“La police française tuent nos frères, Adama n’avait même pas faire quelque chose de mal. Il a été tué aux mains de ceux qui étaient censés le protéger”, a déclaré un manifestant.
Le jeune franco-malien, âgé de 24 ans, est décédé le 19 juillet peu de temps après son arrestation à Beaumont-sur-Oise, une banlieue au bord de Paris. Il avait été placé en détention après avoir prétendument voulu interférer dans l’arrestation de son frère qui était recherché dans le cadre d’une affaire d’extorsion.
Les détails de sa mort sont troubles. La famille de Traoré dit qu’il est entré dans le fourgon de police en vie, seulement pour être retrouvé mort dans les locaux de la police peu après. Le procureur français Yves Jannier, a déclaré que Traoré s’était “évanoui pendant le trajet” vers la station de police et, bien que les ambulanciers aient été appelés immédiatement, ils ont été incapables de le ranimer.
Initialement, la police a affirmé qu’il était mort d’une défaillance cardiaque. Plus tard, Jannier a déclaré que la mort de Traoré a été causée par une infection grave qui a “touché plusieurs organes».
Tué par étouffement
Mais une autopsie a indiqué que la cause du décès était l’asphyxie.
Selon les documents de la police, trois agents de police ont admis avoir «jeté tout leur poids sur lui.” Cela signifie que Traoré avait “soutenu le poids de trois corps au moment de l’arrestation», selon les rapports. Il n’y a eu aucune confirmation de la part des experts pour savoir si cela a causé l’asphyxie et la mort du jeune homme, mais les manifestants à Paris pointent du doigt la police.
“La police a tué Adama. Nous sommes confrontés à un nouveau cas d’injustice et ce n’est pas la première fois que cela arrive. Nous voulons que cela cesse. Nous avons besoin de justice,” nous dit Curtis, un jeune homme noir de la banlieue qui participe à la manifestation à la Gare du Nord.
Après des semaines de protestations et de demandes pour une enquête plus approfondie, la famille Traoré s’est rendue à Bamako au Mali, pour enterrer Adama dans sa ville natale près de la tombe de son père.
Les nouvelles de la mort de Traoré ont provoqué la colère et le désespoir dans les banlieues. Des jours d’émeutes ont suivi et en juillet, certains membres de la communauté locale se sont affrontés avec la police, mettant le feu à des voitures et des bâtiments.
Black Lives Matter en France
Dans les semaines depuis la mort de Traore la capitale française a assisté à une série de manifestations avec des cris passionnés de “Black Lives Matter” [BLM], un slogan inventé par les manifestants aux États-Unis en réponse à des meurtres d’Afro-Américains par la police.
Les hashtags #BLMFrance et #Justicepouradama se sont répandus sur Twitter à travers le pays.
Yasser Louati, un militant de Paris pour les libertés civiles et les droits humains, affirme que ce cas particulier a fortement choqué beaucoup de gens et les a poussés à demander justice. Des années de mauvais traitements et de brutalité par la police, qu’il décrit comme une “force d’occupation” , ont mené conduit à ce qui est est une véritable crise.
«Si les gens manifestent aujourd’hui, c’est parce que le ressentiment est très, très profond. Regardez comment les gens ne font pas confiance la déclaration initiale de la police, ni à la seconde. Ils ne se font pas confiance à la police”, nous a déclaré Louati.
Les manifestations en France surviennent alors que le mouvement Black Lives Matter prend une dimension internationale. Des manifestations ont récemment eu lieu au Royaume-Uni, au Canada et en Allemagne, avec les communautés minoritaires exprimant toutes des préoccupations similaires sur le traitement des personnes de couleur.
Franco Lollia est un militant de la Brigade Anti-négrophobie, un groupe formé pour lutter contre le racisme anti-noir en France. Il a dirigé quelques-unes des manifestations aux côtés de la famille Traoré et il est persuadé qu’il y a un lien entre la campagne BLM aux États-Unis et les récentes manifestations à Paris, parlant d’un «effet papillon».
Mais cataloguer ce mouvement comme une simple copie du mouvement américain reviendrait à ignorer les facteurs uniques qui peuvent provoquer de telles tensions en France. Lollia explique que, contrairement aux États-Unis, le mouvement BLM en France est spécifiquement lié à l’histoire du colonialisme dans ce pays.
“Vous ne pouvez comprendre la relation entre les minorités et le pouvoir qu’à travers le prisme du colonialisme. Tout est vu par ce biais, par exemple, le profilage racial est un héritage du passé colonial de la France. Ce que nous voyons ici aujourd’hui peut être décrit comme du colonialisme interne au sein même des frontières françaises”, dit Lollia.
Le traitement des minorités
En France, une personne d’origine africaine ou des Caraïbes est six fois plus susceptible d’être stoppée par la police qu’une personne blanche. Pour une personne d’origine arabe, c’est huit fois plus.
Curtis, le jeune manifestant, a expliqué ce que signifient ces statistiques pour une minorité vivant dans les banlieues : “Les niveaux d’interpellations et de fouilles envers les Noirs et les Arabes sont élevés. Dès qu’ils voient que vous êtes d’une minorité, ils vous ciblent. Il en va de même pour nous tous dans les banlieues, avec le profilage racial et l’intimidation par la police. Chaque jour, nous vivons avec ça.”
En 2012, Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport qui démontre que la police s’est rendue coupable d’abus de pouvoir en menant ce que l’organisation a décrit comme des «contrôles d’identité injustifiés et abusifs sur les jeunes hommes et les garçons noirs et arabes”. Des enfants aussi jeunes que de l’âge de 13 ans ont été soumis trop fréquemment à des interpellations et des fouilles, le tout sans ménagement.
HRW a présenté des preuves établissant que la police en France utilise le profilage ethnique au moment de décider qui arrêter, plutôt que sur un soupçon raisonnable d’actes répréhensibles.
L’utilisation d’un langage insultant, dont des insultes racistes, ne sont pas rares, et des interpellations ont impliqué usage excessif de la force par la police, selon le rapport. Ces interpellations ne sont pas systématiquement enregistrées par la police, d’où le manque de transparence et l’extrême difficulté d’évaluer l’efficacité ou la légalité de tels incidents.
Al Jazeera a tenté à plusieurs reprises d’obtenir les commentaires des représentants de la police sur la situation ici décrite, mais sans avoir jusqu’ici de réponse.
Un cri de ralliement
Les récentes émeutes qui ont suivi la mort de Traoré ne constituent pas la première fois que la capitale française assiste à une telle agitation dans les quartiers périphériques – connus ici sous le nom de «banlieues». En 2005, l’état d’urgence avait été décrété après des semaines d’émeutes qui avaient suivi la mort de deux adolescents, Bouna Traoré et Zyed Benna.
Les deux jeunes garçons étaient morts électrocutés en se cachant de la police à l’intérieur d’un poste électrique dans la banlieue parisienne de Clichy-Sous-Bois. Une enquête indépendante a établi après leur mort que les deux amis étaient tout à fait innocents. Yassir Loutani estime que leur cas est un exemple de la peur que certains jeunes éprouvent à l’égard de la police.
“Ils ont fui la police et sont morts, mais personne ne se demandaient pourquoi les jeunes s’étaient enfuis, même s’ils ne faisaient rien de mal. Il y a un sentiment que si les policiers vous attrapent, ils peuvent vous battre, vous laisser pour mort et que rien ne leur arrivera », dit Loutani.
Après une décennie de batailles juridiques menées par les familles de Zyed et Bouna, un tribunal français a absous deux policiers de ne pas avoir porté assistance aux adolescents – le juge rejetant l’idée d’obligation par défaut pour quiconque de porter secours. Personne n’a été tenu responsable, ce qui a laissé ce que les manifestants décrivent comme «une blessure profonde dans l’esprit des gens” issus de minorités en France.
Mais cette méfiance est pas la seule raison pour laquelle certains éprouvent une telle aliénation dans la société française. Beaucoup ont considéré les troubles qui ont suivi la mort de Traoré et Benna comme une réaction aux années de marginalisation vécues par certaines des communautés les plus pauvres du pays.
Les banlieues abritent un grand nombre de minorités en France. Ces quartiers périphériques sont une mer de bâtiments de grande hauteur, englouti dans les inégalités et où les pauvres sont logés.
Actuellement le chômage des jeunes en France se situe à environ 23%, mais Yasser Loutani dit que dans les banlieues, le chiffre est beaucoup plus élevé et avoisine les 40%.
Frustration et ressentiment
Les organisateurs des manifestations BLM sont persuadés que c’est cette inégalité qui conduit à un tel sentiment de frustration et à un tel ressentiment.
En 2015, le président François Hollande avait promis de mettre fin à l’inégalité qui existe dans les banlieues, alors que le Premier ministre Manuel Valls décrivait la fracture raciale en France comme «territoriale, sociale et de l’apartheid ethnique».
Mais beaucoup des jeunes qui participent aux manifestations BLM et vivent actuellement dans les banlieues, ont le sentiment que le gouvernement actuel n’a pas suffisaient agi pour améliorer la situation, et que rien n’a changé au cours de la dernière décennie.
Yassin et Mohammed, deux adolescents d’une banlieue au nord de Paris, ont expliqué comment ils se sentaient “mis de côté”.
«Nous sommes à l’écart des opportunités, et il n’y a pas de seconde chance même avec l’éducation parce que la France est tout simplement trop élitiste. Rien n’a changé depuis 2005. En fait, les choses sont encore pires,” disent-ils.
Il y a un sentiment parmi les manifestants BLM en France qu’attendre de la police qu’elle rétablisse un rapport de confiance avec les communautés minoritaires ne suffira pas à empêcher une spirale d’événements hors de tout contrôle, conduisant à de nouvelles émeutes et nouveaux troubles dans les banlieues.
Un niveau plus élevé de transparence et de responsabilité sur la façon dont ces minorités sont gouvernées ne se fera pas, à moins que les gens ne l’exigent.
L’accès à l’éducation et à l’emploi pour les jeunes dans les banlieues est le seul moyen de combler le fossé de l’inégalité et de contribuer à intégrer les communautés minoritaires, disent les manifestants.
Ils soutiennent que beaucoup peut être acquis à partir de l’unité, et que se joindre à un mouvement international – dans ce qui peut être considéré comme une expérience partagée du traitement des minorités dans les sociétés occidentales – ne pourra que renforcer leur lutte.
2 août 2016 – Al-Jazeera – Traduction : Lotfallah