Par Fahya Shalash
Raja’ est assise, silencieuse, dans son salon, fixant la photo de son fils sur le mur. Elle aimait la façon dont il souriait, et dit le voir dans chaque coin de la maison. Mais maintenant, elle n’a que des souvenirs douloureux, sachant que son corps est retenu dans une morgue par les forces d’occupation israéliennes.
Les familles de martyrs en Cisjordanie affirment que la politique israélienne de confiscation des corps de leurs enfants est une forme de punition collective.
Certains des corps sont retenus depuis 2016. Plus de 118 martyrs palestiniens se trouvent toujours dans les morgues israéliennes, tandis que 253 sont enterrés dans des cimetières inconnus appelés « les cimetières des chiffres », dans des conditions très inhumaines.
Selon les organisations de défense des droits de l’homme, les corps sont enterrés dans un sol peu profond, ce qui les expose aux animaux prédateurs. En outre, ils ne sont marqués que par des numéros dans ces cimetières secrets, ce qui peut entraîner des confusions entre les tombes.
« Il était mon ange »
Le 23 septembre 2021, à l’aube, Yousef Suboh a tenu à quitter la maison alors que les soldats israéliens prenaient d’assaut la ville de Jénine, en Cisjordanie occupée. Sa mère l’a supplié de ne pas partir, mais il a embrassé son front et est parti malgré tout.
« J’ai senti qu’il ne reviendrait pas cette nuit-là, quelque chose dans le cœur de ma mère me l’a dit. Je l’ai regardé partir et j’ai prié Dieu de le protéger », a raconté Raja’.
Yousef avait 15 ans. Il était le deuxième né et le seul garçon d’une fratrie de quatre. Raja’ a dit que, malgré son jeune âge, il était plus grand que son âge. Il était responsable et se comportait comme un adulte, aidant sa mère dans tous les domaines.
« C’était mon ange, je n’arrive toujours pas à croire qu’il est parti ! Cette nuit-là, j’ai entendu plusieurs coups de feu, et à chaque fois, j’ai pleuré. Mon mari m’a demandé pourquoi je pleurais. Je lui ai dit que j’avais l’impression que l’un des coups de feu avait touché notre fils. Il pensait que je m’inquiétais trop, mais je savais que quelque chose était arrivé à Yousef », a-t-elle poursuivi.
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Quelques heures plus tard, un ami de la famille est venu leur annoncer que Yousef avait été abattu par des soldats israéliens et qu’il avait été arrêté. Personne ne savait quelque chose de son état de santé.
La tension de ces heures n’a pris fin qu’avec la pire nouvelle que des parents puissent recevoir : un appel téléphonique a brisé leurs espoirs et confirmé la mort de Yousef.
« Non seulement ils ont tué un garçon de 15 ans, mais ils ont aussi pris son corps. Il est à la morgue depuis », nous dit Raja’.
La famille de Yousef a préparé une tombe, qui est toujours vide. Leur blessure est loin d’être guérie et le corps de leur fils n’est pas enterré comme il le devrait. Chaque jour, la mère de Yousef tient sa photo et pleure. Elle parle à la photo, demandant à son fils pourquoi il est parti cette nuit-là.
« Depuis ce jour, je déteste ouvrir le réfrigérateur. Chaque fois que je le fais, je me souviens de mon fils. Je sens qu’il a froid, je sens sa douleur. »
Bien que plus d’un an se soit écoulé depuis que Yousef a été tué, les forces israéliennes ne permettent pas à sa famille de le voir, ce qui ajoute l’insulte à la blessure, selon la mère. « Je m’inquiète de savoir s’ils me laisseront le voir… si je peux apporter une couverture avec moi, pour pouvoir le couvrir et le protéger du froid », dit-elle entre deux larmes.
Pendant des mois, Raja’ a essayé de communiquer sa douleur, mais comment une mère peut-elle expliquer ce qu’elle ressent après avoir perdu un enfant et ne pas avoir pu le revoir au moins une fois et l’enterrer ? Comment une mère peut-elle expliquer que son seul souhait est maintenant de couvrir le cadavre de son fils dans une couverture ?
La plus grande peur
Dans leur lutte pour récupérer les corps de leurs enfants, les familles de martyrs organisent des rassemblements hebdomadaires dans différentes villes palestiniennes pour tenter de faire entendre leur voix.
Elles portent les photos de leurs enfants et brandissent des pancartes, réaffirmant leur droit de leur rendre un dernier hommage et de leur dire adieu. Des mères palestiniennes et d’autres membres des familles des martyrs participent à ces rassemblements « pour maintenir cette question présente », comme elles le disent.
La mère d’Amjad Abu Sultan tenait une photo de son fils, alors que son corps a été restitué après plusieurs mois de rétention dans les morgues israéliennes. Son fils a été tué le 14 octobre à Beit Jala, près de Bethléem. Il n’avait que 14 ans.
Même après avoir eu enfin la possibilité de l’inhumer, elle a voulu participer à chaque manifestation, car elle sait ce que c’est que d’être dans cette situation.
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Lorsqu’elles ont vu la photo d’Amjad, toutes les mères se sont mises à pleurer. Son visage était couvert de glace, ce qui rendait difficile sa reconnaissance par sa famille, et ses yeux étaient encore ouverts.
Les balles israéliennes avaient laissé des traces sur son corps, et il était douloureux de voir qu’un petit garçon avait été tué par un tel nombre de balles.
Il n’y a pas de règles spécifiques sur le moment ou de raison précise pour laquelle les autorités israéliennes d’occupation restituent le corps d’un martyr et l’extraient des réfrigérateurs.
« La plus grande crainte pour les familles des martyrs est qu’il y a eu des rapports sur le vol de leurs organes par les forces israéliennes après la détention des corps », a déclaré Mohammad Elayyan, un avocat qui a représenté les familles palestiniennes devant la Cour suprême israélienne.
Elayyan a expliqué que le vol d’organes est une crainte réelle, plusieurs familles ayant remarqué que certains des corps avaient été autopsiés sans autorisation.
Le refus d’Israël de fournir des réponses renforce ces doutes et enferme les familles dans une anxiété constante.
« En détenant ces corps depuis des années, Israël viole les lois internationales et humanitaires car il fait tout son possible pour humilier le peuple palestinien », a déclaré Suheir Albarghouthi, la mère d’un martyr détenu.
« Nos sentiments ne sont pas un jouet. Nous demandons à l’Autorité palestinienne et au ministère des Affaires étrangères de faire quelque chose pour que nos fils reviennent, surtout maintenant que les Palestiniens espèrent obtenir justice auprès de la Cour pénale internationale ou des Nations unies », a-t-elle ajouté.
Auteur : Fahya Shalash
* Fahya' Shalash est une journaliste palestinienne vivant à Ramallah. Diplômée de l'université de Birzeit en 2008, elle travaille depuis lors en tant que journaliste.Ses articles sont parus dans plusieurs publications en ligne, dont The Palestine Chronicle et Al-Mayadeen.
27 décembre 2022 – The Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah