Par Miko Peled
Il est devenu normal de voir des Palestiniens se faire assassiner, même des enfants. Les visages de jeunes Palestiniens apparaissent quotidiennement sur les réseaux sociaux, ceux de garçons et filles, sur lesquelles des soldats ont tiré, faussement accusés d’avoir tenté de poignarder un soldat.
Il est devenu normal de voir des soldats israéliens lancer de l’eau puante et des gaz lacrymogènes, des tireurs d’élite tirer à balles réelles sur des manifestants non armés qui réclament la terre qui fut la leur et la liberté qu’ils n’ont jamais eue.
Et il est devenu normal pour nous de prendre part au débat stérile et sans fin sur la question de savoir si c’est de la violence quand des Palestiniens lancent des pierres sur les soldats israéliens armés qui envahissent leur maison, ou si le sionisme – qui a produit cette violence – est une idéologie raciste. Et pendant tout ce temps la souffrance et l’oppression de millions de Palestiniens se poursuivent quasiment sans répit.
Ce n’est un secret pour personne que les Israéliens et les Palestiniens vivent deux réalités différentes.
Même lorsque nous, Israéliens privilégiés, allons au village de Nabi Saleh le vendredi pour participer à la manifestation hebdomadaire, à la fin de la journée nous sommes libres de quitter le village, de quitter l’occupation et de retourner dans notre sphère propre, sécurisée et bien pavée. Contrairement aux Palestiniens que nous laissons derrière nous notre maison ne sera pas prise d’assaut, nos routes ne seront pas barrées et nos enfants ne devront pas se cacher pendant des jours voire des semaines de peur de se prendre une balle, d’être arrêtés et torturés.
Nous rentrons chez nous en sueur et fatigués, couverts de gaz lacrymogène et d’eau puante, et nous avons le sentiment d’avoir fait notre part. Mais qu’avons-nous fait ? Quel est le rôle des militants israéliens privilégiés dans la résistance et pourquoi accomplissons-nous si peu de choses ?
Premièrement il nous faut reconnaître qu’il est question de résistance et nous demander si nous sommes prêts à y prendre part.
Un vendredi ordinaire il peut y avoir environ une dizaine de manifestants israéliens, que ce soit à Nabi Saleh ou Bilin, actuellement les deux principaux lieux de manifestation du vendredi en Cisjordanie occupée. Certains Israéliens marchent à l’arrière d’autres devant.
Rien de plus que des ombres ?
Certains aiment dire qu’ils ne font que collecter des infos/preuves. La plupart, tels des ombres, ne semblent pas savoir où est leur place et ne veulent pas intervenir. Peu affrontent les forces israéliennes. Donc la question qui se pose est celle-ci, qu’accomplissons-nous?
Si nous n’utilisons pas notre privilège pour pousser le bouchon et affronter les autorités israéliennes, alors nous ne sommes rien de plus que des ombres.
La dernière fois que je me suis rendu à Nabi Saleh c’était le 26 mai, exactement deux semaines après que Saba Abu Ubaid, 23 ans, y a été tué par les forces israéliennes au cours d’une manifestation.
La manifestation du 26 a démarré, comme toujours, avec des gens qui descendent la colline venant de la mosquée après la prière de midi, portant des drapeaux et scandant des slogans. Il y avait environ 30 à 40 personnes (bien que dans les accusations qui allaient être portées contre moi , la police israélienne prétendit qu’il y avait 200 manifestants), principalement des Palestiniens et quelques habitués israéliens et des étrangers.
Quelques minutes plus tard, nous étions face aux forces israéliennes qui nous ont donné l’ordre de nous disperser.
Par où commencer pour décrire ces actes scandaleux ? Des soldats armés jusqu’aux dents en terre occupée disant aux gens dont ils ont envahi le village qu’ils doivent se disperser. Mais en Palestine, ceci est normal donc il y a peu d’indignation.
« Tirez leur dans les jambes »
Puis, les brutalités habituelles ont commencé, suivies de tirs de gaz lacrymogène, d’eau puante, et assez rapidement de balles réelles. Etant donné ce qui s’était passé, pas plus tard que deux semaines auparavant, la vue des tireurs d’élite se mettant en position et mettant en joue les gamins sur les collines suscita de graves inquiétudes. J’entendis quelqu’un que son badge identifiait comme Raja Keyes donner l’ordre aux tireurs d’élite de« tirez leur dans les jambes. »
Les habitants de Nabi Saleh se sont alors assis devant les tireurs d’élite pour leur bloquer la vue. Puis ce fut plus de gaz lacrymogènes, plus d’eau puante et plus de tireurs d’élite.
Keyes était à côté de moi quand il se dirigea vers un groupe de femmes et d’enfants qui regardaient les événements du bord de la route et, avec le sourire aux lèvres, leur lança une grenade lacrymogène. L’une des mères remonta un dénivelé en courant pour interférer avec les tireurs d’élite et fut bousculée par les soldats. Je me précipitai dans sa direction, contournai un jeune soldat qui essayait de m’arrêter et lorsque j’arrivai à sa hauteur ils sont venus m’attraper.
Quatre ou cinq agents, dont Keyes m’agrippaient fortement. Les agents appartenaient au Magav – bien que souvent décrit comme « police des frontières, » Magav est une unité de l’armée israélienne.
Dès lors, les agents avaient de bonnes raisons de ne pas apprécier ma présence et voulaient me faire dégager.
Les photos et vidéos de mon arrestation se sont retrouvées sur les réseaux sociaux, il suffit donc de dire qu’ils ne se sont pas montrés tendres et je ne me suis pas laisser faire. (On peut voir mon arrestation à environ 12 :10 de la vidéo des évènements de la journée ci-dessous, réalisée par le militant palestinien Bilal Tamimi.)
Après mon arrestation, Keyes s’est présenté à moi officiellement en tant que « commandant militaire » et m’a demandé ma pièce d’identité, que je n’avais pas sur moi.
Plus tard, lorsque j’ai été emmené dans le véhicule blindé, il était assis à l’avant et je lui ai dit qu’il usurpait le titre de «commandant» et qu’il ne dirigeait pas une « unité militaire » mais plutôt un gang de brutes armées.
Mais il ne s’agit pas de moi, ni de quelque militant individuel. Il s’agit du rôle que nous Israéliens pouvons jouer, qui est unique parce que la loi israélienne nous apporte une protection dont ne jouissent pas les Palestiniens et les militants internationaux.
Notre rôle n’est pas de jouer aux spectateurs objectifs ou de documenter les évènements, ni de faire du suivisme. Nous pouvons nous opposer aux commandants et aux soldats et perturber leur travail. De fait, l’un des commentaires que font les commandants en permanence c’est que nous « perturbons leur travail, et serons arrêtés en conséquence. »
Ma réponse est que c’est précisément l’objectif ! Pourquoi venir manifester si nous les laissons faire ? Quand nous nous faisons arrêter nous sommes toujours accusés d’entrave à agents en service, même lorsque ce n’est pas le cas, mais c’est exactement ce que nous devons faire.
Sur la voie rapide 443 – parfois connue sous de nom de « voie de l’apartheid » – il y a un panneau en hébreu qui dit : « Par ordre du Général en chef, il est interdit aux Israéliens de pénétrer dans les villages se trouvant le long de cette route. » Quand des militants se rendent dans ces villages, ils contreviennent à cet ordre. Néanmoins, la protection que notre identité israélienne nous apporte peut être utilisée pour perturber le cours normal de l’occupation partout.
Les Israéliens, même ceux qui sont dévoués, bien intentionnés, en font bien trop peu et nous n’utilisons que trop peu notre privilège pour dénoncer et combattre l’injustice infligée aux Palestiniens. La plupart des militants Israéliens ne veulent même pas appeler au refus de servir dans l’armée israélienne parce qu’ils considèrent que c’est trop radical.
Personne n’aime être arrêté , surtout lorsque cela veut dire passer une nuit ou deux en prison, partager une pièce enfumée sans ventilation avec pour seule compagnie celle de cafards et de criminels à deux balles qui détestent les militants encore plus qu’ils ne détestent les Arabes.
S’il nous appartient de contribuer à renverser l’injustice, et si nous voulons un jour voir la fin de l’oppression de plus de la moitié de ceux avec qui nous vivons, alors nous devons utiliser notre privilège et agir afin de mettre un terme à la normalité et à l’oppression.
Auteur : Miko Peled
* Miko Peled est un auteur et un militant des droits de l'homme né à Jérusalem. Il est l'auteur de “The General’s Son. Journey of an Israeli in Palestine” et “Injustice, the Story of the Holy Land Foundation Five". Son compte Twitter.
12 juin 2017 – The electronicintifada – Traduction: Chronique de Palestine – MJB