Par Ramzy Baroud
S’il était évident que le Burkina Faso allait finir par emboîter le pas au Mali et à la République centrafricaine (RCA), la décision de Ouagadougou de rompre ses liens militaires avec la France n’a pas été aussi simple que les médias veulent le faire croire.
L’idée la pus répandue voudrait que ces pays se détournent de leur ancien maître colonial, la France, pour forger des alliances alternatives avec un nouvel allié, la Russie. Ces analyses commodes sont largement influencées par le bras de fer géopolitique entre les anciennes et les nouvelles superpuissances : Les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN, d’une part, et la Russie et la Chine, d’autre part.
Bien que la rivalité mondiale, en particulier sur le continent africain riche en ressources, soit un élément important pour comprendre la décision du Burkina Faso – et les décisions similaires prises par le Mali en avril et la RCA en décembre – il convient de prêter davantage attention à la logique du discours politique de ces pays africains.
Le 21 janvier, le Burkina Faso a officiellement demandé à la France de retirer ses troupes du pays dans un délai d’un mois. Le président français Macron, a semblé surpris face à cette demande. Il a répondu qu’il attendait des clarifications de la part du président de transition du Burkina Faso, Ibrahim Traoré.
La confusion de Paris n’a cependant pas duré longtemps. « Au stade actuel, nous ne voyons pas comment être plus clairs que cela », a déclaré le 23 janvier le porte-parole du gouvernement burkinabé, Rimtalba Jean Emmanuel Ouedraogo, à la télévision nationale.
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La décision de Ouagadougou faisait référence aux 400 soldats français stationnés dans le pays suite à un accord militaire signé avec Paris en 2018. Mais tout d’abord, que faisaient ces soldats au Burkina Faso ?
L’accord entre Paris et Ouagadougou faisait partie d’une série d’accords signés entre la France et plusieurs pays africains pour former des alliances économiques et militaires régionales, étant sipposé que la France aiderait ces pays à gagner en stabilité face aux menaces de divers groupes armés.
Le Mali, qui a subi une série de coups d’État militaires et de rébellions meurtrières qui ont menacé de diviser le pays, a été le point central du redéploiement militaire français en Afrique, ce qui a entraîné le lancement de plusieurs campagnes majeures à partir de janvier 2013 avec l’opération Serval et, plus tard, l’opération Barkhane.
Au fil du temps, le gouvernement français a revendiqué une victoire après l’autre contre divers groupes armés, justifiant toujours son action dans le cadre d’accords régionaux signés à l’invitation de pays africains, pour la plupart basés dans la région du Sahel.
Ses détracteurs ont souvent répliqué en affirmant que la France, qui contrôle effectivement l’économie de quatorze pays africains en détenant une part importante de leurs devises et de leurs réserves nationales, n’est pas un partenaire égal en Afrique, mais un ingérant.
Cette dernière affirmation a au fil du temps, gagné en crédibilité car rien ne prouve que les opérations Serval et Barkhane aient atteint les objectifs visés, ni qu’aucun des pays impliqués dans le dispositif français ne soit parvenu à la stabilité politique ou économique.
Bien que les coups d’État militaires aient été monnaie courante dans de nombreux pays africains à la suite de la fin officielle du colonialisme sur le continent, les nouveaux gouvernements du Mali, de la RCA et du Burkina Faso ont recouru à un discours politique différent, qui accusait les anciens régimes de trahison, tout en imputant à la France une grande partie de la corruption de ces pays.
Le Burkina Faso n’a pas fait exception.
Le 30 septembre, un coup d’État militaire au Burkina Faso a renversé le gouvernement. Les sentiments anti-français étaient manifestes dans le vocabulaire employé et les slogans dans les rues, et le drapeau français a été brûlé à plusieurs reprises et remplacé par le drapeau russe.
C’est là que les analyses de l’actualité se trompent souvent. Lorsque des drapeaux russes ont été brandis en grand nombre dans les rues du Burkina Faso, beaucoup ont supposé que tout ce phénomène était le résultat de la rivalité franco-russe dans cette région.
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Bien que ce conflit géopolitique soit réel, le comportement du gouvernement Traoré du Burkina Faso ne peut être réduit à de l’opportunisme politique et à des pots-de-vin, d’où qu’ils viendraient.
Comme le Mali et la RCA – et d’autres pays africains – le Burkina Faso n’a jamais eu de réelles marges politiques qui lui auraient permis de se démarquer de ses anciens maîtres coloniaux.
Ces marges ont existé, mais elles ont été presque totalement éliminées après l’effondrement de l’Union soviétique. L’URSS était considérée comme un allié de confiance par divers gouvernements africains, qui utilisaient le soutien soviétique pour contrebalancer les influences et les pressions occidentales sur ce continent hautement disputé.
La disparition de l’URSS a signifié la fin de cet équilibre et le retour complet de l’Afrique sous la coupe de la sphère occidentale.
L’évolution de la dynamique politique mondiale résultant des rivalités entre les États-Unis/OTAN, la Russie et la Chine a, à nouveau, ouvert certaines de ces marges.
Les pays qui ont osé être les premiers à passer dans l’autre camp – le Mali, la RCA et maintenant le Burkina Faso – étaient les pays qui avaient peu à perdre dans ce défi politique. Ils ne jouissent d’aucune stabilité politique, disposent de peu de souveraineté et n’ont aucune perspective économique.
Cela signifie que l’avenir pourrait être marqué par d’autres changements géopolitiques de ce type. La nature et la vitesse de ces changements seront largement déterminées par l’issue du conflit global en cours.
La décision du Burkina Faso d’ordonner aux troupes françaises de quitter le pays a un lien avec la géopolitique mondiale, mais seulement en termes de calendrier.
La raison réelle est que la présence militaire française dans le pays ne présentait aucun avantage réel pour le Burkina Faso.
Ouagadougou semble être arrivée à la même conclusion que Bamako et Bangui le mois précédent, et ce n’était en réalité qu’une question de temps.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
9 février 2023 – Middle East Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah