Par Amjad Iraqi
La fixation sur la tribune libre consacrée à la biographie de Marwan Barghouti détourne l’attention de l’impact sur les Palestiniens de la grève de la faim, qui concerne autant le rétablissement de l’orientation politique que l’obtention des droits des prisonniers.
En 2015, le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) a créé les “Règles minimales pour le traitement des détenus”. Surnommées d’après le célèbre dirigeant sud-africain qui a passé 27 ans derrière les barreaux, les “Règles Nelson Mandela” forment un modèle international pour les droits fondamentaux de tous les prisonniers, indépendamment des accusations portées contre eux, y compris, entre autres les appels téléphoniques, les examens médicaux et les programmes éducatifs.
Les exigences des 1500 prisonniers palestiniens qui ont entamé une grève de la faim lundi (17 avril) font écho aux dispositions des Règles Mandela. Pendant des décennies, les droits des Palestiniens incarcérés dans les prisons israéliennes ont été systématiquement bafoués ou restreints pour motif de “sécurité,” sans que grand monde ne conteste la légalité ou la nécessité pratique des mesures prises par l’État. Le gouvernement a même exprimé ouvertement, à maintes reprises, ses motivations purement politiques dans la prise en otage des droits des prisonniers, comme il l’a fait pendant l’affaire Gilad Shalit.
Ironiquement, Israël a une fois plus dévoilé son mépris pour les “Règles Mandela” lorsque Marwan Barghouti, dirigeant palestinien populaire purgeant cinq condamnations à perpétuité, fut placé à l’isolement en punition pour sa tribune libre parue dans le New York Times cette semaine – prouvant exactement le type de politiques punitives que M. Barghouti avait dénoncées.
L’insistance à mettre l’accent sur le passé violent de certains dirigeants palestiniens comme M. Barghouti non seulement détourne l’attention de la revendication des droits de l’homme des prisonniers, mais elle est aussi fortement déformée par les connaissances historiques sélectives des gens.
Bien que de nombreux Israéliens déplorent qu’il n’y ait pas de “Mandela palestinien,” peu semblent se souvenir que M. Mandela lui-même, qui était à la tête de l’aile armée du Congrès National Africain, n’a pas immédiatement renoncé à la violence après avoir été libéré de prison. D’autres figures anti-apartheid, dont le communiste juif, Denis Goldberg (qui fut condamné aux côtés de M. Mandela), furent des éléments clé de la lutte armée. Étant donné le contexte, il est assez pervers pour les Israéliens de fixer des critères moraux mythifiés que devrait épouser un dirigeant palestinien – même si, ils reconnaissent par ailleurs le passé violent des dirigeants israéliens.
Bien que la grève de la faim doive faire preuve de longévité au cours des semaines à venir, il y a des raisons de croire que quelque chose de différent commence à émerger. Depuis quelques années, la question des prisonniers n’est pas la priorité des Palestiniens car ils sont confrontés à des menaces qui s’aggravent comme les déplacements forcés en Cisjordanie et les offensives militaires à Gaza. A l’intérieur des prisons, les méthodes répressives d’Israël, les divisions factionnelles, la lassitude générale ont aussi eu tendance à transformer les grèves de la faim d’actions collectives en protestations individuelles.
La nouvelle grève porte donc autant sur le rétablissement d’une direction politique que sur la revendication des droits des prisonniers. Si la grève a la capacité de se maintenir et de dynamiser le public palestinien, les prisonniers pourraient rendre au peuple la foi en sa direction politique – ce que ni l’AP ni les gouvernements du Hamas n’ont pu maintenir. Comme le dit M. Barghouti, les grévistes espèrent que leur dernière action en date, sous le slogan de « Liberté et Dignité, » démontrera une fois de plus que le mouvement des prisonniers est la boussole qui guide notre combat.
La grève des prisonniers a aussi coïncidé avec une autre campagne intitulée « Mettre fin à la coordination sécuritaire, » qui fut formée à la suite de l ‘assassinat le mois dernier du jeune militant et intellectuel, Basel al-Araj. La campagne souligne la complicité de l’AP dans l’occupation par Israël, y compris l’emprisonnement et la torture de dissidents palestiniens comme M. al-Araj, et a ré-incité de nombreux jeunes Palestiniens à organiser des protestations, des débats publics, et des messages sur les réseaux sociaux pour informer leurs compatriotes de la nature connexe de leur oppression. Comme la campagne s’aligne sur la grève des prisonniers, les militants palestiniens sont finalement peut-être en train de ranimer les liens entre la base et la haute direction après des années d’aliénation.
La fixation sur la biographie d’un dirigeant parue dans une tribune libre passe ainsi à côté des remous importants qui se produisent dans des cercles de la société palestinienne, et devrait être redirigée vers la compréhension de l’ampleur et de la gravité de la politique carcérale d’Israël. Même si la grève de la faim ne dure pas, il se peut toutefois qu’elle rappelle au monde entier la lutte qui se déroule dans les prisons israéliennes, et sa centralité dans la cause palestinienne. « On dit, » écrivit M. Mandela, « que personne ne connaît réellement une nation tant qu’on n’a pas séjourné dans ses prisons. On ne devrait pas juger une nation sur la façon dont elle traite ses citoyens les plus hauts, mais les plus bas. » Y compris les sujets de l’occupation.
Auteur : Amjad Iraqi
* Amjad Iraqi est membre de l'équipe de direction d'Amdallah, qui travaille à promouvoir et à défendre les droits des citoyens palestiniens arabes d'Israël. Amjad est diplômé de l'Université de Toronto en études sur la paix et les conflits, et achève actuellement un M.A. dans les études de gestion de la paix et des conflits à l'Université de Haïfa.Son compte twitter.
20 avril 2017 – 972mag – Traduction : Chronique de Palestine – MJB