Par Belen Fernandez
Les fidèles d’Al-Aqsa sont attaqués, Gaza est à nouveau bombardée. Mais les médias occidentaux continuent de prétendre que le cou du supplicié « affronte » la guillotine.
La police israélienne est intervenue dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa, dans la vieille ville de Jérusalem, le mercredi 5 avril 2023. Selon les médias palestiniens, la police a attaqué des fidèles palestiniens, ce qui fait craindre une aggravation des tensions au moment où les fêtes musulmanes et juives se chevauchent.
C’est reparti pour un tour. L’État israélien commet des actes de barbarie incontrôlés contre les Palestiniens et les médias occidentaux ont décidé que tout se résumait à des « affrontements ».
Les derniers « affrontements » donc, qui ont eu lieu lorsque la police israélienne a décidé de fêter le mois sacré musulman du Ramadan en attaquant à plusieurs reprises les fidèles palestiniens de la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, ont fait, comme on pouvait s’y attendre, un nombre disproportionné de victimes.
Des centaines de Palestiniens ont été arrêtés et blessés lorsque les forces israéliennes ont une fois de plus fait étalage de leurs talents, à grands renforts de matraques, grenades assourdissantes, gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc.
De son côté, la police n’a subi que des blessures minimes, tout en accompagnant, en même temps, des colons israéliens illégaux dans l’enceinte de la mosquée.
Déchaîner la violence à Jérusalem n’a apparemment pas suffi à Israël, qui s’est également lancé dans une série de frappes aériennes sur la bande de Gaza et le Sud-Liban en réponse à de tirs de roquettes.
Comme à chaque fois, les médias utilisent le terme d’ « affrontements israélo-palestiniens », pour masquer le fait qu’Israël détient le monopole de la violence, et tue, mutile et estropie infiniment plus, dans ces « affrontements », que son adversaire soi-disant de même force.
Cette terminologie occulte également le fait que la violence palestinienne est une réponse à 75 ans de nettoyage ethnique, d’occupation et de massacres – pardon, d’ « affrontements ».
Il n’y a qu’à regarder n’importe laquelle des dernières agressions militaires israéliens : sous le doux nom d’opération « Bordure protectrice », Israël a massacré, en 2014, 2251 personnes dans la bande de Gaza, dont 551 enfants. Et en 22 jours, à partir de décembre 2008, l’opération « Plomb durci » a assassiné quelques 1400 Palestiniens de Gaza pendant que trois civils israéliens trouvaient la mort.
Lors des manifestations à la frontière de Gaza, en 2018, il y a eu aussi beaucoup d’ « affrontements » au cours desquels l’armée israélienne a tué des centaines de Palestiniens et en a blessé des milliers.
Et en mai 2021, un déchaînement israélien de 11 jours intitulé « Opération Gardiens des Murs » a assassiné plus de 260 Palestiniens, dont environ un quart étaient des enfants. Comme par hasard, cette dernière opération avait été déclenchée par – quoi d’autre ? – des « affrontements » à la mosquée Al-Aqsa.
Cet « incident » a suscité, chez certains organes de presse, l’inquiétude d’une « escalade d’effusion de sang » entre Israéliens et Palestiniens – un autre élément de langage médiatique qui a le même but : blanchir le rôle prédominant d’Israël dans l’effusion de sang.
On a du mal à trouver, dans le monde, quelque chose de similaire, au plan linguistique ou moral, au parti-pris obsessionnel des médias de définir la sauvagerie israélienne en termes d’ « affrontements ». Peut-on parler d’affrontement lorsqu’un élan rencontre le fusil d’un chasseur, ou un cou humain, la guillotine ?
Pas plus que le bombardement meurtrier d’un hôpital à Kunduz, en Afghanistan, par les États-Unis en 2015 n’est un « affrontement » entre un établissement médical et un hélicoptère de combat AC-130.
Bien que manifestement contraire à l’éthique, la flagornerie des médias occidentaux à l’égard d’Israël n’est pas nouvelle. Elle s’explique en grande partie par le soutien inconditionnel des États-Unis à la narrative israélienne qui présente les bourreaux israéliens comme des victimes et les massacres israéliens comme de l’autodéfense.
Pour ces médias, la création même de l’État d’Israël en 1948 – qui a vu des milliers de Palestiniens massacrés et plus de 500 villages palestiniens détruits – n’a sans doute été qu’un grand « affrontement ». Ce qui ne fait pas de doute, en tout cas, c’est que la propagande d’Israël, qui vise à faire passer les Palestiniens pour des terroristes, marche formidablement bien sur les médias.
Même les médias soi-disant progressistes qui dénoncent parfois les crimes israéliens, n’arrivent toujours pas à mettre les Palestiniens sur le même plan d’humanité que les Israéliens.
En février de cette année, par exemple, Lawrence Wright, du magazine The New Yorker, a tweeté une vidéo de soldats israéliens qui jettent à terre un militant palestinien pour la paix, Issa Amro, et le lardent de coups de pied alors que Wright l’interviewait dans la ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée. Et le rédacteur du New Yorker de conclure : « C’est désolant de voir à quel point l’occupation est déshumanisante pour les jeunes soldats chargés de la faire respecter ».
En d’autres termes, les soldats israéliens sont vus comme les victimes d’une forme de dégradation morale et d’une déshumanisation, pendant que les Palestiniens ne sont même pas considérés comme des êtres humains.
Aujourd’hui, alors que les forces de sécurité israéliennes sont occupées à déshumaniser et à se déshumaniser à Jérusalem et à Gaza, tout ce vocabulaire sur les « affrontements » ne fait que justifier la violence d’Israël, qui est présentée comme l’un des deux protagonistes d’une compétition équitable entre deux camps de même force.
En août 2022, un assaut de trois jours de l’armée israélienne sur Gaza a tué au moins 49 Palestiniens, dont 16 enfants – l’épisode le plus sanglant depuis l’opération « Gardien des murs » en mai 2021. Aucun Israélien n’a été tué dans le cadre de cette attaque et pourtant, les médias occidentaux ont continué à faire semblant de rester neutre en publiant des rapports haletants sur les « affrontements ».
Comme je l’ai fait remarquer à l’époque dans un article pour Al Jazeera, la version en ligne du dictionnaire de Cambridge définit le terrorisme comme une « (menace d’) action violente à des fins politiques ».
Plus nous nous rappellerons et rappellerons qu’Israël est un état terroriste qui règne sur les Palestiniens par la terreur, plus nous aurons de chance de mettre fin à tous les discours trompeurs sur les « affrontements ».
Auteur : Belen Fernandez
* Belen Fernandez est l'auteur de The Imperial Messenger: Thomas Friedman at Work, publié par Verso. Elle est rédactrice en chef du Jacobin Magazine. Il est possible de la suivre sur Twitter: @MariaBelen_Fdez
7 avril 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet