mois et ne fournissent que des services de diagnostic et de traitement de base. Pour les procédures plus complexes, les membres des communautés bédouines doivent se rendre à Jéricho, al-Ezariya, le camp de réfugiés d’Aqabet Jaber ou d’autres centres urbains.
Mais pour accéder à ces lieux, les Bédouins palestiniens sont confrontés à de sérieux défis, notamment des routes en mauvais état et un manque de transports en commun, et sont obligés de parcourir de longues distances à pied.
Par exemple, la distance entre la communauté d’Abou Falah Khan al-Ahmar et Jéricho, où les services de santé sont disponibles, dépasse 13 kilomètres. En outre, les résidents de 13 communautés bédouines parcourent une distance de près de trois kilomètres pour atteindre leur principal fournisseur de services de santé, tandis que la distance pour les cinq communautés restantes dépasse les 7 kilomètres.
Ces conditions ont un impact disproportionné sur les femmes et les filles bédouines, car elles renforcent les normes sociales patriarcales.
À la suite des démolitions de maisons, par exemple, les femmes sont obligées de porter le fardeau habituel de la cuisine, du nettoyage et des soins aux enfants dans un environnement inhabituel et surpeuplé.
De plus, les filles sont exposées à des risques accrus – principalement à cause de la violence israélienne – sur les longs trajets vers et depuis l’école. [5]
Dans les rares cas où les filles bédouines palestiniennes terminent leurs études secondaires, beaucoup sont dans l’incapacité de poursuivre des études supérieures malgré de bons résultats et, dans certains cas, l’acquisition de bourses. Cela est dû non seulement aux difficultés économiques, mais aussi aux pratiques patriarcales qui interdisent aux jeunes filles de quitter la communauté ou de prendre les transports en commun sans accompagnement d’un membre masculin de la famille [6].
L’accès des femmes aux soins de santé est également subordonné à l’approbation et à l’accompagnement d’un membre masculin de la famille [7], ce qui affecte de manière disproportionnée les femmes malades et enceintes qui nécessitent des rendez-vous de suivi réguliers.
Pour aggraver les choses, les personnes qui se délacent sont obligées d’escalader des clôtures dans la grande majorité des cas pour atteindre la route principale. [8]
Ainsi, alors que les politiques de colonisation et d’apartheid de l’occupation israélienne affectent l’ensemble de la communauté bédouine, elles un impact démultiplié sur les groupes sociaux vulnérables et marginalisés, notamment les femmes, les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées.
Programmation de l’aide et des services dans le corridor E-1
Pour soutenir la résistance des communautés bédouines contre les politiques coloniales israéliennes, l’AP, les OSC palestiniennes et les agences internationales fournissent un financement pour le logement, les infrastructures de base et les besoins économiques, ainsi que pour l’éducation et les soins de santé.
Mais les bénéficiaires de l’aide ne sont pas invités à participer aux processus de programmation et de délivrance de l’aide.
Autrement dit, les programmes d’aide internationale dans la zone E-1 sont conçus et développés par un consortium de donateurs humanitaires et basés sur un indice de vulnérabilité qui intègre des indicateurs OCHA sur l’électricité, l’eau et les infrastructures – le tout sans tenir compte des besoins et des priorités des les communautés bédouines.
Ces programmes adoptent une approche humanitaire en se concentrant sur le maintien d’un niveau de vie minimum, avec pour objectif les soins de santé, l’éducation et la survie économique.
En cas de démolitions, l’aide vise à atténuer les effets des démolitions de structures, parfois en fournissant des caravanes, ainsi qu’à installer des panneaux solaires pour produire de l’électricité dans les zones dépourvues d’électricité. [9]
Pour sécuriser la fourniture de fourrage pour les communautés bédouines et protéger leur bétail [10], pour financer le développement de projets générateurs de revenus, l’aide est acheminée par le biais du ministère de l’Agriculture [11].
En outre, les programmes d’aide soutiennent les cliniques de santé mobiles susmentionnées des OSC et de l’UNRWA, et l’AP fournit une couverture médicale aux communautés bédouines pour le traitement dans les centres urbains [12].
Enfin, en 2017, 2018 et 2021, l’AP était censée fournir des services de transport aux enfants pour se rendre à leurs écoles dans la zone C, y compris pour les communautés bédouines du corridor E-1. Pourtant ces services n’ont jamais été fournis [13].
Les limites de l’aide dépolitisée des donateurs
Bien que les programmes d’aide remplissent une fonction humanitaire essentielle, ils sont structurés de manière à limiter leur impact et, en fin de compte, à nuire aux bénéficiaires auxquels ils sont destinés.
Premièrement, l’indice de vulnérabilité qui sous-tend la conception et la fourniture de l’aide est développé exclusivement par les donateurs et les organisations des Nations Unies, à l’exclusion des membres des communautés bédouines. En l’absence d’adhésion des bénéficiaires, les méthodes d’identification des priorités d’aide ne reflètent souvent pas les besoins de leurs bénéficiaires.
De plus, l’acheminement de l’aide se veut dépolitisée. Les pays donateurs se concentrent sur la satisfaction des besoins humanitaires quotidiens des communautés bédouines palestiniennes touchées par le régime colonial israélien plutôt que sur la contestation des politiques d’apartheid israéliennes et la priorité à leur droit de retourner sur leurs terres à Tel Arad.
En effet, les donateurs sont parfaitement disposés à imposer des conditions sévères dans leurs contrats d’aide aux ONG palestiniennes, mais ne parviennent pas à faire face aux déplacements forcés, à l’expansion des colonies et au refus de services aux communautés bédouines de la part d’Israël.
Ce double standard est d’autant plus flagrant que les actions d’Israël violent le droit international et constituent des crimes de guerre.
En tant que signataires de la quatrième Convention de Genève, les donateurs internationaux sont tenus d’assurer le respect de la convention, ce qui donne lieu à des obligations juridiques pour empêcher les politiques israéliennes de colonisation et de déplacement forcé dans le couloir E-1 et à travers la Palestine colonisée.
En ignorant et évitant la question de l’occupation et de la dépossession des Palestiniens par Israël, les programmes d’aide ne font que consolider le statu quo. Ils atténuent les impacts des politiques israéliennes – et, dans de nombreux cas, contribuent à maintenir les conditions d’apartheid israélien, plutôt que de s’attaquer aux causes profondes de la souffrance palestinienne.
Par exemple, pour lutter contre la pauvreté dans les communautés bédouines, les donateurs fournissent un soutien financier et des colis alimentaires au lieu de s’attaquer à la principale source de misère : l’appareil d’occupation illégale d’Israël et ses politiques expansionnistes en cours.
Par la confiscation des terres, la restriction de l’accès à la terre et les attaques des colons, le régime israélien empêche les Bédouins de garder les troupeaux – la principale source de revenus de leurs communautés. [14]
Comme autre exemple, les programmes d’aide fournissent du fourrage – quoique de manière désordonnée et en quantités limitées – comme remède au manque de terres pour le pâturage, sans qu’aucune condition ne soit imposée à Israël pour mettre fin à la confiscation des terres et à l’expansion des colonies. [15]
De plus, des panneaux solaires [16] sont distribués pour fournir l’électricité aux communautés bédouines, déchargeant Israël de la responsabilité d’assurer l’extension des lignes électriques – une étape qui nécessiterait la reconnaissance du lien que ces communautés ont avec la terre et de leur droit d’y vivre.
Les résultats malgré tout possibles de l’aide sont compromis par un manque de protection politique pour les communautés bédouines dans le corridor E-1. Les programmes d’aide ne protègent pas contre la démolition de maisons et d’écoles, la confiscation des équipements fournis par les donateurs, ni la répression contre les OSC prestataires de services.
En l’absence d’obligation de rendre des comptes pour l’occupant, l’aide alimente ainsi un cercle vicieux qui se renforce de lui-même : les donateurs aident les communautés bédouines à reconstruire après les démolitions israéliennes, seulement pour qu’Israël détruise les projets financés par les donateurs, nécessitant une aide supplémentaire.
Le résultat est que les Palestiniens sont piégés dans un modèle traumatique de perte et de reconstruction, tandis que les donateurs trouvent leur intérêt en ayant des projets continus dans lesquels investir sans remplir leurs obligations politiques envers les Palestiniens.
Le processus souligne le manque d’intérêt réel des donateurs pour les solutions durables et leur préférence pour des réponses à court terme qui s’inscrivent à la fois dans leur mandat qui se veut dépolitisé, et permettent des dépenses continues.
Ce cycle exacerbe finalement les vulnérabilités des communautés bédouines, les laissant de plus en plus dépendantes du soutien des donateurs.
Malgré ce cycle, les Palestiniens restent tributaires de l’aide pour la fourniture de services essentiels. La réduction continue de l’aide à la Palestine au cours de la dernière décennie est donc très préoccupante.
Suite à la tourmente des soulèvements de 2011 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, l’aide internationale au développement s’est déplacée de la Palestine vers une région à plus grande échelle. Selon le système de notification des créanciers de l’OCDE, l’aide totale à la Palestine est passée de 1,5 milliard de dollars en 2011 à 905,7 millions de dollars en 2019, et l’aide aux OSC palestiniennes est passée de 286,3 à 193,8 millions de dollars.
En revanche, et au cours de ces mêmes années, l’aide aux OSC en Syrie est passée de 20,3 à 710,3 millions de dollars, et de 55,5 à 316,7 millions de dollars au Yémen.
La réduction du financement des OSC palestiniennes a aggravé la pression sur les prestataires de services. Dans le corridor E-1, la décision d’Israël d’interdire l’Islah Charitable Society, qui soutenait les communautés bédouines par le biais de cliniques mobiles, et de geler ses comptes bancaires, a exacerbé cette tension.
La Société palestinienne de secours médical – Palestinian Medical Relief Society [PMRS] – qui fournit également des services de clinique mobile aux communautés bédouines dans le couloir E-1, a par conséquent eu du mal à compenser Islah et à répondre aux besoins de santé des communautés bédouines. Elle a été contrainte de réduire les services de dépistage et de délivrance de médicaments. [17]
Les effets des programmes d’aide sur les infrastructures palestiniennes
L’assèchement de l’aide des donateurs a sans aucun doute nui aux Palestiniens, réduisant davantage l’infrastructure de base des services sociaux.
Le problème, cependant, est que l’investissement de l’aide internationale dans les infrastructures palestiniennes a également eu des conséquences dangereuses. En plus du fait que 72 % de l’aide finissent par être atterir dans l’économie israélienne, Israël a continuellement soutenu des projets d’infrastructure financés par l’aide qui approfondissent la fragmentation des communautés palestiniennes et qui rendent leur vie de plus en plus invivable, tout en présentant ces plans comme humanitaires.
Par exemple, dans le corridor E-1, le plan routier du « tissu de la vie » du régime israélien, proposé pour la première fois en 2004, vise à construire des routes réservées aux Palestiniens afin de les séparer des routes desservant les colonies israéliennes, faisant ainsi avancer le plan du couloir E-1 et un enracinement supplémentaire de l’apartheid.
Si elles étaient construites, ces routes permettraient à Israël d’annexer le couloir E-1 et de consolider le bloc de colonies de Ma’ale Adumim dans le cadre de l’État israélien, renforçant ainsi l’emprise d’Israël sur Jérusalem et augmentant la domination démographique juive dans la ville – la capitale d’un futur État palestinien.
Les routes faciliteraient également une dépossession plus large, car nombre d’entre elles seraient construites dans les communautés bédouines.
Ces projets routiers montrent également comment Israël et les donateurs internationaux utilisent l’aide pour faire pression sur l’Autorité Palestinienne pour qu’elle accepte le colonialisme sous prétexte de travail « humanitaire ».
L’Autorité Palestinienne s’est opposée au plan du « tissu de la vie » lorsqu’il a été proposé pour la première fois, arguant qu’il fortifierait l’expansion des colonies et la confiscation des terres.
Les positions des donateurs sur la question variaient, certains soutenant le projet comme un moyen de faciliter une plus grande mobilité palestinienne à la suite de la construction du mur d’apartheid, tandis que d’autres exprimaient de sérieuses inquiétudes.
L’USAID a refusé de commenter l’une ou l’autre position. À la fin de 2004, tous les donateurs, y compris l’USAID, avaient rejeté la proposition par crainte qu’ils ne soient tenus légalement responsables du financement de projets qui enracinaient l’occupation israélienne.
Mais en 2020, l’ancien ministre de la Défense Naftali Bennett est revenu à la charge avec le plan “tissu de vie”. La nouvelle itération ne comprend aucune dispositions pour démanteler les systèmes de l’occupation dans le couloir E-1, y compris les barrages routiers, les points de contrôle, les colonies et le mur de l’apartheid. Au contraire, son projet nécessite l’entretien de ces structures.
Le plan en question vise à remplacer la contiguïté géographique d’un futur État palestinien par la « continuité des transports » au nom de l’entreprise coloniale. Il propose un réseau de tunnels et de routes secondaires et non goudronnées qui limiteraient l’accès des Palestiniens à seulement 20 % des routes désignées pour les titulaires de la résidence et de la citoyenneté israéliennes.
Cela fragmenterait définitivement les communautés palestiniennes et ferait avancer l’annexion de vastes étendues de terres, retirant les Bédouins palestiniens de leurs localités actuelles dans le processus.
En définissant le plan du « tissu de vie » comme un plan à la fois humanitaire pour les Palestiniens et répondant aux besoins de sécurité d’Israël, le régime israélien a réussi à imposer une nouvelle réalité pour dissimuler la violence du colonialisme de peuplement.
Et malgré le rejet du plan par l’AP et la communauté des donateurs, un rapport de 2010 a révélé que 32 % des routes palestiniennes financées par l’USAID entre 1999 et 2010 chevauchaient le plan du « tissu de la vie ».
Le chef du projet de surveillance des colonies à l’Institut de recherche appliquée de Jérusalem (ARIJ), suggère que l’USAID a fait pression sur l’AP pour qu’elle accepte le plan dans le cadre d’une approche du type « à prendre ou à laisser » dans le cadre d’un ensemble plus large de développement des infrastructures.
Au début de 2021, Israël a alloué 14 millions de shekels à la construction de la « Ma’ale Adumim Fabric of Life Road », également connue sous le nom de « Sovereignty Road ». Ce plan promeut la construction de colonies à Maale Adumim et sépare davantage Jérusalem-Est du reste de la Cisjordanie.
En particulier, ce projet isole non seulement la colonie de Ma’ale Adumim des villes palestiniennes voisines d’al-Ezariya et d’Abu Dis, mais fait également avancer l’annexion de E-1 à Jérusalem, ce qui augmenterait considérablement la démographie juive de la ville, en plus de briser en deux la Cisjordanie.
Ces projets routiers montrent comment l’aide est détournée vers le régime israélien et comment les soi-disant projets de développement dans le cadre de l’aide sont continuellement exploités pour enraciner l’occupation et le colonialisme.
C’est un autre cercle vicieux : en raison de l’apartheid israélien, les Bédouins palestiniens dans le corridor E-1 manquent d’infrastructures routières suffisantes, et la réponse de l’aide internationale consistant à investir dans les plans de développement routier israéliens n’a fait que renforcer l’apartheid.
Recommandations
La nature prétendument dépolitisée des programmes d’aide actuels dans le corridor E-1, a enraciné les politiques d’apartheid d’Israël. Afin d’affronter le régime israélien et d’assurer la justice pour les Bédouins palestiniens, il y a des mesures concrètes que les acteurs clés – dont font partie la communauté des donateurs, les organisations internationales, les OSC palestiniennes et l’AP – doivent prendre :
** Les États donateurs devraient considérer les mesures de démolition et de confiscation israéliennes comme faisant partie intégrante des politiques de colonisation et d’apartheid du régime, plutôt que de continuer à les considérer isolément de la politique plus large. Ils devraient reformuler leurs programmes d’aide financière à Israël pour inclure des dispositions qui le tiennent responsable de ses pratiques, notamment en imposant des conditions sur les ventes d’armes et en établissant des mesures pour garantir l’obligation de rendre des comptes sur les démolitions, les déplacements et les confiscations de terres.
** Les organisations internationales et les organes des Nations Unies intervenant dans le corridor E-1 devraient établir des procédures claires et des exigences en matière de rapports pour s’assurer que leurs projets ne perpétuent pas l’apartheid israélien et la dépossession des Palestiniens. Ils devraient également agir en tant qu’intermédiaires et transmettre les voix et les priorités des communautés bédouines et des OSC palestiniennes à la communauté des donateurs pour s’assurer que les programmes d’aide reflètent les besoins de leurs bénéficiaires.
** Les organes juridiques internationaux devraient arbitrer le processus d’acheminement de l’aide, en protégeant les États donateurs qui sont confrontés aux politiques d’apartheid d’Israël, en élaborant des dispositions garantissant qu’Israël n’interdit ni ne restreint les programmes d’aide.
** Les OSC palestiniennes devraient collaborer pour soutenir les communautés bédouines. Cela implique la diversification de leurs sources de financement au-delà de la collecte de fonds institutionnels auprès des donateurs traditionnels pour mieux leur permettre de déterminer les domaines d’intervention, les groupes cibles et les méthodologies efficaces. Cela permettrait aux OSC de concevoir leurs programmes de manière indépendante et d’une façon qui soutient les besoins et les priorités des Bédouins, en particulier à la lumière des conditions sans cesse renforcées des donateurs.
** L’AP devrait assumer ses responsabilités envers les communautés bédouines en matière d’éducation et de soins de santé ; elle doit rendre publique sa stratégie pour les soutenir et elle devrait s’efforcer d’adopter une approche participative avec toutes les parties prenantes nationales concernées dans la mise en œuvre de sa stratégie.
Notes :
[1] Cette note d’orientation s’appuie sur des recherches menées pour le projet « Palestinian Bedouins at Risk of Forcible Displacement: IHL Vulnerabilities, ICC Possibilities ». Les points de vue contenus dans cette note sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les positions des membres du projet, ni celles des universités et organisations de soutien. Les auteurs tiennent à remercier tout particulièrement Raghad Adwan, chercheuse sur le terrain à la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds, pour ses précieuses contributions au projet.
[2] Ces communautés bédouines sont : Abu George Nkheila, Abu George Kassara, Abu Nuwaar, al-Muntar, al-Za’ayem, al-Za’ayem Za’atreh, Bir al-Maskoob A, Bir al-Maskoob B, Jabal al- Baba, Khan al-Ahmar Wadi Abu al-Helu, Khan al-Ahmar Wadi Abu Falah, Khan al-Ahmar Makab al-Samen, Khan al-Ahmar Mihtawish, Khan al-Ahmar Wadi al-Sider, Wadi Abu Hindi, Wadi al -A’waj, Wadi al-Jimel, Wadi Sneysel.
[3] D’après des entretiens menés par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec des communautés bédouines, mars 2021.
[4] Id., janvier 2021.
[5] D’après un entretien de la Clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec Mustafa Khawaja, directeur général du registre et du suivi statistique, Bureau central palestinien des statistiques, 23 août 2021.
[6] D’après des entretiens menés par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec des communautés bédouines, novembre 2020.
[7] Id., janvier 2021.
[8] D’après un entretien mené par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec Mohammad Iskafi, directeur du programme des cliniques d’urgence et mobiles, Société palestinienne de secours médical, 21 août 2021.
[9] D’après des entretiens menés par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec des communautés bédouines et des organisations internationales, novembre 2020.
[10] D’après des entretiens menés par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec des communautés bédouines, novembre 2020.
[11] D’après un entretien mené par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec Sahar al-Qawasmeh, directrice générale, Roles for Social Change Association, 22 août 2021.
[12] D’après un entretien mené par la Clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec la Direction du développement social, Jérusalem, 21 août 2021.
[13] D’après des entretiens menés par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec des communautés bédouines, novembre 2020.
[14] D’après un entretien réalisé par la Clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec la Direction du développement social, Jérusalem 2021.
[15] D’après un entretien mené par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec un membre de la communauté bédouine de 52 ans, novembre 2020.
[16] D’après des entretiens menés par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec des communautés bédouines, novembre 2020.
[17] D’après un entretien mené par la clinique des droits de l’homme d’Al-Quds avec le Dr Mohammad Iskafi, directeur du programme des cliniques d’urgence et mobiles, Société palestinienne de secours médical, 21 août 2021
* Analyste politique d'Al-Shabaka, Tamara Tamimi, est une Palestinienne née à Jérusalem. Elle est titulaire d'une maîtrise en droit des droits de l'homme de SOAS, Université de Londres, et est actuellement étudiante à la Queen's University Belfast School of Law où elle poursuit un doctorat en droit international et sur la question palestinienne.Tamimi fournit des services de conseil aux organisations palestiniennes et internationales autour de la recherche, du droit, de l'analyse de l'économie politique, ainsi que du développement et de l'évaluation de programmes dans les domaines de l'égalité des sexes, du droit international et des droits de l'homme.Elle se concentre particulièrement sur le droit à l'éducation, les droits de résidence, le patrimoine culturel, la démocratisation et la politique sociale.Son compte Twitter. * Osama Risheq est conseiller juridique à l'Université d'Al-Quds depuis 2009. Il est titulaire d'un BA en droit public de l'Université Mohammad I au Maroc et d'un LLM en droit international avec relations internationales de l'Université de Kent au la Grande-Bretagne.Actuellement, Risheq est doctorant en droit pénal international et justice transitionnelle à l'Université Vrije d'Amsterdam. Il possède une vaste expérience de recherche et de travail sur le terrain dans les domaines du droit international, des droits de l'homme, des déplacements forcés, des droits des prisonniers et du droit à l'éducation.Son compte Twitter.Auteur : Tamara Tamimi
Auteur : Osama Risheq
18 juillet 2022 – Al-Shabaka – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah