Par Tareq S. Hajjaj
Le gouvernement Netanyahou a jusqu’à présent externalisé la crise en cours par le biais de sa campagne militaire en Cisjordanie, mais les Palestiniens de Gaza craignent qu’il ne finisse par recourir à la guerre pour paralyser le mouvement de protestation israélien.
Les Palestiniens de Gaza suivent de près les manifestations israéliennes contre le projet de réforme judiciaire de l’actuel gouvernement Netanyahu. Nombreux sont ceux qui, à Gaza, pensent que si la crise provoquée par Netanyahu continue de s’aggraver, il fera ce que les gouvernements israéliens ont toujours fait pour échapper à une crise interne : lancer une guerre contre « l’ennemi ».
Et la cible la plus commode a toujours été Gaza.
Comme il l’a déjà fait à maintes reprises, « Israël » pourrait très bien utiliser Gaza pour forcer les manifestants israéliens à quitter les rues. Ces prédictions ont été aggravées par le fait que le Hamas a déclaré publiquement qu’il prévoyait une guerre avant la fin du mois sacré du Ramadan, dans moins d’une semaine.
Les analystes ont fait remarquer que si les organisations palestiniennes de Gaza devaient répondre à une provocation israélienne au cours du mois, cela offrirait au gouvernement Netanyahu le prétexte dont il a besoin pour mettre à mal le mouvement de protestation israélien en plein essor.
Cela pourrait même permettre à M. Netanyahu de désorienter suffisamment le mouvement pour qu’il puisse mettre en œuvre sa réforme législative.
Cette politique israélienne d’externalisation des crises s’est souvent avérée efficace, lui permettant d’échapper à la contestation interne contre l’un ou l’autre gouvernement, tout en lui donnant l’occasion d’accentuer la pression sur les organisations de la résistance dans la bande de Gaza.
C’est précisément ce qu’a fait Netanyahu avec la guerre de 2021 contre Gaza. À l’époque, les accusations de corruption et la baisse de popularité ouvraient la voie à l’éviction de Netanyahu par l’opposition dirigée par Yair Lapid, et de nombreux analystes avaient alors noté l’utilisation par Netanyahu de la guerre de 2021 pour s’attirer le soutien de l’opinion publique.
Mais cette fois-ci, les choses sont différentes. Au cours des années précédentes, « Israël » a compté sur sa capacité à écraser une bande de Gaza largement sans défense et divisée. En d’autres termes, cette politique s’appuyait sur la séparation géographique et la fragmentation politique des Palestiniens.
Ce qu’Israël ne veut pas, c’est s’engager dans une confrontation avec les Palestiniens sur plusieurs fronts : Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem et même les communautés palestiniennes au sein de l’État israélien qui jouissent d’une citoyenneté nominale.
Naturellement, l’Etat sioniste a toujours préféré diviser pour mieux régner.
« Netanyahu tente actuellement d’échapper à la crise en recourant à l’escalade en Cisjordanie. », a déclaré à Mondoweiss Mkhaimer Abusada, professeur associé de sciences politiques à l’université Al-Azhar de Gaza. « Il sait que le coût de l’escalade en Cisjordanie reste faible, bien inférieur au coût d’une guerre contre Gaza. »
La crise israélienne
L’État sioniste repose sur deux piliers, la légitimité et la sécurité, explique l’analyste palestinien Hussam Dajani. La légitimité du gouvernement actuel a d’abord été remise en question à la suite du remaniement judiciaire qui a conduit au mouvement de protestation israélien. Ces protestations ont ensuite eu pour effet de saper la sécurité d’Israël.
« Alors que les protestations continuent de s’intensifier, l’avenir du gouvernement israélien est remis en question », a déclaré M. Dajani à Mondoweiss. « Il risque maintenant de s’effondrer. »
Cette opinion a été reprise par des analystes israéliens, qui craignent que les manifestations ne dégénèrent en guerre civile en Israël.
Le plan de M. Netanyahu vise à priver de son pouvoir le système judiciaire israélien, celui-là même dont les Israéliens libéraux sont fiers et qu’ils considèrent comme la preuve qu’ils vivent dans une prétendue « seule démocratie du Moyen-Orient ». Les manifestants considèrent l’intervention de l’autorité exécutive du gouvernement dans le système judiciaire comme une violation de cette soi-disant démocratie.
Cela a conduit les analystes israéliens à penser que l’effondrement de la ainsi nommée « démocratie israélienne » sera un prélude à l’effondrement de l’Etat sioniste lui-même. Même l’ancien ministre israélien de la défense Avigdor Lieberman, dit Dajani, a estimé dans des déclarations antérieures que Netanyahu menait « Israël » à sa propre destruction.
Cela peut déjà être déduit de la dérive interne du gouvernement israélien vers le fascisme, qui se reflète dans son comportement sur le terrain. « La terreur et le fascisme sans précédent pratiqués par le gouvernement israélien ont un impact négatif sur ce dernier et sur sa position aux yeux de la communauté internationale », explique M. Dajani.
M. Dajani mentionne également que ce point de vue n’est pas rare au sein de l’establishment « libéral » israélien, faisant référence à la déclaration de l’ancien Premier ministre israélien, Ehud Barak, qui a exprimé ses craintes de voir Israël s’effondrer avant son quatre-vingtième anniversaire.
Ce que l’on appelle la « malédiction de la huitième décennie » a particulièrement gagné les analystes arabes, et Dajani ne fait pas exception à la règle. Mais elle mérite également d’être soulignée car elle met en évidence la menace existentielle que de nombreux Israéliens, y compris au sein de l’élite dirigeante, considèrent comme actuelle.
Le prix d’une guerre contre Gaza
Si le professeur Abusada pense que l’appareil sécuritaire et militaire israélien préférerait maintenir Gaza à l’écart de la situation actuelle en Cisjordanie, il pense également que la récente vague d’assassinats de résistants et d’exécutions sommaires en Cisjordanie par l’occupant pourrait entraîner une escalade à Gaza.
« Les invasions israéliennes et les assassinats de combattants en Cisjordanie pourraient avoir un impact négatif sur Gaza », a ajouté M. Abusada. Et ce malgré le fait que ni le Hamas ni Israël ne souhaitent une guerre totale à ce stade. Mais les événements en cours pourraient ne pas leur laisser le choix.
M. Abusada note que les mois à venir incluent dans leur calendrier les fêtes juives et la « marche au drapeau » des colons. En outre, le mois du Ramadan a, les années précédentes, coïncidé avec des périodes de soulèvement populaire et de manifestations de masse à Jérusalem et en Cisjordanie.
Tous ces éléments indiquent la probabilité d’une escalade à Gaza.
Abusada nuance sa prédiction en soulignant que l’Etat sioniste préférerait maintenir des afftontements liés à la Cisjordanie. « Netanyahu a récemment tenté d’échapper à sa crise intérieure par l’escalade à Naplouse et à Jénine. Il sait que les tensions en Cisjordanie lui coûteront finalement moins cher qu’une guerre à Gaza », a-t-il déclaré.
« La réaction de la Cisjordanie aux invasions israéliennes à Naplouse et à Jénine sera limitée et modeste », poursuit-il. « Un Palestinien mènera une opération de tir. Quelqu’un pourrait ouvrir le feu sur un groupe de colons. Mais en cas d’escalade avec Gaza, ce sont plus de 5 millions d’Israéliens qui seront à portée des roquettes des organisations de la résistance de Gaza ».
Mais c’est peut-être précisément cette menace supposée qu’e Netanyahu a besoin d’évoquer – pour obliger les Israéliens à abandonner la rue.
Auteur : Tareq S. Hajjaj
* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l'université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi, MEE et Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour We Are Not Numbers et Mondoweiss.Son compte Twitter.
17 mars 2023 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine