Par Khaled Farraj
L’administration pénitentiaire israélienne retarde le traitement médical vital d’Abdul-Razeq Farraj.
Mon frère, Abdul-Razeq Farraj, qui est incarcéré dans les prisons israéliennes, a remarqué pour la première fois des plaies de couleur noire sur le côté gauche de son nez il y a trois mois. Il en a informé le médecin de la prison et, à la suite d’une procédure de dépistage, l’administration pénitentiaire a décidé qu’il soit transféré dans un hôpital civil pour y subir des examens complémentaires.
Il s’est avéré que cette plaie était une tumeur maligne et qu’il fallait l’opérer.
Je ne suis pas médecin, mais une simple comparaison entre une photo de la tumeur que j’ai vue il y a trois mois et une autre photo que l’avocat a été autorisé à prendre ce mois-ci montre des changements visibles en ce qui concerne sa taille. En effet, la tumeur s’est développée rapidement sur le côté gauche du nez de mon frère.
Un ami chirurgien m’avait d’abord informé que le cas n’était pas dangereux et qu’une simple intervention permettrait d’enlever efficacement la tumeur. C’était le cas lorsqu’il a vu la première photo il y a trois mois.
Mais ce mois-ci, après avoir vu la photo toute récente et après avoir consulté d’autres médecins, mon ami est arrivé à la conclusion qu’une opération urgente était nécessaire et que l’expansion de la tumeur était verticale et pas seulement horizontale. Tout retard dans l’opération entraînerait l’expansion de la tumeur, a-t-il averti.
En effet, il s’agit d’une tumeur cancéreuse qui ne doit pas être négligée. Les autorités de la prison d’Ofer, où mon frère est incarcéré, ont retardé la remise de son rapport médical à son avocat et à un représentant de Physicians for Human Rights. Le rapport a finalement été envoyé à l’avocat, mais ce n’est rien de plus qu’un rapport de procédure sans aucune substance.
Mon ami chirurgien et ses collègues au Royaume-Uni ont été surpris lorsqu’ils ont appris ce retard délibéré pour que mon frère subisse l’opération tant attendue. En effet, il était urgent de procéder à l’opération et d’enlever la tumeur depuis décembre 2022, c’est-à-dire depuis que le diagnostic était connu.
Ce type de retard de la part des autorités pénitentiaires israéliennes à fournir des soins médicaux urgents aux prisonniers palestiniens est clairement délibéré.
Mon frère Abdul-Razeq est emprisonné depuis plus de trois ans et demi. Il a été soumis à des tortures brutales dans les centres d’interrogatoire israéliens lors de sa dernière arrestation en 2019, et il attend actuellement d’être jugé par des tribunaux militaires israéliens.
Ce n’est toutefois pas le premier emprisonnement de mon frère. Il a passé plus de dix ans de sa vie incarcéré dans le cadre de la politique arbitraire de détention administrative, entre 1995 et 2018. Il a également purgé une peine de six ans entre 1985 et 1991.
Ces arrestations, ainsi que son récent emprisonnement en 2019, s’ajoutent à un total de vingt ans qu’il a déjà passé dans les prisons israéliennes. Notamment, les tribunaux militaires israéliens ont toujours répété la même accusation de « mise en danger de la sécurité régionale et de la sécurité du public » dans sa liste d’actes d’accusation contre mon frère, ainsi que dans ses ordres de détention administrative qui sont basés sur des « dossiers secrets » auxquels ni les avocats ni leurs clients n’ont accès.
Abdul-Razeq, qui vient d’avoir soixante ans, a passé un tiers de sa vie loin de sa famille.
Son fils, Basil, a terminé ses études de doctorat à Genève, en Suisse, et a commencé à enseigner à l’université de Birzeit il y a quelques mois. Son fils cadet, Wadea, a terminé ses études d’ingénieur et est entré dans la vie active, tout cela pendant que leur père était absent.
Sa compagne, Lamis, a passé la moitié de sa vie de femme mariée à voyager entre les prisons et les tribunaux militaires israéliens pour essayer de trouver une sorte de stabilité familiale temporaire.
Oui, Abdul-Razeq a été puni, au sens propre, plus d’une fois – devant le même tribunal et sous la même accusation.
Lorsqu’il n’était pas en prison, Abdul-Razeq a travaillé pendant de nombreuses années dans le journalisme et dans le développement agricole dans le cadre de son travail au sein de l’Union des comités de travail agricole.
Il a consacré son temps, dans le premier cas, à dénoncer les crimes israéliens contre les Palestiniens et, dans le second, à renforcer la résilience et la résistance des agriculteurs palestiniens sur leurs terres face aux politiques des colons israéliens.
Abdul-Razeq a consacré une partie de son temps et de son énergie à se débarrasser de cette occupation, pour la liberté de son peuple, pour la justice et les droits de l’homme.
L’inquiétude que j’éprouve pour mon frère cette fois-ci n’est pas la même que les années précédentes, lorsqu’il était placé en détention administrative. Toute la famille attendait alors la date « supposée » de sa libération ; ma mère – que son âme repose en paix – ses frères et sœur, sa femme et ses fils étaient généralement déçus par un nouveau renouvellement de détention pour la deuxième, troisième, quatrième et même dixième fois.
Cette fois-ci, c’est différent. Mon frère Abdul-Razeq n’est plus jeune et n’a plus la force qu’il avait autrefois.
Deuxièmement, son cas est lié à une maladie qui se propage rapidement. Troisièmement, notre inquiétude s’est accrue avec la montée de l’extrême droite israélienne, étant donné son rôle majeur dans la gouvernance de l’État colonialiste, en particulier depuis que le criminel condamné et colon extrémiste Itamar Ben-Gvir s’est vu confier l’autorité sur l’administration pénitentiaire israélienne dans le cadre de son portefeuille récemment créé en tant que ministre de la sécurité nationale.
Et enfin, la politique israélienne de négligence médicale à l’égard de nos prisonniers est généralisée, et nos prisonniers sont laissés seuls face à leur destin.
La fourniture d’un traitement médical aux prisonniers est l’un des droits les plus inaliénables auxquels ils devraient avoir accès. En effet, il est bien connu que l’occupation israélienne a une longue histoire, corroborée par les noms et les témoignages des prisonniers, de négligence médicale à l’égard des prisonniers arabes et palestiniens.
Les organisations de défense des droits de l’homme et les organisations médicales doivent collectivement coordonner leurs efforts pour faire pression sur l’occupant israélien afin qu’il fournisse les traitements médicaux nécessaires à tous les prisonniers malades. Il s’agit là de sa responsabilité légale et “morale”. En fin de compte, nous demandons la liberté et le droit au traitement médical pour Abdul-Razeq et ses camarades dans les prisons coloniales israéliennes.
Auteur : Khaled Farraj
* Chercheur palestinien, Khaled Farraj est directeur général de l'Institut d'études palestiniennes et membre de son comité de recherche, et membre du comité de rédaction du Journal of Palestine Studies. Il a la responsabilité d'une série d'enquêtes sur la réalité des villes et des camps dans les territoires palestiniens.
15 mars 2023 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine