Par Hebh Jamal
Se faisant l’écho d’allégations douteuses d’Israël à propos de l’organisation de défense des droits dont fait partie Zaid Abdulnasser, l’Allemagne pourrait forcer ce dernier à se retrouver immergé dans le vide juridique qui est le sort de milliers de Palestiniens.
Le 19 juillet, Zaid Abdulnasser, un réfugié palestinien de Syrie, qui vit à Berlin depuis 2017, a reçu un avis de l’Office fédéral allemand pour la migration et les réfugiés (BAMF) le prévenant que son statut de réfugié allait lui être retiré en même temps que la protection que lui assurait le BAMF.
La décision de retirer à Zaid Abdulnasser son statut de réfugié était motivée par ce que le BAMF qualifiait d’« activités extrémistes » – c’est-à-dire son activisme avec le groupe de défense des Palestiniens, Samidoun, un réseau international d’activistes qui s’emploie à bâtir la solidarité avec la lutte des prisonniers palestiniens croupissant dans les geôles israéliennes. Samidoun, qui organise des protestations et d’autres campagnes de conscientisation, a été confronté à des accusations persistantes d’« extrémisme » et de connexions avec des groupes terroristes, bien qu’il n’y ait absolument aucune preuve de la chose.
L’avocate de Zaid Abdulnasser, Nadija Samour, a expliqué à +972 que, si l’État allemand obtenait gain de cause, son client se verrait imposer un Duldungstatus, ou « statut de tolérance », ce qui signifie qu’il n’aurait plus les droits d’un réfugié reconnu, mais que les autorités n’auraient cependant pas la possibilité de le déporter vers la Syrie.
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Le Duldung est un phénomène typiquement palestinien, ici, en Allemagne », a expliqué Nadija Samour. « Fondamentalement, cela signifie qu’il se retrouverait dans une prison à ciel ouvert et qu’il n’aurait pas la possibilité de voyager ni vraisemblablement de travailler ou d’étudier dans une université. Les répercussions seraient très sévères, si cette décision devait être appliquée. »
De façon tragique, au vu de la situation, Zaid Abdulnasser était encore heureux d’avoir obtenu en premier lieu le statut de réfugié. « Je suis né en Syrie comme réfugié – fils, petit-fils et arrière-petit-fils de réfugiés palestiniens à qui l’on refuse le droit au retour dans leurs foyers en Palestine », a-t-il expliqué à +972. « Si on m’a accordé dès le début le statut de réfugié en Allemagne, ce n’est dû qu’au fait que je suis né en Syrie – un pays que l’Allemagne définit comme ‘déchiré par la guerre’. »
Mais la lettre que Zaid Abdulnasser a reçue en juillet résume en gros le traitement de plus en plus sévère que l’Allemagne réserve aux Palestiniens. « Pendant mon séjour en Allemagne, j’ai été étudiant, j’ai reçu mes diplômes, j’ai publié un article universitaire et j’exerce actuellement ma profession d’ingénieur électricien », dit-il.
« Pour l’État, naturellement, tout cela n’a aucune importance. Un réfugié palestinien doit avant tout renoncer à son histoire palestinienne et à sa réalité : tout le reste n’est que détails mineurs. Ceci a lieu pendant que l’État continue à diaboliser les réfugiés et à les incriminer de ses propres manquements. »
« Un copier-coller de gouvernement raciste »
En Allemagne vivent des milliers de Palestiniens qui, à l’instar de Zaid Abdulnasser, n’ont pas de foyer où retourner et qui, en lieu et place, reçoivent un Duldungstatus, ce qui les plonge dans un vide perpétuel. Voici quelques décennies, après que des milliers de réfugiés palestiniens étaient venus en Allemagne après avoir fui la guerre civile au Liban, le gouvernement allemand avait refusé de les reconnaître comme réfugiés politiques : moins de 2 % de ces demandeurs d’asile palestiniens avaient acquis un statut de réfugié.
Du fait que le Liban n’allait pas autoriser son retour, le reste de cette population palestinienne est restée coincée et affublée du « statut de tolérance », ce qui signifiait que sa déportation était temporairement empêchée, mais qu’elle pourrait être appliquée ultérieurement.
Dans l’intervalle, ces personnes se voyaient refuser les droits accordés à d’autres réfugiés, comme la possibilité d’aller à l’université, d’obtenir un permis de travail ou de disposer de documents suffisants pour pouvoir voyager au niveau international.
Pour les membres de la communauté palestinienne, cela signifiait de vivre dans la crainte constante de la déportation : étant donné l’instabilité de leur statut légal, ils étaient confrontés à des niveaux élevés de délinquance et de pauvreté. Ils voyaient leurs avantages sociaux diminuer, ce qui en amenait d’aucuns à se tourner vers le travail illégal comme seul moyen de survie.
Dans les décennies qui ont suivi, une dangereuse tendance est apparue en Allemagne : une répression de l’activisme propalestinien au nom de la lutte contre l’antisémitisme. « Ce que l’État exige n’est pas dirigé contre moi en tant que personne, mais contre tous les réfugiés palestiniens en Allemagne », a expliqué Zaid Abdulnasser.
« Mon cas n’est pas le premier ni le seul non plus : l’Allemagne a annulé la résidence d’autres Palestiniens en raison de leur engagement dans le militantisme propalestinien. Le but de ces attaques est d’empêcher les réfugiés palestiniens de s’organiser, de descendre dans la rue et de s’engager dans leur lutte pour la libération et le retour. »
Le BAMF a reçu des documents de soutien du Département sénatorial berlinois pour l’Intérieur et, selon le département, le statut de protection de Zaid Abdulnasser en tant que réfugié est supprimé en raison d’une connexion supposée entre Samidoun et le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). Toutefois, on ne voit pas très bien comment l’État prévoit de prouver cette connexion.
Dans la lettre officielle adressée à +972, le département expliquait que, alors que le FPLP « ne fait pas l’objet d’une interdiction d’activité en Allemagne, la diffusion de matériel de propagande et le recours à des symboles d’organisations terroristes qui sont répertoriées sur la liste américaine des terroristes sont interdits. ».
Quelques phrases plus loin, le Département sénatorial berlinois concède également que, bien que « Samidoun ne tombe pas sous les interdictions mentionnées », il a été désigné comme organisation terroriste et comme « une émanation directe du FPLP » par Benny Gantz, le ministre israélien de la Défense de l’époque, c’est-à-dire en février 2021.
Quelques mois plus tard, Gantz désignait six organisations des droits humains installées en Palestine comme étant des organisations terroristes. (Une enquête commune par +972, Local Call et The Intercept a découvert que les allégations fournies par Israël dans un dossier secret adressé à des gouvernements étrangers pour expliquer cette décision étaient essentiellement dénuées de fondement.)
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Le ministère fédéral allemand des Affaires étrangères répondait à la déclaration de Gantz en remettant subtilement en question sa légitimité : « Aucune information substantielle n’a été reçue d’Israël qui justifierait de revoir notre politique à l’égard des six ONG palestiniennes sur base de la décision israélienne de les désigner comme des ‘organisations terroristes’ », disait-il dans une déclaration commune avec d’autres ministère des Affaires étrangères de l’UE.
Il n’est pas du tout certain que, depuis lors, l’Allemagne ait reçu de l’État israélien la moindre preuve concrète qui confirmerait un lien entre Samidoun et le FPLP. Nadija Samour, l’avocate de Zaid Abdulnasser, a déclaré que la seule façon de vérifier l’existence de tels liens consistait à voir si des acteurs politiques avaient été directement impliqués.
En l’absence de la moindre preuve, les autorités allemandes ont dû s’appuyer sur la désignation par Gantz de Samidoun en tant qu’organisation terroriste, bien qu’elles aient avant cela été sceptiques à l’égard de ce raisonnement. Selon Nadija Samour, cette façon de faire n’a guère de sens.
« Jusqu’à présent, la seule façon dont ils ont pu le faire a été en adoptant ce qu’Israël avait fait », a-t-elle dit. « Ainsi, cela s’appuierait sur une décision israélienne ? Les autorités allemandes se contenteraient-elles uniquement de copier-coller ce que fait un gouvernement raciste d’extrême droite comme celui d’Israël ? C’est rendre impossible toute résistance contre le colonialisme de peuplement et en faveur de la libération palestinienne. »
« Il est important de riposter »
Annuler le statut de réfugié et réprimer Samidoun constituent précisément les deux manières dont l’Allemagne a imposé des peines sévères aux Palestiniens qui exprimaient leurs identités et leurs points de vue politiques. Deux frères palestiniens dans une école de médecine, par exemple, doivent affronter la déportation après que leur requête de prolongation de leur visa a été rejetée ; une raison majeure citée par les autorités allemandes était leur participation à des événements communautaires organisés par PalMed, une organisation de professionnels palestiniens de la médecine travaillant en Europe.
Nadija Samour a fait remarquer que, souvent, les étudiants avaient un statut juridique particulièrement précaire. « Si vous êtes réfugié, l’Allemagne est tenue par les lois internationales de vous protéger.
Ainsi donc, il existe quelques filets de sécurité. Mais pour les étudiants ? Non », explique-t-elle. « La plupart des avocats optent pour la stratégie de reporter une décision afin de donner du temps aux étudiants pour créer des raisons de rester, terminer leurs études ou trouver un emploi [et ensuite de demander un visa différent]. »
Toutefois, pour Zaid Abdulnasser et ses semblables, qui choisissent de s’exprimer publiquement sur les questions palestiniennes, il n’y a pas de place pour se cacher – et il n’en veut d’ailleurs pas.
« Les réfugiés palestiniens comme moi constituent une extension de leur peuple en Palestine et une extension de plus de 100 années de la résistance en cours. Les forcer à choisir entre s’engager dans leur lutte de libération et pour le retour, ou vivre dans l’indignité tout en continuant d’être exploités par le système allemand brutal – ce choix n’est pas difficile à faire », dit-il.
Les pressions juridiques sur les Palestiniens qui s’expriment publiquement en Allemagne augmentent rapidement du fait que quasiment toutes les formes de résistance pacifique sont jugées antisémites.
Depuis l’interdiction des manifestations de la Nakba jusqu’à la signature d’une résolution anti-BDS afin de criminaliser constamment la parole palestinienne, l’Allemagne semble impatiente d’effacer toute preuve visible de l’existence des Palestiniens sur son territoire.
« Il est tellement important de riposter », a insisté Zaid Abdulnasser. « Nous ne pouvons tolérer que cette cause continue d’être ainsi réduite au silence en Allemagne. »
Auteur : Hebh Jamal
* Hebh Jamal est une journaliste qui vit en Allemagne, et qui écrit principalement sur les inégalités, l'islamophobie et les droits des Palestiniens. Ses articles peuvent être consultés sur 972mag, Mondoweiss, MiddleEastEye, al-Jazeera... Son compte Twitter.
2 octobre 2023 – +972 Magazine – Traduction : Charleroi pour la Palestine