Par Mouin Rabbani
La crise politique actuelle en Israël est le produit des décennies de soutien occidental inconditionnel à l’occupation et à l’apartheid israéliens.
L’idée selon laquelle la crise politique actuelle d’Israël a pour origine sa politique à l’égard du peuple palestinien gagne du terrain.
Dans cet ordre d’idée, le programme législatif autoritaire du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu et les méthodes employées pour y parvenir représentent l’aboutissement inévitable et inéluctable des 75 années d’oppression et de répression du peuple palestinien par Israël, et notamment des violations systématiques de la loi et du droit dans les territoires arabes qu’il occupe depuis 1967.
Certains suggèrent en outre que la principale motivation de Netanyahu et de ses alliés d’extrême droite pour faire passer leur programme législatif est d’augmenter leur pouvoir et leur capacité de déposséder toujours plus le peuple palestinien.
C’est une théorie qui séduit particulièrement ceux qui affirment que la prétention d’Israël à se présenter comme un « État juif et démocratique » est en fait un aveu d’ethnocratie et ceux qui cherchent à inclure les droits des Palestiniens dans l’agenda du mouvement de protestation contre le plan de réforme du gouvernement.
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L’idée que la politique d’Israël à l’égard des Palestiniens a des conséquences négatives sur la situation intérieure n’est pas sans fondement. Pour dire les choses telles qu’elles sont, un régime suprémaciste juif donne nécessairement du pouvoir aux suprémacistes juifs.
Cette situation associée à des politiques expansionnistes qui s’appuient sur la violence systématique, la déshumanisation et l’asservissement permanents du peuple palestinien, a, au fil du temps, hissé les dirigeants les plus extrémistes et les plus messianiques au sommet du pouvoir.
Comme dans des situations similaires au cours de l’histoire, ces forces ont tendance à considérer tout obstacle à leurs objectifs, y compris les institutions établies et les membres dissidents de leur propre communauté, comme des traîtres qu’il convient de neutraliser.
En dépit de ce qui précède, interpréter la crise actuelle d’Israël comme le résultat de sa politique à l’égard des Palestiniens, ou comme l’application, au niveau intérieur, du traitement israélien des Palestiniens, revient à se méprendre fondamentalement sur la nature de cette crise et sur la réalité palestinienne.
Il est clair que les manifestations de masse organisées par les Israéliens à intervalles réguliers dans tout le pays n’ont pas été criminalisées et que ceux qui y ont participé ont été confrontés à des forces de police équipées de matraques et de canons à eau plutôt qu’à des unités militaires dotées de tireurs d’élite qui tirent pour mutiler et tuer.
Quoi que l’on puisse penser de Netanyahu et de ses projets pour le système judiciaire israélien, son gouvernement a été constitué sur la base d’une élection et son programme est validé par un parlement que l’écrasante majorité des citoyens israéliens considère comme la représentation légitime, sinon exclusive, de leur volonté politique collective.
Tout cela est bien loin de la réalité des Palestiniens, qui sont gouvernés par un gouvernement militaire étranger dans le cadre d’un régime colonial imposant par la force une législation extraterritoriale.
L’affirmation selon laquelle cette crise aurait pu être évitée si Israël avait adopté une constitution est sans doute erronée puisque les constitutions, comme les systèmes judiciaires, peuvent être révisées, voire remplacées.
Plus absurde encore est l’affirmation selon laquelle Israël s’est abstenu d’en adopter une parce que cela l’aurait obligé à déclarer ses frontières et, soit à instaurer l’égalité pour tous ses citoyens, soit à proclamer officiellement l’ethnocratie.
Les constitutions ne délimitent pas les frontières. Il est de notoriété publique que la déclaration d’État d’Israël en 1948 promettait l’égalité à ceux qu’il était en train de nettoyer ethniquement de leur patrie, et qu’en 2018, la Knesset a adopté une loi fondamentale définissant Israël comme l’État-nation du peuple juif et non pas de tous les citoyens de l’État.
Le fait qu’Israël n’ait pas adopté de constitution reflète principalement la réticence de ses fondateurs à prendre position sur la question épineuse de la religion et de l’État, afin d’éviter une scission entre l’establishment rabbinique et les élites laïques.
Ces deux camps se sont affrontés sur la définition de la judéité, mais ont fait preuve d’un consensus remarquable sur le déni des droits des Palestiniens.
De la même manière, la crise actuelle est avant tout un conflit interne au sein de la population et des élites juives d’Israël sur la gouvernance de leur ethnocratie et le rôle de ses institutions.
L’argument marketing des défenseurs de l’agenda du gouvernement est qu’il permettra de mieux déposséder les Palestiniens et d’annexer leurs terres, ce qui est effectivement le cas.
Quelles que soient leurs motivations, ils utilisent cet argument car, en Israël, l’apartheid se vend mieux que l’autoritarisme, et « Nakba Now ! » est plus populaire que le fait de laisser des politiciens véreux s’en tirer à bon compte.
Le gouvernement n’obtiendrait pas le même niveau de soutien pour son programme judiciaire s’il proclamait que l’un de ses principaux objectifs est de permettre à des politiciens de haut rang comme Netanyahu et Aryeh Deri d’éviter d’avoir à répondre à des accusations de corruption dans un tribunal.
Le large consensus israélien sur la dépossession des Palestiniens s’est également manifesté par le fait que la plupart des organisateurs des manifestations ont activement lutté pour exclure la défense des droits des Palestiniens – y compris ceux qui sont citoyens israéliens – de leur mouvement.
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Entre-temps, les gouvernements occidentaux semblent également plus courroucés par la dégradation institutionnelle de l’ethnocratie israélienne que par son existence ou sa persistance.
Les critiques, les condamnations et les boycotts d’Israël, de son gouvernement, de son armée et de son économie, considérés comme tabous quand il s’agit de lutter contre l’élimination des droits et des vies des Palestiniens, deviennent des outils appréciables et même honorables quand il s’agit de défendre un système judiciaire institutionnellement coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.
La priorité de l’Occident – et son seul intérêt en la matière – est la stabilité de son allié stratégique. C’est ainsi que fonctionne l’ « ordre international fondé sur des règles » : les règles et les droits n’entrent en ligne de compte que s’ils sont violés par des rivaux et des adversaires.
Pourtant, cette crise est, en grande partie, le fait de l’Occident lui-même.
Pendant des décennies, et de plus en plus ces dernières années, il a garanti une impunité totale aux dirigeants israéliens. Il est tout à fait naturel que ces derniers se conduisent comme des enfants gâtés, saisissant et brisant tout ce qui passe à leur portée, et faisant des crises de rage à la moindre réserve de ceux qui les soutiennent à Washington et à Bruxelles.
Leurs sponsors occidentaux, à force d’impunité, leur ont font perdre toute sensibilité aux conséquences de leurs actions. Ils n’en tiennent plus aucun compte dans leurs calculs. Ils sont complètement désinhibés…
On peut aussi trouver qu’il est tout de même un peu fort que les Occidentaux, qui, depuis des décennies, célèbrent Israël en tant qu’État juif et démocratique, sans jamais perdre une occasion de le renforcer à la fois par des actes concrets et des refus d’agir, soient tout à coup effarés par les conséquences tout à fait prévisibles de leur attitude – principalement parce que l’autoritarisme israélien complique leurs politiques au Moyen-Orient, bien plus encore que leur soutien à l’apartheid.
C’est l’heure de vérité. Les conséquences concrètes de cette éternelle impunité s’étalent maintenant devant nos yeux.
Comme toujours, ce seront les Palestiniens qui en feront les frais, et, dans une moindre mesure, les Israéliens.
Auteur : Mouin Rabbani
5 août 2023 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet