Par Emad Moussa
Même avec toute sa puissance militaire, la campagne israélienne visant à « détruire le Hamas » et à vaincre la résistance palestinienne est irréalisable, écrit Emad Moussa.
Au cours des 116 derniers jours, Israël a transformé Gaza en une terre de statistiques terrifiantes, tuant plus de 1 % de la population du territoire, plongeant le reste dans une crise humanitaire sans précédent et rasant le tiers de ses bâtiments.
Néanmoins, les responsables israéliens continuent d’attiser les flammes et menacent de prendre de nouvelles mesures punitives à l’encontre des Palestiniens de Gaza.
Les objectifs déclarés d’Israël sont de détruire le Hamas et de récupérer les prisonniers. Mais malgré l’énorme avantage de puissance d’Israël, l’élimination du Hamas est hautement irréalisable.
Ehud Barak, ancien Premier ministre israélien et général de l’armée israélienne, a mis en garde contre l’incapacité d’Israël à gagner la guerre en misant sur des objectifs politiques non définis. L’ancien chef militaire israélien, Dan Halutz, a exprimé une opinion similaire, suggérant qu’Israël avait déjà perdu la guerre contre le Hamas.
Les responsables israéliens ont admis que leur armée a échoué à atteindre ses objectifs, mais ils ont juré à plusieurs reprises de poursuivre la guerre, en comptant éventuellement sur le temps pour (éventuellement) faire le travail.
Mais la situation sur le terrain correspond-elle à ce postulat ?
Pas tout à fait.
Netanyahou ne laisserait pas passer une occasion de se présenter comme le dirigeant qui « détruira le Hamas », ce qui rappelle presque les vœux d’Olmert contre le Hezbollah en 2006 et ceux de Begin contre l’OLP pendant la guerre du Liban en 1982.
1er février 2024 – Images d’un tir d’un franc-tireur, combattant des Brigades al-Qassam de la résistance palestinienne.
Dans les deux cas, Israël, par sa destruction et sa puissance de feu, a obtenu des victoires tactiques fragiles, mais n’a pas réussi à les transformer en succès stratégiques. L’OLP demeure et le Hezbollah est plus fort que jamais.
Au cours des deux dernières décennies, Israël a assassiné la plupart des chefs de file du Hamas, y compris le chef spirituel du mouvement, le cheikh Ahmed Yassine, en 2004. Il s’en est suivi quatre guerres et plusieurs séries de combats, dont le mouvement de résistance est sorti indemne.
Aujourd’hui, le discours officiel d’Israël est que le Hamas a été considérablement affaibli dans le nord de la bande de Gaza et que la victoire de l’armée dans le sud de la bande de Gaza ne saurait tarder. Au moins cinq commandants du Qassam ont été tués au combat, et des centaines de tunnels auraient été découverts et détruits dans toute la bande de Gaza.
Néanmoins, le Hamas et d’autres groupes de résistance semblent capables d’opérer sans tête, de s’adapter rapidement et de changer de tactique, d’attaquer en petits groupes et d’infliger de lourdes pertes à l’armée israélienne. Ils publient encore des séquences de combat bien montées et des documents de propagande, ce qui suggère qu’ils sont loin d’être effondrés, voire qu’ils contrôlent bien le champ de bataille.
L’Institut pour l’étude de la guerre, basé aux États-Unis, estime que sur les 26 à 30 unités Qassam qui existaient le 7 octobre, seules trois ont été rendues inopérantes. Selon le Wall Street Journal, 80 % du réseau de tunnels du Hamas est resté intact.
Pour « détruire le Hamas », selon la version idéale de Netanyahu, il faut occuper physiquement et contrôler entièrement chaque kilomètre carré de la bande de Gaza, détruire tous les tunnels et systèmes d’armes, et mener des raids maison par maison.
Supposons un instant que cette tâche virtuellement impossible soit accomplie et que les souffrances requises pour y parvenir continuent d’être ignorées et tolérées par la communauté internationale. Que se passera-t-il alors ?
L’un des scénarios possibles est que l’armée israélienne soit confrontée à une rébellion sanglante, pas nécessairement peu de temps après la fin des hostilités principales, mais un jour ou l’autre.
Tout le monde à Gaza est endeuillé, et une rébellion motivée par la vengeance personnelle – en plus du désir collectif d’autodétermination et de liberté – pourrait faire passer la première et la deuxième Intifada pour un pique-nique pour Israël.
Même si Israël met le Hamas hors d’état de nuire, comme Begin l’a fait avec l’OLP au Liban, l’éradication de son infrastructure ne coupera pas ses racines.
Le Hamas est une notion née de décennies d’occupation brutale, d’injustice et de processus politiques stériles, et il est probable qu’il persiste au sein d’une population qui subit encore ces conditions.
Israël a suscité des griefs sans précédent, qui s’ajoutent à des décennies d’occupation, de vol de terres et de colonisation, et a créé une génération de Palestiniens encore plus exaspérés.
Un schéma se dessine. Plus Israël a semé la destruction et la mort à Gaza, et plus le Hamas a persévéré, plus le mouvement est devenu populaire.
Des sondages récents montrent que depuis octobre, la popularité du Hamas en Cisjordanie a connu une hausse significative, en particulier lorsque le mouvement a réussi à libérer des centaines de femmes et d’enfants palestiniens des prisons israéliennes en échange de captifs israéliens en novembre.
1er février 2024, guerre des rues dans Khan Younis – Images de tirs contre des blindés israéliens dans les deux quartiers Tal al-Hawa et Cheikh Radwane..
La popularité croissante du mouvement dans les pays arabes n’est pas moins spectaculaire.
Lier la décapacitation du Hamas à la libération des prisonniers israéliens à Gaza est contradictoire. Les bombardements aveugles d’Israël et les tentatives de sauvetages de son armée se sont révélés désastreux pour les captifs comme pour les troupes israéliennes.
Qu’il l’admette ou non, Israël a besoin d’un Hamas en état de marche pour tout échange de prisonniers. Pour que les négociations aient lieu, le gouvernement israélien devra, au moins implicitement, accepter l’autorité du Hamas, voire ses conditions, qui comprennent un cessez-le-feu et le retrait des troupes de Gaza, suivis de la libération progressive d’Israéliens en échange des milliers de détenus palestiniens.
L’accord semble être le point de vue de plus en plus répandu parmi les personnalités israéliennes, y compris Ehud Olmert, qui a déclaré que la guerre était terminée et qu’il était temps de négocier un accord sur les prisonniers avec le Hamas.
Des milliers de manifestants israéliens dans tout le pays partagent le même point de vue, ce qui accroît la pression sur le gouvernement Netanyahu.
Israël est déjà coincé dans cette situation difficile, de plus en plus qualifiée de « bourbier de Gaza », incapable de porter un coup fatal à la résistance palestinienne ou de justifier ses massacres contre les civils de Gaza au nom de la légitime défense.
Même un échange de prisonniers et un cessez-le-feu négociés diplomatiquement rapporteront plus de points au Hamas qu’à Israël.
Tel-Aviv a déjà perdu en s’engageant dans une campagne de vengeance sanguinaire et de génocide, avec des objectifs vagues et pour la plupart irréalisables. Il a perdu en essayant d’ouvrir la voie vers plus de sécurité en créant des problèmes de sécurité plus graves au lieu de s’attaquer à la cause profonde de l’occupation.
Et elle a perdu sur le plan stratégique en contrariant la majorité de l’opinion publique mondiale, en plaçant une fois de plus le sort des Palestiniens sur la scène internationale et, par là même, en portant un préjudice irréparable à son propre récit et à sa propre réputation.
Auteur : Emad Moussa
* Emad Moussa est un chercheur et écrivain palestino-britannique spécialisé dans la psychologie politique des dynamiques intergroupes et des conflits, qui se concentre sur la région MENA et s'intéresse tout particulièrement à Israël et à la Palestine. Il a une formation en droits de l'homme et en journalisme, et contribue fréquemment à de nombreuses publications universitaires et médiatiques, tout en étant consultant pour un groupe de réflexion basé aux États-Unis.
29 janvier 2024 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Éléa Asselineau