Par Tareq S. Hajjaj
Les Palestiniens de Rafah redoutent l’invasion imminente d’Israël, mais nous ne pouvons rien faire pour assurer notre sécurité. Si l’armée nous encercle, nous n’aurons nulle part où aller. Nous serons obligés d’endurer le feu et de regarder la mort en face.
Où que l’on aille à Rafah, il y a une terrible surpopulation. La misère et l’épuisement sont ce qui revient le plus courant ici, dans la ville la plus au sud de la bande de Gaza. S’y mêlent l’amertume face au manque de produits de première nécessité et le silence du monde.
En passant à travers la foule, il est facile d’entendre les conversations des gens, et leurs craintes et préoccupations reflètent toutes la même peur : l’invasion imminente de Rafah par Israël.
« Où irons-nous ? » Cette question est la plus fréquente, alors que l’on espérait un cessez-le-feu après la réponse positive du Hamas à la proposition de cessez-le-feu de Paris.
Ces espoirs ont été anéantis lorsque Benjamin Netanyahu a décidé de poursuivre la guerre « jusqu’au bout », et il semble que le monde continue de permettre à Israël de poursuivre sa guerre génocidaire.
La plupart des 1,5 million de Palestiniens qui se trouvent aujourd’hui à Rafah sont venus d’un autre endroit de la bande de Gaza.
La plupart d’entre eux ont vu ce qui se passe lors d’une invasion terrestre israélienne. Ils peuvent déjà voir le schéma se répéter au cours des quatre derniers jours à Rafah.
Le premier signe de l’invasion imminente s’est manifesté par les dizaines de frappes aériennes qui ont ravagé la ville, entraînant la mort de centaines de personnes au cours des derniers jours, dont de nombreux enfants.
Mais si les événements se poursuivent cette fois-ci sur le même modèle que lors des précédentes invasions terrestres du nord et du centre de Gaza, l’ampleur de la mort humaine à Rafah fera pâlir les mois d’extermination précédents.
Ibrahim Barda’, père de six enfants, a fui la ville de Gaza avec sa famille et s’est réfugié à l’hôpital européen, entre Khan Younis et Rafah.
À l’entrée de sa tente, lui et sa femme tentent d’allumer un feu pour préparer un repas pour leurs enfants. L’hôpital européen est le seul hôpital de Khan Younis qui n’a pas encore été envahi par les forces israéliennes.
On s’attend à ce qu’il finisse lui aussi par être investi et vidé de ses patients, de ses réfugiés et de son personnel médical.
Barda’, comme les milliers d’autres réfugiés qui occupent une mer de tentes à proximité de l’hôpital, s’attend à ce que l’hôpital soit envahi dans les prochains jours. Il se trouvait à l’hôpital Al-Shifa’ lorsqu’il a été envahi par les forces israéliennes.
« J’ai passé toute la guerre à me déplacer d’un endroit à l’autre », explique-t-il à Mondoweiss. « J’ai monté ma tente pour la démonter peu de temps après, laissant mes enfants dans le froid jusqu’à ce que nous puissions trouver un nouvel endroit où nous abriter ».
Barda’ était l’un des travailleurs palestiniens de Gaza qui avaient un permis de travail en Israël avant la guerre. « Je n’ai été ni condamné ni soupçonné de quoi que ce soit. J’ai obéi à tous les ordres de l’armée israélienne et nous nous rendions toujours dans la dernière ‘zone de sécurité’ désignée par l’armée », poursuit-il.
« Et maintenant, nous sommes à la limite de Rafah, et si l’armée nous ordonne d’aller au sud de Rafah, puis nous envahit, je ne sais pas où nous pourrons aller ensuite. »
« Il n’y a plus d’endroit où aller à Gaza. La seule option que nous ayons est de continuer à être entourés par la mort », ajoute-t-il.
Barda’ est entouré par les tirs et les combats. D’un côté, des batailles féroces se déroulent sur le terrain. De l’autre, des frappes aériennes continuent de raser des quartiers, l’armée israélienne menaçant de faire à Rafah ce qu’elle a fait à toutes les autres villes qu’elle a envahies.
Les personnes qui suivent l’actualité continuent de s’accrocher à l’espoir, à la recherche de toute nouvelle qui pourrait indiquer la possibilité de retourner dans leurs maisons.
Mais les déclarations de l’armée sont claires, et les indications sur le terrain le sont encore plus. Tous disent que lorsque l’armée en aura fini avec Khan Younis, elle se dirigera vers Rafah.
Il sera beaucoup plus facile pour l’armée d’encercler Rafah de tous les côtés que cela ne l’a été pour les autres villes de Gaza.
Au nord, Rafah borde Khan Younis, où l’armée d’occupation continue d’opérer. À l’est, elle est bordée par la barrière israélienne ; à l’ouest, elle est bordée par la mer, au-delà de laquelle les navires de guerre israéliens attendent ; et au sud, le seul côté qui ne borde pas une zone contrôlée par Israël, elle est bordée par l’Égypte.
C’est sur ce dernier côté que se trouve le « corridor de Philadelphie, » qui fait l’objet des desseins d’Israël.
Dans le « corridor de Philadelphie », une bande de terre de 14 kilomètres le long de la frontière entre Gaza et l’Égypte, des milliers de personnes ont installé leurs tentes, ce qui signifie qu’une invasion pourrait entraîner la mort d’un grand nombre de ces réfugiés.
La mer de tentes est directement sous les yeux des tours de garde égyptiennes. Les personnes qui patrouillent le long de la barrière frontalière demandent parfois aux gardes égyptiens de leur donner des produits simples, comme des cigarettes.
Certaines personnes rapportent que des officiers leur ont parfois lancé des câbles de rallonge pour leur fournir de l’électricité.
Dans la nuit de lundi à mardi, Rafah a connu l’une de ses escalades les plus intenses, ponctuée par de violentes frappes aériennes qui ont secoué toute la ville, déchirant des immeubles d’habitation et de la chair humaine.
Les premiers rapports des journalistes locaux estiment qu’au moins 300 personnes sont tombées en martyrs au cours des seuls raids de cette nuit-là (150 ont été retrouvées à ce jour, tandis que 150 autres sont toujours portées disparues sous les décombres).
Israël a détruit 16 maisons et trois mosquées au cours du même laps de temps.
Déjà, les gens commencent à fuir vers le nord, vers les parties centrales de Gaza, comme le camp de réfugiés de Nuseirat ou la ville de Deir al-Balah, estimant que si l’armée envahit Rafah, le danger est le même partout dans Gaza et que l’illusion d’une ‘zone de sécurité’ est définitivement tombée.
Mieux vaut donc retourner dans ce qui subsiste de ce qui était nos maisons et y mourir.
Azmi Abu Shirbi, qui a installé sa tente près de la frontière égyptienne, dit qu’il n’a pas d’autre choix que de rester là où il est.
Abu Shirbi, 56 ans, est responsable d’une famille de neuf personnes, dont certains de ses fils et filles et leurs enfants, ce qui signifie que le nombre total de personnes entassées dans une seule tente est de 20.
« J’ai été déplacé d’un endroit à l’autre tout au long de cette guerre », explique-t-il à Mondoweiss. « De Gaza à Nuseirat, de Nuseirat à Khan Younis, et de Khan Younis à Rafah. »
« Je suis venu ici parce que j’ai le sentiment qu’en fin de compte, nous serons expulsés en dehors de la bande de Gaza », poursuit-il sombrement. « Je suis ici au point de fuite le plus proche des tirs et des frappes aériennes israéliens. Si nous voyons ou entendons qu’une invasion terrestre de Rafah a commencé, je prendrai ma famille et me dirigerai vers la barrière égyptienne. C’est mon seul choix ».
Il se déplace souvent le long de la clôture et demande aux soldats égyptiens de l’autre côté : « Que se passera-t-il si nous franchissons la clôture ? Allez-vous ouvrir le feu sur nous ? Les soldats ne donnent pas de réponse satisfaisante, ils lui rient au nez et se taisent. »
Il continue de penser que c’est la seule solution : franchir la clôture égyptienne et pénétrer dans le Sinaï.
Il n’est pas le seul à envisager cette possibilité. En marchant dans Rafah, c’est un sujet de conversation courant, et beaucoup de gens disent qu’ils ne permettront pas qu’il leur arrive ce qui est arrivé à ceux qui sont restés dans la ville de Gaza.
Pendant ce temps, la situation se détériore à Rafah, les frappes aériennes s’intensifient et des dizaines de martyrs émergent des décombres, les membres sectionnés et les torses écrasé.
Les bombardements aveugles commencent généralement au milieu de la nuit, lorsque tout le monde dort et qu’il est plus difficile de saisir ce qui se passe et de le comprendre, et se poursuivent jusqu’à l’aube.
L’armée d’occupation passe ensuite à des frappes aériennes ciblées (sur des personnes et des bâtiments) pendant le reste de la journée. Mais les bombes ne cessent de tomber d’une manière ou d’une autre tout au long de la journée.
Les choix auxquels sont confrontés les habitants de Rafah ne feront pas la différence entre sauver leur vie ou non. Si l’armée les encercle, ils n’auront nulle part où aller. Ils seront obligés de rester assis et d’endurer le feu et de regarder la mort en face.
Auteur : Tareq S. Hajjaj
* Tareq S. Hajjaj est un auteur et un membre de l'Union des écrivains palestiniens. Il a étudié la littérature anglaise à l'université Al-Azhar de Gaza. Il a débuté sa carrière dans le journalisme en 2015 en travaillant comme journaliste/traducteur au journal local Donia al-Watan, puis en écrivant en arabe et en anglais pour des organes internationaux tels que Elbadi, MEE et Al Monitor. Aujourd'hui, il écrit pour We Are Not Numbers et Mondoweiss.Son compte Twitter.
13 février 2024 – Mondoweiss – Traduction : Chronique de Palestine