Par Osama Bin Javaid
Abu Ala al-Walai, chef du groupe armé irakien KSS, assure à notre correspondant que la Résistance islamique l’emportera.
Ce n’est pas tous les jours que l’on vous dit de vous dépêcher de rentrer dans une cour intérieure parce que quatre drones surveillent l’endroit où vous vous trouvez – probablement des drones américains armés. Il ne faut qu’une fraction de seconde pour assimiler l’information, actionner le levier de vitesse et passer le portail.
Nous contournons la pelouse et arrivons devant une bâtisse tout à fait ordinaire. On nous dit de nous garer à l’ombre, sans doute pour échapper à la vue des robots tueurs qui nous observent.
Nous sommes le 18 avril, la veille du jour où Israël a lancé plusieurs drones sur l’Iran, après que l’Iran a lui-même lancé un barrage de drones et de missiles sur Israël le 13 avril, en réponse à l’attaque israélienne contre le consulat iranien de Damas, qui a tué 16 personnes, dont deux généraux de haut rang.
Nous nous trouvons à Bagdad, sur la rive du Tigre, dans un endroit situé, peut-être intentionnellement, en face du complexe tentaculaire de l’ambassade des États-Unis. Pour les acteurs non étatiques irakiens, l’occupation américaine ne prendra fin que lorsque toutes les troupes américaines auront quitté le pays.
À l’intérieur de la maison se trouve l’homme que je suis venu rencontrer et qui a été qualifié de terroriste par le gouvernement américain. C’est la planque où Abu Ala al-Walai – le secrétaire général du groupe armé irakien Kata’ib Sayyid al-Shuhada (KSS), soutenu par l’Iran – nous attend.
Nous pénétrons dans un couloir bordé d’hommes équipés de pistolets dans des étuis, un aide nous accueille chaleureusement comme c’est la tradition en Irak, et nous nous mettons d’accord sur la forme de l’entretien.
Pour comprendre toutes les facettes d’une situation, il est nécessaire de recueillir le point de vue de tous les camps. Cela signifie souvent qu’il faut parler à des personnes que l’un ou l’autre camp considère comme des « terroristes ».
Notre métier de journalistes nous offre des occasions exceptionnelles de rencontrer toutes sortes de personnes et d’avoir un aperçu de leur manière de penser, y compris celles à qui il peut sembler effrayant de parler en raison de la violence de leurs actions et de l’étiquette de « terroriste » qui en fait des parias.
J’ai interviewé des membres de groupes armés irakiens, syriens et afghans, ainsi que divers autres acteurs non étatiques. Mais les soldats américains, britanniques, italiens ou autres que nous interviewons sont eux aussi fréquemment qualifiées de « terroristes » par leurs adversaires.
Chaque camp a toujours une liste de bonnes raisons pour qualifier « l’autre » de terroriste.
C’est nous qui porterons le coup de grâce
On sait qu’Abu Ala al-Walai évite les apparitions publiques, en particulier depuis six mois. Son groupe, KSS, a lancé des attaques contre des intérêts américains liés à Israël en Irak et en Syrie.
Il entre dans la salle le sourire aux lèvres et dit à notre caméraman de ne pas avoir peur alors qu’il s’approche pour prendre le micro. Voyant que nous sommes calmes, il demande : « Vous n’avez pas peur ? » Je lui explique que j’ai déjà parlé, par le passé, à nombreux hommes « recherchés et proscrits ».
Nous avions convenu d’un entretien de cinq minutes, mais, bien plus tard, nous avons réalisé que nous avions déjà échangé pendant une demi-heure.
Il m’a décrit avec franchise ce que le KSS considère comme des actes d’opposition, mais que ses adversaires considèrent comme des actes de terrorisme. Il se dit fier d’être traité de « terroriste » par les États-Unis. Il croit que, comme l’enseigne l’ayatollah Khomeini, les États-Unis sont le pire mal qui a frappé la région.
« Quiconque est attaqué par l’Amérique – n’importe quelle nation arabe ou musulmane – notre groupe, Kata’ib Sayyid al-Shuhada se portera à sa défense », déclare-t-il.
Je lui demande ce qu’ils feront si Israël frappe à nouveau l’Iran.
Al-Walai répond : « Dans notre culture, la culture de la résistance, nous sommes certains que c’est nous qui gagnerons au bout du compte, si Israël attaque à nouveau la République islamique, nous sommes sûrs que la République islamique ripostera avec encore plus de force et de rapidité ».
Al-Walai ne doute absolument pas de la capacité de son groupe à riposter à Israël.
En tant que groupe entièrement intégré au Kataib Hezbollah de 2003 à 2011, lorsque les troupes américaines occupaient l’Irak, le KSS a lancé quelque 1 200 opérations armées contre les forces américaines. « Trois cents à 400 de ces opérations ont été filmées et documentées », précise-t-il.
En tant que groupe armé à part entière, le KSS n’a fait que gagner en puissance depuis lors, affirme-t-il, tout comme la Résistance islamique au sens large.
« Le terme « Résistance islamique en Irak » englobe des factions officielles et des factions secrètes ; des factions armées secrètes travaillent avec nous. Les capacités militaires de la résistance islamique irakienne ont été multipliées par 20 ou 30 depuis l’époque de l’occupation.
« Je me souviens qu’en 2006, les Américains ont réussi à pénétrer dans l’un des entrepôts de Babylone appartenant à la Résistance et ils ont déclaré que la résistance en Irak s’était développée en deux ans, [autant que] l’IRA en 25 ans.
« Nous avons fabriqué tout un arsenal de missiles et de drones. Et ce qui a été utilisé pour apporter un soutien à la Palestine pendant les six mois de l’agression israélienne sur Gaza ne représente que 5 % de notre arsenal ».
« Le Hamas ne devrait-il pas être en partie tenu pour responsable de la situation après ses attaques du 7 octobre ? lui avons-nous demandé.
Al-Walai a répondu : « Israël occupe la terre de Palestine. Nous pensons que tous les moudjahidines ont le droit de se battre pour chasser les occupants de leurs terres.
« Nous ne pensons pas qu’ils [le Hamas] aient déclenché cette agression. La responsabilité en revient à l’occupation qui a imposé plus de 18 ans de blocus à Gaza et enfermé des milliers de Palestiniens dans les prisons israéliennes. L’opération du Hamas a été exceptionnelle et a humilié l’ennemi israélien, et ce qui se passe depuis l’opération Déluge d’Al-Aqsa est très différent de ce que nous avons connu auparavant. Nous sommes passés à une autre phase. »
Les jours d’Israël sont comptés
Selon lui, les jours d’Israël sont comptés. « Nous pensons que les jours d’Israël sont comptés, même si beaucoup de pays le soutiennent. Lors de la dernière opération de la République islamique (d’Iran), ils ont été obligés d’utiliser tous leurs systèmes de défense aérienne – les jets britanniques, français, américains et israéliens ont été utilisés avec les jordaniens.
« Selon nos estimations, 20 % des roquettes et des drones ont atteint leur cible, malgré le fait que l’opération ait été annoncée publiquement au lieu d’être gardée secrète. De nombreux objectifs ont été atteints, notamment celui de montrer au monde qu’Israël n’est plus capable de se défendre tout seul contre les moudjahidines en Palestine ».
Il ne mâche pas ses mots et, du coup, je lui demande quelles seraient les conséquences d’une guerre totale : Cela ne signifierait-il pas des souffrances inimaginables pour de nombreux pays, y compris l’Irak ?
Il y a bien sûr pensé. « Nous avons toute confiance dans notre axe de combattants au Yémen, au Liban, en Syrie, en Irak et en Iran. Allah a promis que les criminels comme Israël seraient éliminés des territoires occupés.
« Nous pensons que les Américains sont des occupants et qu’il est légitime de combattre les occupants. En cas de guerre totale, nous sommes aux côtés de la République islamique ; nous sommes aux côtés des héros, des enfants et des femmes de Gaza. Notre message est que, en cas de guerre totale, la Résistance islamique prendra en otage les Américains qui se trouvent en Irak. »
La présence d’avions américains dans l’espace aérien irakien est inacceptable
Une fois les caméras éteintes, je m’écarte du cadre de l’entretien pour l’interroger sur les rumeurs selon lesquelles les Américains auraient envoyé un message à son groupe par l’intermédiaire du gouvernement irakien, pour lui signifier qu’ils savent où vivent tous leurs dirigeants et que tous leurs mouvements sont surveillés.
Dans ce message, les Américains auraient demandé à la Résistance islamique de cesser d’attaquer les bases et le personnel américains faute de quoi ils attaqueraient la Résistance islamique.
Je lui demande si c’est vrai, et si c’est la raison pour laquelle il y a eu une réduction marquée des attaques en Irak et une recrudescence des attaques en Syrie.
Al-Walai se penche en avant et répète qu’en cas de guerre, « ce sont les Américains qui seront pris en otage, et non l’inverse. »
Il demande ensuite à son assistant d’appeler son garde du corps, à qui il demande d’aller chercher un dossier dans sa voiture. Il baisse la tête, plongé dans ses pensées, et nous fait signe d’attendre que le dossier soit là.
Le garde revient et lui demande quel dossier. Al-Walai lui répond que c’est le dossier rouge. Quelques minutes plus tard, le dossier est là, son assistant se lève et lui demande s’il est sûr de vouloir nous montrer le contenu du dossier. Il lui dit de s’asseoir.
Du dossier rouge, il tire un document plié qui semble montrer des trajectoires de vol de différentes couleurs. Il affirme qu’il s’agit des trajectoires de tous les avions ennemis, y compris les drones, dans l’espace aérien irakien.
Il sourit et nous dit qu’ils sont capables de surveiller les drones qui les surveillent. Bien sûr, il s’agit d’une affirmation que nous ne pouvons pas vérifier de manière indépendante, mais il est fort probable que ces informations proviennent de l’Iran.
Al-Walai ajoute qu’il ne veut pas mettre le gouvernement irakien dans l’embarras, mais qu’il est clair que ces drones sont utilisés par les Américains pour surveiller les politiciens irakiens aussi bien que les chefs de la résistance. Et cette prise de contrôle de l’espace aérien irakien par les avions militaires de la coalition dirigée par les États-Unis est tout à fait inacceptable.
Notre entretien a duré plus longtemps que je ne l’avais prévu.
Al-Walai se lève et il est immédiatement entouré de ses gardes et de ses collaborateurs politiques qui manifestement lui témoignent un profond respect et une grande admiration.
Et mes pensées s’attardent sur cet échange fugace qui m’a rappelé que le terroriste des uns est le combattant de la liberté des autres.
Auteur : Osama Bin Javaid
* Osama Bin Javaid est un journaliste audiovisuel basé à Doha. Il a beaucoup travaillé sur l'Asie du Sud, notamment au Pakistan et en Afghanistan.Il a réalisé des reportages sur la sécurité mondiale, la guerre contre le terrorisme et d'autres questions liées à l'Asie du Sud et au Moyen-Orient.
27 avril 2024 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet