Par Blake Alcott
Argumentant en faveur de tous les droits de tous les Palestiniens avec des amis et des rédacteurs de journaux en Europe occidentale, mon discours qui adoptait une approche radicalement centrée sur la Palestine dissociant la question de Palestine de la question juive a eu un certain succès. Quel est-il et quels sont ses avantages ?
Le sujet c’est la Palestine
Il est facile de défendre le droit à l’auto-détermination des Palestiniens. Après que la Grande Bretagne et la France eurent divisé la Grande Syrie en deux parties, Nord et Sud, la Grande-Bretagne prenant le contrôle de la partie sud, l’autodétermination fut refusée aux habitants autochtones de la Palestine depuis des millénaires. S’emparer de la Palestine en tant que colonie déguisée en « mandat », signifiait la négation d’une souveraineté normale pour les habitants réels – pour la plupart citoyens ottomans, et dès lors autrement identifiés.
En toute logique, cette perte d’autodétermination aurait été la même quelle que fut la puissance mandataire, la France, l’Italie, les E.U., la Turquie ou tout autre. Comme tous les autres pays colonisés et « sous mandat », les Palestiniens avaient une lutte contre la colonisation sur les bras – quelle que fut la puissance militaire coloniale.
Que la Grande Bretagne prît le contrôle dans le but désintéressé d’établir un état juif en Palestine était un fait secondaire auquel les Palestiniens ont été confrontés dès 1917. Qu’importe les raisons de refuser l’indépendance et la démocratie dans tel ou tel cas particulier, ce qu’il fallait faire c’était obtenir la liberté – comme pour les Syriens, les Mésopotamiens, les Égyptiens, et tous les autres partout dans le monde.
Ce qui revient à dire que le projet sioniste n’était pas logiquement central à l’installation de la tutelle coloniale britannique en Palestine. Le Royaume Uni aurait pu accomplir cet acte pour le compte des Arméniens, des Assyriens, des Kurdes, ou tout autre groupe ethnique en quête d’une nation, ou pour le compte de son propre peuple, ou de ses propres criminels, comme ce fut le cas en Australie.
Et pour sûr, les documents historiques de la dispute de 30 ans entre les Palestiniens et la Grande-Bretagne coloniale montrent que la réaction des Palestiniens a toujours été la même : « les juifs ? Nous avons toujours vécu en paix avec les juifs depuis de millénaires. C’est la Grande-Bretagne (et bien sûr son plan sioniste européen) que nous combattons. »
En d’autres termes, que la Grande-Bretagne se fasse l’instrument d’un mouvement de peuplement nationaliste non britannique n’a que légèrement modifié le problème des Palestiniens. Leur principale exigence demeura : l’indépendance à l’égard de qui que ce soit, comme étant leur droit naturel – et comme, d’ailleurs, il leur avait été promis par la Grande Bretagne et la France au cours des années 1915-1918 et par le pacte de la Société des Nations en 1920.
Conformément à l’esprit anti colonial de l’ère Wilsonienne, l’esclavage collectif, en tant que tel, était leur principal problème. Que ce fût leur fasse amie la Grande-Bretagne qui était à la manœuvre, ou qui agissait pour le compte du sionisme était accessoire.
Ainsi le sionisme (et ipso facto les juifs et le judaïsme) – et même la Grande-Bretagne – ne sont que des détails de l’histoire. Ce sont des « accidents » au sens aristotélicien, et non l’essence du conflit. Ce qui signifie que le cas de la Palestine peut être présenté et argumenté sans référence aucune au sionisme, aux juifs, ou au judaïsme, ou encore à la Grande-Bretagne et la Société des Nations.
L’Amalgame habituel
Malgré la nature générale du programme de recherche d’indépendance des Palestiniens, débutant vers 1918, le discours actuel autour de leur situation critique est intimement lié au projet colonial spécifique appelé sionisme.
Après plusieurs années d’activité de solidarité avec la Palestine, débutant en 2009, j’ai constaté que dans la plupart des réunions et des conférences la discussion débouchait très, très rapidement sur le sionisme, les juifs, le judaïsme, l’holocauste, l’antisémitisme, Israël, ou en général les aspirations, les besoins et les craintes des juifs. Il arrivait que les motivations de la Grande-Bretagne et sa perfidie en tant que puissance mandataire soit au centre des échanges. Dans tous les cas, les Palestiniens avaient soudainement été rayés de la discussion.
Mais, en fait, un autre discours est aisément envisageable, à savoir un débat qui reste ancré sur la Palestine et conserve comme point de mire l’argument positif en faveur de l’auto-détermination. Après que les Ottomans furent repoussés en Turquie, à qui était-ce le tour de gouverner ? C’était au tour des autochtones, aussi simple que ça.
A l’époque ils se voyaient Syriens ou Syriens du sud, et de mars à juillet 1920 le gouvernement indépendant de l’Émir Faysal était même sur le point de gouverner la totalité de ce qui allait devenir la Syrie, le Liban, la Palestine et la Jordanie. Plus tard ils ont dû se concentrer sur la Palestine.
Il se trouva que pour leurs propres raisons les Européens, soutenus diplomatiquement par les Nord-Américains, avaient le pouvoir de faire obstacle aux Palestiniens et aux Syriens, et l’ont fait sous couvert du système mandataire, prétendant qu’ils n’apportaient aux jeunes peuples du Proche Orient qu’une légère « tutelle » qui les mènerait rapidement à « l’autonomie ».
Au Hejaz, à Jérusalem, Beirut, Damas et à Bagdad les Arabes ont répondu en disant merci d’avoir combattu les Turcs, mais qu’ils n’avaient besoin d’aucune tutelle.
La composante sioniste que le « Mandat britannique pour la Palestine » avait dans ses bagages a en effet rendu le combat palestinien plus ardu. Le gouvernement de sa Majesté n’a ainsi laissé aucune place au doute que son objectif n’était nullement une tutelle mais bel et bien la dépossession politique de la population autochtone, et le sionisme international procurait les ressources en immigrants et fonds pour littéralement s’emparer du terrain.
Pas même un traité du style de ceux passés entre la Grande-Bretagne et les Irakiens et Égyptiens respectivement n’était dans les tuyaux.
Au cours des ans d’autres droits palestiniens ont été raisonnablement revendiqués : le droit à la citoyenneté même sous gouvernance coloniale, le droit pour la majorité de se réunir, de débattre et de légiférer, le droit de décider de la politique d’immigration, le droit de rejeter et même d’expulser le colonisateur. Mais ces droits étaient des droits pour lesquels devaient se battre tout peuple opprimé, qui que soit l’oppresseur– avec ou sans sionisme.
Les avantages de ce discours
Étant donné qu’un tel « Palestinianisme » positif – libéré de la nécessité logique de composer avec les névroses spécifiques de la Grande-Bretagne et encore moins avec le ‘problème juif ‘ de l’Europe – peut assumer la part du lion de tout discours, le devrait-il ? A mon avis, il en découlerait plusieurs avantages :
1. Il est basé sur le fait historique que le « problème juif » tel que formulé par les sionistes était un problème européen. Il n’était pas intrinsèquement connecté à la Palestine. Parler dans le même temps du sort des juifs en Europe et du territoire connu sous le nom de Proche Orient relève de l’amalgame. Ça ne fait jamais de mal d’avoir un tel fait historique de son côté.
2. L’injustice de la colonisation – qui qu’en soit l’auteur, quelle qu’en soit la raison – est universellement comprise. La lutte pour la libération est universellement comprise, et soutenue, verbalement, du moins. Il n’y a rien de compliquer à comprendre dans l’histoire de populations autochtones réclamant la souveraineté, et nul besoin d’y mélanger des récits de peuples opprimés en Europe.
3. En d’autres termes, les blancs seraient déjà remplis une fois que l’on ait fait passer le message de l’anticolonialisme et spécifiquement de l’antisionisme et que l’on se trouve confronté à la question, « Et après ? » La réponse est, un régime politique comptant parmi ses citoyens tous les quelques 13 millions de Palestiniens.
4. Dans la bataille de positions d’aujourd’hui, l’antisémitisme domine le discours dominant. Un discours centré sur la Palestine désamorce cette bombe. Ce qui est exigé c’est l’autodétermination, une Palestine libre. Si ceci a des conséquences sur l’actuel état ouvertement juif en Palestine, alors ainsi soit-il, mais ce n’est pas la chose principale, ce n’est qu’un effet secondaire. En fait, lorsqu’on argumente pour les droits fondamentaux on ne dit rien sur les juifs, ou leur statut en tant que « nation », ou leur droit à l’autodétermination, ou un état juif quelque part sur cette terre.
L’imbroglio avec le sionisme qui a fait une fixation sur la Terre Sainte n’a jamais concerné un état juif en tant que tel mais l’endroit où il s’installait et s’il dépouillait quelqu’un par son implantation. Faire découler l’antisémitisme de l’opposition à l’état d’Israël existant a toujours été illogique de toute façon, mais ce discours nous permettrait d’approfondir la question. La question d’un état juif, oui ou non, n’a rien à voir avec la justice et la justesse de l’État de Palestine.
5. Le fait est que ni la Grande-Bretagne, ni les juifs sionistes, ni les Italiens, Turcs, Indous, Martiens n’ont le droit d’établir leur propre état sur une terre qui appartient déjà à d’autres, encore moins au prix de la dépossession, du nettoyage ethnique et de la mort du peuple autochtone.
6. Comme déjà évoqué, le fait de formuler de cette façon l’argument en faveur de tous les droits de tous les Palestiniens est positif. Il n’est pas nécessaire que les défenseurs de la Palestine présentent leurs arguments prioritairement comme contre quelque chose – anti sionistes, anticoloniaux, anti Israël ou anti-apartheid. Ces arguments sont négatifs, et ils ne sont pas tant le revers positif de la médaille de l’autodétermination mais plutôt les conséquences accidentelles de l’argument principal en faveur du droit des Palestiniens de constituer leur propre gouvernement avec leurs propres lois et réglementations. Il n’y a là rien de difficile à comprendre.
De nombreuses questions, sinon la plupart, relatives à la spoliation des Palestiniens et leur libération ne peuvent être abordées, ou le mieux possible du moins, que par les Palestiniens eux-mêmes. Mais les tiers savent reconnaitre le colonialisme – le déni de l’autodétermination – quand ils le voient.
N’importe qui peut saisir que le problème de la persécution des juifs et les terres arabes à l’extrémité orientale de la Méditerranée sont deux choses différentes. Tout le monde peut compatir avec les personnes opprimées, quelles que soient les spécificités de leur oppression. C’est un concept qui facilite la défense de la cause de la liberté des Palestiniens dans les puissants pays occidentaux qui conjointement oppriment les Palestiniens aujourd’hui.
Il est bien sûr inévitable de parler de la Grande-Bretagne ou du sionisme, mais ça peut être une question subsidiaire. Toute la lutte peut être présentée et discutée sans abandonner sinon brièvement et de manière secondaire le point de vue palestinien. L’identité du geôlier est bien moins importante que l’emprisonnement lui-même.
On peut formuler ainsi l’argument en faveur de la cause palestinienne : tous les droits de tous les Palestiniens. Il me semble que dissocier cette cause de tout ce qui est spécifiquement relatif à la Grande-Bretagne, les juifs ou le sionisme servirait à la fois la logique et l’avenir politique.
Auteur : Blake Alcott
* Blake Alcott est un économiste de l'environnement et le directeur de One Democratic State in Palestine (Angleterre). Son livre à paraître, The Rape of Palestine : A Mandate Chronology, comprend 490 exemples du dialogue, tel qu'il existait, entre les Britanniques et les Palestiniens au cours des années 1917-1948.Toute information concernant une activité relative à ODS ou au bi-nationalisme est la bienvenue et à envoyer à blakeley@bluewin.ch.
24 décembre 2022 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB