Par Nada Almadhoun
Un médecin bénévole à Gaza doit faire face aux traumatismes de ses patients en plus des siens.
Bande de Gaza – Le 1er janvier 2024, alors que le monde entier fêtait le Nouvel An, les habitants de Gaza remerciaient Dieu d’être encore en vie après 88 jours d’attaques incessantes et de massacres dévastateurs.
C’est la sixième ou la septième agression israélienne que je subis depuis que je suis née. Il y en a eu tellement que j’ai cessé de les compter. Mais cette dernière est particulière. C’est l’attaque la plus féroce à laquelle j’ai survécu jusqu’à présent et j’espère continuer à y survivre.
Au cours de la deuxième semaine de l’attaque, j’ai dû quitter ma maison et depuis je ne l’ai pas revue. Je ne sais pas si elle a été détruite ou non, parce qu’on n’a aucune information sur mon ancien quartier actuellement occupé par les forces israéliennes.
La presse n’est pas autorisée à pénétrer dans les zones envahies par les chars israéliens, et elle ne bénéficierait d’aucune sécurité si elle s’y aventurait. J’ai enfin compris la signification du vieil adage « Home Sweet Home ».
Deux semaines plus tard, comme je suis en dernière année de médecine, j’ai commencé à travailler bénévolement comme médecin au complexe médical Nasser. J’ai vu des centaines de personnes traumatisées. un jour, je suis tombée sur une ancienne camarade de classe blessée, Lina. Sa maison avait été écrasée avec toute la famille à l’intérieur.
Elle a été admise à l’hôpital Al-Shifa de Gaza pour des blessures multiples, notamment une perte de mémoire qui a duré deux semaines. Sa colonne vertébrale a été touchée, entre autres blessures, ce qui rend sa marche difficile.
Une des patientes dont je me suis occupée, Reema, n’avait que 10 ans. C’est le feu qui a privé cette innocente de son enfance. Elle se trouvait dans sa maison et dormait tranquillement. Soudain, elle s’est retrouvée au milieu des flammes déclenchées par une bombe tombée sur la maison voisine.
La première fois que je l’ai vue, j’ai été effrayée par la chair brûlée et les lésions sanglantes de son corps. Chaque fois que je la vois, elle me pose la même question : « Quand mon visage sera-t-il à nouveau normal ? » C’est une question à laquelle je n’ai pas de réponse.
J’aimerais pouvoir lui offrir une meilleure image de l’avenir, mais le miroir refuse de coopérer. À chaque visite, c’est la même danse d’espoir et d’horrible vérité.
J’ai également eu affaire à Emad, un homme marié d’une trentaine d’années. Il était le père aimant de deux innocentes. Autrefois géant de la construction, il était désormais enfermé dans les murs blancs et stériles de l’hôpital.
Sa maison, bombardée, s’est effondrée sur lui. Cela a laissé des stigmates non seulement sur son corps – une symphonie d’os cassés et de rêves brisés – mais aussi sur son esprit.
Par un cruel coup du sort, l’hémiparalysie (faiblesse musculaire unilatérale), a enchaîné cet homme puissant à un fauteuil roulant, anéantissant les rires jadis éclatants qui emplissaient sa maison. Son esprit, un champ de bataille permanent, luttait entre son amour farouche pour sa famille et la peur étouffante de l’avenir.
Lui, le pourvoyeur, le roc, allait-il devenir un fardeau ?
L’attaque m’a appris ce que cela signifie de devoir soudain dire adieu à ses proches. Pendant les bombardements, ma famille et moi avons déménagé avec mon oncle dans un appartement qui était censé être sûr. Mon oncle avait une fille, Tala. Nous jouions aux cartes tous les jours pendant les assauts pour évacuer le stress.
Un jour, j’ai dit à Tala qu’après l’agression israélienne, elle me manquerait, puisque nous ne vivrions plus ensemble. Un mois plus tard, Tala, empoisonnée au phosphore par l’armée israélienne, a été admise en soins intensifs. Tala est décédée maintenant. Je n’y étais pas préparé et elle me manquera à jamais.
L’agression israélienne en cours est dévastatrice et elle a eu un impact sur tous les aspects importants de ma vie. Ma maison me manque et j’ai hâte de la revoir. Mon université a été détruite par les bombes israéliennes.
Mes espoirs ont été réduits à néant, car j’étais censée obtenir mon diplôme cette année pour devenir officiellement médecin. Mes collègues et moi-même, nous nous préparions à recevoir notre diplôme, mais Israël a rendu la chose impossible. J’ai perdu des membres de ma famille que j’aimais beaucoup.
Aujourd’hui, je n’ai plus qu’un rêve : mettre fin à ces massacres et faire en sorte que les Palestiniens puissent enfin vivre sans craindre les bombardements quotidiens.
Auteur : Nada Almadhoun
* Nada Almadhoun est une étudiante en sixième année de médecine originaire de Gaza. Elle est également artiste contemporaine et lectrice. Plus important encore, elle est une rêveuse qui croit au pouvoir des mots et au fait que tout le monde a une histoire qui mérite d'être racontée. Elle est fière de faire partie de cette communauté d' « artistes des mots » qui permet aux gens de partager des histoires qui, autrement, resteraient cachées.
12 mars 2024 – We Are Not Numbers – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet