GAZA – En ce jour fatidique de décembre 2008, notre famille était impatiente d’emménager dans notre nouvelle maison. Ma mère et ma cousine nettoyaient soigneusement chaque recoin de la maison que nous avions achetée, en préparation du grand jour. J’avais 11 ans, j’étais absorbée par mes études à l’école et loin de me douter qu’une furieux orage allait s’abattre sur nous.
Alors que le soleil était à son apogée et que tout était tranquille, plus de 80 avions israéliens F-16 ont fait irruption au-dessus de l’école, dans un fracas et une violence telles que nos bureaux tremblaient. Dehors retentissaient des centaines d’explosions qui résonnaient jusque dans nos os, et la terreur faisait place à l’innocence dans nos yeux.
Dans ma classe, la panique s’est répandue comme une traînée de poudre. Les visages de mes camarades reflétaient l’horreur du moment. C’était comme si nous étions témoins de l’invasion d’une armée de zombies.
Dans le chaos qui a suivi, chacun cherchait désespérément un moyen de s’échapper et courait sans but dans l’enceinte de notre école. J’ai sprinté vers le bus, mon cœur battait la chamade à chaque pas, je n’avais qu’une seule pensée, me retrouver en sécurité à la maison.
Il ne m’est jamais venu à l’idée que notre nouvelle maison – notre sanctuaire – serait détruite par une bombe F-16. Nous vivions trop près de la clôture israélienne. Mais les souvenirs d’une autre tragédie survenue dix mois plus tôt ont envahi mon esprit : Je voyais encore les soldats israéliens qui avaient fait sauter l’entrée de l’immeuble où nous vivions en février.
Lorsque je suis arrivée à la maison, ma mère m’attendait. Tout était dévasté autour de nous comme dans un tableau cauchemardesque. Le hurlement des obus de chars continuait à saturer l’air, certains atteignaient notre maison. Paniquée, nous nous sommes serrés les uns contre les autres dans le salon avant que la fumée suffocante ne nous force à nous réfugier dans la minuscule salle de bain, dans une ultime tentative pour nous mettre à l’abri.
Lorsque le grondement des tanks a diminué, nous sommes descendus prudemment au premier étage, rejoignant ma grand-mère bien-aimée et d’autres membres de la famille.
Autour de nous, le quartier, qui habituellement bruissait de vie, n’était plus que ruines : les maisons étaient détruites, les rues étaient bordées de débris, tout signe de vie était anéanti. Nous n’avions pas seulement perdu notre maison. Toute notre vie quotidienne, toutes les habitudes et les relations que nous considérions comme acquises – tout ce qui avait défini notre existence – tout avait été anéanti en quelques minutes.
L’armée israélienne a prétendu qu’elle visait des bâtiments appartenant au Hamas. Mais ce n’est pas ce que nous avons vu. Nous, nous avons vu des destructions aveugles et un peuple innocent pris entre deux feux.
Mon père, un ingénieur travaillant pour la société de distribution d’électricité de Gaza, n’avait aucune affiliation politique. Mais cela n’a pas empêché notre maison d’être détruite.
Les années ont passé, mais la hantise de la violence ne nous a jamais quittés. J’ai été témoin d’une époque marquée par le chagrin et l’incertitude. En 2011, nous avons reconstruit notre maison, mais je savais que je ne m’y sentirais plus jamais en sécurité.
Trois ans plus tard, à l’âge de 17 ans, au seuil de l’âge adulte, j’étais toujours accablée par le poids d’un conflit qui n’en finissait pas. Il y a deux ans, j’ai eu 24 ans, et j’aspirais toujours à la stabilité, à une vie libérée de la tension permanente qui définissait notre existence. Mais l’année suivante, l’année de mes 25 ans, la violence était toujours là, déchirant nos vies à chaque nouvelle attaque.
Pendant la dernière agression israélienne, l’année dernière, j’ai vu ma jeune sœur, âgée d’à peine 12 ans, se cacher sous une couverture dans son lit. J’ai compris qu’elle craignait qu’un bombardement ne fasse éclater les fenêtres et qu’elle essayait de se protéger.
C’était une démonstration poignante de l’impact de la violence sur une jeune génération qui a grandi dans l’ombre de la peur.
La précarité et le tumulte de notre vie a renforcé les liens au sein de notre famille. Nous nous sommes accrochés les uns aux autres, trouvant du réconfort dans nos expériences communes et notre amour indéfectible les uns pour les autres. Dans les moments les plus sombres, nous n’avons pas faibli et nous nous sommes soutenus mutuellement, alors même que le monde autour de nous semblait s’effondrer.
Au cœur du désespoir, il y avait aussi des lueurs d’espoir.
Nous avons refusé de laisser les guerres nous définir entièrement. Malgré la menace constante de la violence, nous nous sommes efforcés de rester optimistes et de garder l’espoir qu’un jour la paix s’installerait et que notre Gaza bien-aimée prospérerait.
La résilience que l’adversité nous a obligés à développer est devenue notre lumière dans les ténèbres. Notre communauté a trouvé sa force dans les réunions de voisins et d’amis et les partages d’expériences d’endurance et de survie.
Au fil des années, je suis devenue conteuse. Actuellement, je participe à un podcast pour témoigner de mon expérience lors de l’attaque de 2021 sur Gaza ; j’organise une réunion sur mon lieu de travail pour parler de mon parcours d’écrivain et de conteuse et j’enseigne l’écriture pour que d’autres puissent rédiger des histoires captivantes et faire entendre leur voix.
Avec l’aide des mots, je cherche à faire ressortir l’aspect humain des conflits qui ont ravagé notre patrie, à combler le fossé entre les cœurs endurcis par les préjugés et l’ignorance. Je veux rappeler aux gens que derrière les gros titres, de vraies vies sont déchirées.
Mon parcours de conteuse se poursuit. Je refuse de laisser les blessures de mon cœur dicter mon avenir. Je garde précieusement le souvenir de ma maison détruite, une maison de rêve dans laquelle j’avais ma propre chambre, car, pour moi, ce souvenir ne symbolise pas la perte et d’échec, bien au contraire il symbolise notre résilience et nos espoirs indestructibles.
J’ai constaté que même l’escalade de la violence ne peut rien contre l’esprit humain. Il continue de vivre et d’aspirer à une vie libérée de la peur, où les rêves peuvent s’enraciner et fleurir.
Je porte l’espoir en moi, je le nourris à chaque mot que j’écris, à chaque histoire que je partage. Ensemble, je l’espère, nous pourrons traverser les ténèbres, à la recherche de cette aube insaisissable où la paix triomphera enfin et où Gaza pourra guérir et se reconstruire.
Auteur : Haneen Abed Elnaby
* Haneen Abed Elnaby étudie la littérature anglaise à l'université islamique de Gaza. L'une de ses principales passions est la lecture et son ouvrage préféré est le roman « A Beautiful Lie » (Un beau mensonge) d'Irfan Master. La musique et les langues étrangères sont également des passions. Elle attribue cette dernière à son père, qui a vécu en Allemagne pendant 13 ans. Haneen parle donc un peu d'allemand, ainsi que le turc et l'anglais. Ses compétences en anglais ont été considérablement améliorées lorsqu'elle a été acceptée dans le programme Acess d'Amideast en 2012, et elle s'est ensuite portée volontaire pour l'organisation.Son compte Twitter.
12 juillet 2023 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet