Par Abdel Bari Atwan
Les États-Unis regretteront amèrement d’avoir été entraînés dans de multiples guerres au Moyen-Orient pour le compte d’Israël.
Le fait qu’Israël ait réussi à entraîner l’administration Biden dans de multiples guerres en son nom, notamment à Gaza, en Irak et au Yémen, va inévitablement faire saigner les États-Unis politiquement, financièrement et militairement, et éroder non seulement leur position mondiale, mais aussi le leadership du monde occidental dont ils occupent le trône depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le Yémen est le dernier front du Moyen-Orient ouvert directement par les États-Unis pour protéger la navigation israélienne en mer Rouge et en mer d’Oman, où transite la majeure partie du commerce de l’État d’occupation avec l’Asie.
Il s’agit d’une erreur stratégique qui l’a plongé dans un gouffre sans fond. Les Etats-Unis s’attaque à présent à un peuple qui a une réputation largement méritée d’invincibilité et qui a humilié de puissants empires, y compris l’empire britannique, dont les héritiers jouent aujourd’hui les seconds couteaux dans la coalition si mal nommée « Opération Prosperity Guardian » (opération gardienne de la prospérité).
Outre la réouverture de la mer Rouge à la navigation de l’entité sioniste, l’administration Biden vise un certain nombre d’objectifs :
- intimider et déstabiliser le Yémen dirigé par Ansarullah en bloquant le pays et en bombardant ses installations militaires,
- isoler le Yémen en redésignant son gouvernement comme « terroriste »
- empêcher l’expansion de la guerre génocidaire d’Israël contre la bande de Gaza en une guerre régionale via la mer Rouge et le détroit de Bab al-Mandab.
Cette politique est vouée à l’échec et se retourne déjà contre ses auteurs. Elle se heurte à une résistance farouche de la part des Yéménites, qui ont une longue tradition de victoire sur les envahisseurs.
Israël, qui a piégé l’administration américaine, n’oserait pas tirer un seul missile sur le Yémen. Il sait quelles seraient les répercussions. C’est pourquoi il a délégué cette tâche aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, provoquant ainsi l’une des plus grandes fractures au sein du monde occidental depuis des décennies.
Les États-Unis n’ont eu aucun mal à rassembler une coalition de 36 pays pour envahir et occuper l’Irak. Ils ont réussi à recruter 65 États pour renverser le régime du colonel Mouammar Kadhafi en Libye. Elle en a mobilisé plus de 75 (les prétendus « Amis de la Syrie ») et des centaines de milliards de dollars pour attaquer et démembrer la Syrie et renverser son régime.
Mais elle n’a réussi à rallier que dix gouvernements à la cause du contrôle de la mer Rouge, en grande partie des membres de l’anglosphère (Grande-Bretagne, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande) plus deux îlots affublés d’un drapeau (Bahreïn et les Seychelles).
La plupart des pays européens, dont la France, l’Espagne et l’Italie, ont refusé de se joindre à l’opération et ont choisi de ne pas participer à ce pari perdu d’avance.
Les anglo-américains attaquent le Yémen et étendent la guerre à toute la Mer Rouge
Les frappes aériennes sur des cibles militaires au Yémen n’affaibliront pas le mouvement Ansarullah et sa coalition.
Les États-Unis semblent oublier que ce mouvement a été soumis à huit années de bombardements impitoyables – avec le soutien direct des États-Unis et du Royaume-Uni – et qu’il en est sorti non seulement invaincu, mais aussi en tant que puissance régionale naissante.
Le chef spirituel du mouvement, Abdelmalek al-Houthi, a affirmé jeudi que les attaques américaines et britanniques n’affecteraient pas les capacités militaires du Yémen et que les attaques de représailles contre les navires américains et britanniques, ainsi que contre les navires liés à Israël, se poursuivraient tant que l’assaut israélien contre Gaza se poursuivrait.
Des millions de Yéménites sont descendus dans la rue vendredi pour condamner l’agression américaine, soutenir la position du gouvernement, exprimer leur solidarité avec la population de Gaza et rendre hommage aux martyrs yéménites tués lors des attaques américaines en mer et sur terre.
L’administration américaine, aveuglée par ses acolytes sionistes, ne comprend pas le Moyen-Orient, et certainement pas le Yémen et son peuple indomptable.
L’explication du département d’État selon laquelle la désignation « terroriste » d’Ansarullah rendra ses responsables inéligibles aux visas américains est une illustration de cette aveuglement et de cette ignorance.
Je doute qu’Abdelmalek al-Houthi perde le sommeil parce qu’il serait privé de voyages à New York à l’occasion des soldes ou de vacances d’hiver à Miami…
Les États-Unis se sont empêtrés au Yémen et ils le regretteront amèrement.
Auteur : Abdel Bari Atwan
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
20 janvier 2024 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine