Par Abdel Bari Atwan
Face à l’occupation israélienne, la résistance palestinienne bouleverse les règles du jeu.
Il y a environ un an et demi, j’ai rencontré un éminent dirigeant arabe qui s’était arrêté à Londres alors qu’il se rendait à une grande conférence internationale. La première question qu’il m’a posée était de savoir qui, selon moi, succéderait au président Mahmoud Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne, quelles politiques ce successeur mènerait et quel soutien populaire il pouvait espérer.
J’ai répondu qu’il n’y aurait pas de successeur à Abbas. L’alternative probable serait la résistance, un type différent de résistance armée et sophistiquée qui serait difficile à contrôler.
Mon interlocuteur a été surpris et a pensé que j’exagérais. J’espère qu’il se souvient de cette rencontre lorsqu’il suit la profusion d’opérations de résistance armée en Cisjordanie menées par divers groupes nouveaux et bien ancrés, sous le regard de l’Autorité palestinienne, comme d’un badaud qui n’a rien à voir avec ce qui se passe.
Les colons armés de Cisjordanie, dont le nombre est passé à quelque 800 000, se transforment rapidement en milices terroristes au-dessus de toute loi, protégées par l’armée israélienne et la couverture internationale américaine et européenne, pour exécuter les plans de Benjamin Netanyahu et de ses alliés Bin-Gvir et Smotrich.
Mais les résultats pourraient être contraires à ceux escomptés, en provoquant une réaction palestinienne qui ébranle la sécurité et la stabilité de l’État sioniste d’une manière qui pourrait finalement conduire à son effondrement.
L’armement du peuple palestinien de Cisjordanie et de ses camarades syriens du Golan occupé, également en révolte, sera une option clé dans la période à venir.
Lorsque les autorités d’occupation manquent à leur obligation légale de protéger les personnes vivant sous leur occupation contre les meurtres et les incendies criminels perpétrés par les milices de colons, l’armement du peuple devient la seule option légitime et logique.
Nous avons vu ces milices en action mercredi, menant des pogroms contre des villes et des villages palestiniens dans les régions de Ramallah (siège de l’AP), Naplouse et al-Bireh, en particulier le village de Turmusaya où un Palestinien a été assassiné et des dizaines d’autres blessés, et où des centaines de maisons et de véhicules ont été incendiés.
Lorsque le ministre nazi Ben-Gvir exige l’aplanissement des maisons, que Netanyahu surenchérit en annonçant la construction de 1000 unités de peuplement dans la colonie d’Eli (théâtre de l’opération de représailles palestinienne de mardi au cours de laquelle quatre colons ont été tués et sept soldats blessés), et que Smotrich menace d’une opération militaire massive dans le nord de la Cisjordanie impliquant des dizaines de milliers de soldats, nous n’avons plus affaire à un État, mais à une bande de gangsters criminels.
Le monde arabe et la communauté internationale doivent les traiter comme tels.
L’opération militaire d’envergure dont parle le trio est censée ressembler à l’opération « Bouclier défensif » lancée en 2002 pour tenter d’écraser la première intifada armée.
Trente mille soldats et des centaines de chars et de véhicules blindés ont été déployés à cette fin, mais ils n’ont pas atteint leur objectif. L’intifada n’a pris fin qu’en 2005, et ce n’est pas grâce à cette opération armée, mais à cause de la fraude internationale à laquelle l’Autorité palestinienne s’est laissée prendre, à savoir le mensonge de la « feuille de route » et du « Quartet ».
Il convient de rappeler qu’à l’époque, les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne se sont rangées du côté de l’intifada armée et ont fait leur devoir en utilisant leurs armes pour servir et protéger leur peuple. On peut s’attendre à ce que les forces de sécurité actuelles de l’AP, fortes de 60 000 hommes, suivent la même voie et descendent dans la rue pour protéger leur peuple, d’autant plus que la direction de l’AP est en suspens.
La Cisjordanie est désormais en état de guerre. Il semble que nos frères et sœurs syriens du plateau du Golan aient adhéré à la théorie des fronts unis et entamé leur propre intifada.
Si l’ennemi qui déploie des hélicoptères Apache, des drones et des chars n’est pas en guerre, de quoi s’agit-il alors ?
Les opérations de résistance d’aujourd’hui ne sont pas des réactions instantanées pour venger les martyrs du camp de réfugiés de Jénine, mais le produit d’une planification minutieuse et d’une forte détermination. C’est ce qui les différencie des précédentes et donne des frissons aux colons de toute la Palestine.
Le site web israélien Kippa a cité un général de réserve qui a déclaré que les événements de lundi à Jénine étaient sans précédent : il ne s’agissait pas de quelques hommes armés tirant sur des véhicules blindés, mais d’une véritable bataille impliquant plus d’une centaine de combattants.
D’autres généraux ont déclaré au site web de renseignement Walla que l’embuscade sophistiquée tendue à Jénine et d’autres opérations en Cisjordanie ont changé les règles du jeu et présagent une nouvelle escalade majeure dans la région.
Une escalade majeure en effet. Lorsque notre peuple du Golan se soulèvera et que Walid Junblatt changera son fusil d’épaule et appellera à fournir des armes aux révolutionnaires de Jénine, de Naplouse et du Golan, alors « l’écriture sera vraiment sur le mur ». Et ce ne sera que le début.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
23 juin 2023 – Raï-al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine