Par Robert Fisk
Et quand il est arrivé en Israël lundi, Trump a été confronté à un nouveau protocole de censure : ne mentionnez pas qui occupait les propriétés de qui en Cisjordanie ou quel pays volait scandaleusement et incessamment des terres – légalement détenues par des Arabes – pour les Juifs et les Juifs seulement. (Réponse : Israël).
Donc bingo, dans la plus grande alliance du Moyen-Orient jamais créée dans l’histoire, les Saoudiens, les autres dictateurs arabes sunnites, le Président américain fêlé et le cynique Premier ministre israélien sont tous d’accord sur l’identité du pays diabolique qu’ils peuvent tous maudire d’une seule voix, qui a inspiré la « terreur mondiale», instigateur de l’instabilité du Moyen-Orient, la plus grande menace pour la paix mondiale : l’Iran chiite.
Donc quelques minutes après l’atterrissage à l’aéroport de Tel-Aviv, dont une partie des pistes se trouve de fait sur des terres possédées légalement par des Arabes palestiniens il y a 60 ans –, les rédacteurs de discours de Trump (parce que Trump ne peut certainement pas écrire ça) ont encore une fois débité leur haine de l’Iran, du « terrorisme » de l’Iran, des complots de l’Iran, du désir continu de l’Iran de construire une bombe nucléaire. Et tout cela alors que l’Iran vient de réélire un Président sain d’esprit qui a de fait signé l’accord nucléaire il y a deux ans, ce qui a considérablement réduit la menace stratégique que représente l’Iran pour Israël, les Arabes et l’Amérique.
« Il ne faut jamais permettre à l’Iran de posséder une arme nucléaire », a déclaré le Commandant en chef des États-Unis. L’Iran « doit cesser son financement, sa formation et son équipement mortels [sic] de terroristes et de milices ». Un martien qui aurait également atterri à Tel-Aviv en même temps conclurait sans doute que l’Iran était le créateur de Daech et qu’Israël était déjà en train de bombarder les cultistes cruels et violents du califat islamique. Et les martiens – sûrement plus intelligents que le Président des États-Unis – seraient donc vraiment abasourdis de découvrir qu’Israël a bombardé les Iraniens et les Syriens et leurs milices, mais n’a jamais bombardé Daech – pas une seule fois.
Pas étonnant que Trump ait essayé de s’en tenir à son script préparé. Sinon, il aurait pu faire quelque chose de sain d’esprit. Comme féliciter le nouveau Président de l’Iran pour sa victoire électorale et pour sa promesse de respecter l’accord nucléaire ; comme exiger la fin de l’occupation israélienne et de la colonisation israélienne des terres arabes ; comme dire aux dictateurs et princes du monde arabe vieux et croulants que la seule façon de se débarrasser – et de débarrasser l’Amérique – de la « terreur » est de traiter leurs peuples avec dignité et de préserver leurs droits de l’homme. Mais non, c’est trop sensible, trop juste et trop moral, et bien trop compliqué, pour un homme qui, depuis longtemps, a perdu pied avec la réalité et est entré dans le monde de Twitter. Et il parlait donc du « deal ultime » entre Israël et les Palestiniens – comme si la paix n’était qu’une marchandise à acheter ou à vendre. Tout comme le marché qu’il venait de conclure en Arabie Saoudite : des armes contre du pétrole et des dollars.
Mais ensuite, assis à côté de Netanyahu, l’homme est sorti du script. Au soulagement de tous, il est revenu sur les horreurs de l’accord nucléaire avec l’Iran, l’accord qui était « incroyable », une chose « terrible » dans laquelle s’étaient fourrés les États-Unis. « Nous leur avons donné une bouée de sauvetage – et nous leur avons également donné la possibilité de continuer la terreur ». La menace de l’Iran, a-t-il dit à Netanyahu, « a forcé les gens [sic] à s’unir d’une manière très positive ».
C’était vraiment « incroyable ». Trump, dans son innocence étrange, croit que le désir du monde musulman sunnite de détruire les l’Iran chiite et ses alliés est la clé de la paix israélo-arabe. Peut-être que c’est ce qu’il voulait dire, s’il voulait dire quoi que ce soit, quand il a déclaré que sa visite marquait « une occasion rare d’apporter la sécurité et la paix à cette région, à son peuple, de vaincre le terrorisme et de créer de l’harmonie et de la paix futures » (ce passage était dans le script, en passant, dans ce qu’il a appelé « cette terre ancienne et sacrée »). Il parlait d’Israël, mais il a utilisé la même phrase pour l’Arabie saoudite et le fera sans aucun doute à propos de la Suisse, du Lesotho, ou, pourquoi pas, de la Corée du Nord si cela lui apportait un quelconque bénéfice. Ou de l’Iran, d’ailleurs.
Qui sait si Trump va pouvoir faire face aux questions de la colonisation juive, du vol de terre et du petit dictateur palestinien lorsqu’il rencontrera Mahmoud Abbas mardi. Ou des droits de l’homme. Ou de la justice. Son discours au musée d’Israël sera phénoménal s’il sort du script. Mais les paris sont fermés sur le contenu : l’unité des Arabes sunnites dans la haine de l’Iran chiite (il laissera gracieusement les termes « sunnites » et « chiites » de côté pour ne pas trahir son jeu), les relations plus étroites entre les dictateurs du Golfe et leurs princes avec Israël-qui-accapare-les-terres, la nécessité pour les Palestiniens de mettre fin à la « terreur » contre leurs occupants (le mot « occupant » doit également être laissé de côté, bien sûr), et l’amour éternel, sans fin et sacré de l’Amérique pour Israël, quoi qu’ils fassent et en toutes circonstances, et quelles que soient les conséquences.
Dimanche, CNN a fait les titres avec le terme de « réinitialisation » avec les Arabes. Lundi, la BBC a titré une « réinitialisation » avec Israël. Ce qu’ils voulaient tous les deux dire, mais n’osaient pas exprimer, est que Trump pense qu’il peut amener les Arabes et Israël à détruire le pouvoir de l’Iran après les horribles années morales d’Obama. Cela signifie « la guerre », de préférence entre musulmans. Le « deal ultime », en effet.
* Robert Fisk est le correspondant du journal The Independent pour le Moyen Orient. Il a écrit de nombreux livres sur cette région dont : La grande guerre pour la civilisation : L’Occident à la conquête du Moyen-Orient.
23 mai 2017 – The Independent – Traduction : Sayed Hassan